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Avec le confinement, crise dans la pomme de terre en Europe
©pomme de terre

Tribune

Notre consommation de pommes de terre a fortement diminué depuis le début du confinement. Les producteurs se retrouvent ainsi avec un énorme stock, de l’ordre de 450 000 tonnes, alors que la récolte 2020 se profile.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Contrairement à ce que l'on pourrait penser, notre consommation de pommes de terre a fortement diminué depuis le début du confinement. Du coup les producteurs se retrouvent avec un énorme stock, de l’ordre de 450 000 tonnes, qu'il leur faudra dégager avant la fin de l'été, pour faire de la place à la récolte 2020 laquelle devrait débuter à la mi-septembre !

Si cette tubercule miraculeuse a été ramenée du Pérou en Europe dès le XVIe siècle, elle n’était pas consommée en France, jugée « œuvre du diable », contrairement au blé « sacré et divin », et tout juste bonne pour les cochons ! Il a fallu attendre la fin du XVIIIe pour que le pouvoir de persuasion, la ténacité et l'ingéniosité d'Antoine-Augustin Parmentier, pharmacien aux armées (qui en avait mangé énormément lorsqu’il était prisonnier des prussiens), arrive à faire reconnaître ses immenses qualités nutritives.

Du coup, les français, qui demandaient depuis des millénaires à Dieu de leur fournir leur « pain quotidien », ce qui n'avait jamais été simple historiquement, ont pu se nourrir de façon beaucoup plus régulière avec le trio : pain, pommes de terre et vin ! Un français consommait encore 150 kilos de pommes de terre par an en 1950, et on en récoltait alors 14 millions de tonnes chaque année, et depuis la consommation et la production n’ont cessé de baisser au fur et à mesure qu’on s’enrichissait et améliorait notre alimentation ; la consommation, exclusivement en produits frais dans le passé, s’est répartie entre le frais et le transformé, avec l’arrivée de la purée Mousseline dans les années 60 puis des frites surgelées dans les années 80. Mais au final ce fut beaucoup moins en quantité : aujourd’hui on en mange à peine 25 kilos en frais (plus à peu près autant en plats cuisinés) ! Notons au passage que les consommations de pain et de vin ont également été divisée par trois dans la même période.

Lors du début du confinement, on a pu alors se demander si on allait manquer de nourriture, et dans ces cas-là revenir à ces aliments historique de base… mais après quelques inquiétudes marginales dans les premiers jours, chacun s'est aperçu que notre système alimentaire tenait et que le riz, les pâtes, la farine restaient disponibles, mais aussi les conserves, les plats préparés, les surgelés, les légumes, etc.

Cependant il y eut un changement majeur : tous les restaurants ont fermé, ainsi que les cantines ; de l’ordre de 30 millions de repas pris collectivement par jour qui sont revenus à la maison. Et ce changement a, entre autres, affecté très fortement notre consommation du plat national : les frites (n’oublions pas que les anglo-saxons les appellent les « french fries » !!!). On en mangeait comme des obsédés à midi, et tout cela s’est arrêté net, et les usines à frites surgelées sont à l’arrêt depuis deux mois.

La plupart des français n’ont même plus de friteuse, et rechignent à peler les pommes de terre ! Donner de la saucisse-purée aux enfants, passe, mais les frites sont devenues dans notre imaginaire domestique un plat… trop compliqué à préparer ! Résultat : notre consommation a fortement baissée, mais aussi celles des belges et autres européens qui avaient l’habitude de déguster la frite issue des bonnes terres de la région des Hauts de France, où se situent l’essentiel des 8 000 exploitations et 145 000 hectares cultivés, avec des rendements maintenant incroyables autour de 45 tonnes à l’hectare, trois fois supérieurs à ceux des années 50.

Résultat : en 2019, on a récolté 6,4 millions de tonnes de pommes de terre en France (27 millions en Europe de l’ouest, incluant l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas). Tout doit être dégagé avant le mois de septembre, car la récolte 2020 va arriver.

Que faire du surplus ?

Les producteurs français vont se retrouver avec environ 450 000 tonnes en trop ! Soit l'équivalent de la production totale annuelle de l'ensemble de nos jardins potagers personnels ! Et au moment même où les 40 à 60 000 tonnes de pommes de terre « primeurs » arrivent sur le marché du frais.

Que peuvent-ils en faire ?

Oublions l’idée de les conserver : impossible de le faire au-delà de 10 à 12 mois car cette tubercule, vivante et à forte teneur en eau, respire, transpire, perd du poids, se flétrit, et germe ; de plus elle craint le gel, la fermentation et les attaques bactériennes et fongiques. Et son stockage coûte cher car il doit se faire dans l'obscurité, avec une ventilation et une hygrométrie contrôlée, et à une température autour de 5°.

Bien entendu ils peuvent en donner une partie aux banques alimentaires et autres restaurants du cœur, et c’est ce qu’ils ont commencé à faire. Mais cela restera malgré tout marginal, probablement de 10 à 20 000 tonnes au maximum. Car ces pommes de terres, il faudra les cuisiner, et cela rebute justement riches et pauvres…

Inutile de penser à les exporter, nous sommes déjà les plus gros exportateurs européens, voire mondiaux ; nos concurrents ont eux aussi trop de stock et nos clients ont le même problème, à commencer par les usines belges de frites, ou les pays du sud de l’Europe  comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal, qui nous en achètent en frais. Et ne parlons pas du grand export, quand la Chine continue à en produire 10 à 12 fois plus que nous, l’Inde 6 fois, la Russie 4 fois et l’Ukraine 3 fois !

On peut imaginer de les donner à manger à nos animaux d’élevage. Les ruminants sont capables de les digérer crues, à condition que ce soit en relativement petite dose ; mais pas de chance, c'est justement l'époque où ils peuvent sortir manger de la bonne herbe ! Au revanche les monogastriques comme les porcs et les volailles ne les digèrent que cuites, ce qui renchérit leur coût relatif par rapport aux autres aliments habituels. Et qui va payer le transport ? Donc peu d'espoir de ce côté-là, d'autant plus que notre consommation de viande et de laitages a également baissé et que les éleveurs sont eux-mêmes en crise !

Ce serait également vain de penser à en fournir davantage à l'industrie de la fécule ; en effet l’industrie papetière en consomme pas mal ; on en trouve également dans le textile, les couches pour bébé, le contre-plaqué, le caoutchouc, les rouges à lèvres, etc. Mais on ne voit pas très bien pourquoi ces industriels se mettraient à en consommer davantage tout d'un coup. De même pour l’industrie de la vodka, qui n’est pas vraiment une spécialité française !

En ce qui concerne la méthanisation, nous avons peu d’équipements en France, et leurs opérateurs n’ont pas attendus cette crise de la pomme de terre pour disposer d’approvisionnements réguliers.

Bref, il ne reste malheureusement que la dernière solution, la plus choquante : il faudra bien jeter ces pommes de terre avant la prochaine récolte ! Avec un risque réel de voir se développer des dépôts sauvages de déchets dans la nature, qui sont vecteurs de foyers infectieux de maladies fongiques ou de pollution par fermentation !

Et il serait bon que l’Europe finance cette destruction si on ne veut pas que de nombreux producteurs fassent faillite ou changent de production, au risque de manquer l’an prochain !

Pourquoi ne pas en manger davantage ?

Peut-on se redire à cette occasion deux vérités oubliées : la pomme de terre est un excellent aliment, et il est très simple de la cuisiner !

À l'heure des régimes et de l'obsession de la minceur, la pomme de terre n'est plus vue comme celle qui nous sauve la vie pour pas cher, mais celle qui nous fait grossir ! Grave erreur : ce qui est mauvais pour la santé c'est l'huile et le sel qui sont dans les chips, pas la pomme de terre… Voilà un aliment essentiellement constituée de sucres lents, ceux qui devrait représenter la moitié de nos apports énergétiques, et pauvre en calories (85 kcalories aux 100 g), tout comme les autres féculents comme le riz (87 kcal) et les pâtes (110 kcal) ; elle est riche en protéines, en sels minéraux (calcium, potassium), en vitamines (B1, B2 et B6) et en fibres alimentaires, qui favorisent la sensation de satiété et régulent le transit intestinal.

Pour un adulte, en dehors d'un régime hypocalorique, on estime qu'il faut en moyenne 250 à 300 g de pommes de terre (non pelées) pour se faire plaisir lors d'un repas. Cette quantité couvre une belle partie de nos besoins en différents nutriments. Notons que, pour préserver l'ensemble des vitamines et minéraux, il est préférable de la faire cuire avec la peau car l'épluchage ôte une partie des vitamines et minéraux et favorise leur dissolution dans l'eau.

Alors, pourquoi cette réticence à cuisiner cette plante si utile ? Tout d'abord on n'aime pas là corvée des pluches, et on a tendance à surestimer le temps qu'elles prennent, qui est somme toute relativement réduit ! Pour ma part j'ai un petit secret : je ne vais pas à la cuisine pour faire les pluches, j’y vais pour faire une pause en écoutant de la musique, et accessoirement j'occupe mes mains et me rends utile !

De plus, lorsque les pommes de terre sont bio, pourquoi les éplucher, alors que le meilleur est dans la peau ? Et même si on est rebuté par le fait de manger cette peau, c'est tellement plus facile d’éplucher les pommes de terre cuites au four ou à la vapeur dans son assiette…

Et finalement l'impression que les pâtes sont beaucoup plus faciles à préparer doit être revisitée : coupé en 4, les pommes de terre ne mettent absolument pas plus de temps à cuire, et on peut après les manger avec les mêmes sauces ou fromages râpés. Mais en plus, contrairement aux pâtes ou au riz, on peut aussi les faire cuire au four ; pourquoi réservons nous le terme de « rôti » à la viande ? On peut bien évidemment faire des rôtis… de légumes !

La liste des plats nationaux et régionaux valorisant cette plante miracle est pourtant longue ; citons par exemple, outre la purée, les frites et les chips, le hachis Parmentier, les pommes de terre en robe des champs, sautées, rissolées, soufflées, en beignets, en gaufres, Dauphine, Duchesse, Anna, etc., mais aussi l’aligot, le gratin dauphinois, la raclette, la tartiflette, la salade tiède au hareng, etc.

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