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Covid-19 : un tiers des patients hospitalisés développent de dangereux caillots sanguins
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Symptômes

Une nouvelle étude montre que 30% des patients atteints du coronavirus développent des caillots sanguins pouvant provoquer des accidents parfois mortels. La prévention est absolument nécessaire selon les médecins.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Quel est ce phénomène et en quoi est-ce lié au coronavirus ?

Le sang et la coagulation sanguine : la formation du thrombus

Stéphane Gayet : Notre sang est constitué du plasma sanguin et de ce que l'on appelle les « éléments figurés du sang » (leucocytes ou globules blancs, hématies ou globules rouges et plaquettes sanguines). Le sang artériel nourrit les tissus du corps en oxygène et en glucose, et il leur apporte de multiples molécules et ions indispensables. Le sang veineux emporte le gaz carbonique jusqu'aux poumons où il est éliminé. Le débit sanguin est important et la pression du réseau artériel élevée. En cas de brèche accidentelle dans une paroi vasculaire, une fuite de sang se produit. Un système permet de faire cesser cette fuite, c'est le système de la coagulation : les plaquettes sanguines sont attirées sur la brèche et elles permettent de la colmater, puis tout un processus complexe se réalise, conduisant finalement à la formation d'un thrombus (ce qui correspond à l'appellation « caillot » dans le langage courant), processus qui comporte notamment la transformation du fibrinogène en fibrine (fibrinoformation) ; la fibrine est une protéine filamenteuse, blanchâtre et élastique qui constitue la trame du thrombus. Le système de la coagulation est complexe, il fait intervenir 12 facteurs de la coagulation qui sont principalement des protéines et numérotés de I à XIII (le numéro VI n'est plus attribué). Le facteur I est le fibrinogène, le facteur IV est le calcium, tandis que les facteurs VIII et IX sont les facteurs anti hémophiliques A et B. Le foie a un rôle clef dans la coagulation, car il en synthétise les facteurs II, VII, IX et X avec l'intervention de la vitamine K (les personnes souffrant d'insuffisance hépatique font des hémorragies, comme les personnes hémophiles A ou B ; les antivitamines K sont des médicaments permettant de prévenir les thromboses pathologiques).

Les rôles de la coagulation sanguine

Son rôle évident est celui de traiter au plus vite les petites fuites de sang, liées généralement à une brèche accidentelle. Ce processus fonctionne bien, mais uniquement pour les brèches de petite taille. Les brèches de grande taille produisent une hémorragie qui va en général durer plus ou moins longtemps, et parfois entraîner le décès (hémorragie interne ou externe). Lorsqu'une brèche a été colmatée grâce à un thrombus, une réparation tissulaire va se produire, de telle sorte qu'à terme, le thrombus deviendra inutile : il sera alors détruit par le mécanisme de thrombolyse qui comporte une fibrinolyse (la fibrine est une molécule résistante, mais de secours et non une molécule de construction, à la différence du collagène : elle doit donc être détruite quand elle n’est plus utile, pour être remplacée par des éléments physiologiques et durables).

Le système de coagulation sanguine intervient également en cas de phénomène inflammatoire. Un phénomène inflammatoire est, comme la coagulation, un processus complexe. Il fait partie au sens large des actions que réalise le système immunitaire. Ce système immunitaire est avant tout conçu pour nous protéger et nous défendre contre les agressions microbiennes (bactéries, virus, champignons et parasites microscopiques). En cas d’agression microbienne, qu’elle soit primaire (l’agent microbien n’est pas encore connu du système immunitaire) ou secondaire (il est déjà connu et mémorisé par les lymphocytes à mémoire), la réponse immunitaire immédiate consiste à déclencher une inflammation sur le site de l’agression : les minuscules artérioles se dilatent (vasodilatation), ce qui augmente le flux sanguin local (afflux de leucocytes ou globules blancs) et la perméabilité des vaisseaux capillaires augmente, ce qui permet aux leucocytes de sortir des capillaires (diapédèse) pour aller dans le liquide interstitiel du site agressé.

Il s’ensuit une augmentation de chaleur et de volume (œdème) du site agressé : c’est la phase dite exsudative (un exsudat est une sortie de liquide plasmatique hors des capillaires, du fait d’une augmentation de leur perméabilité) du processus inflammatoire. Cette phase exsudative de l’inflammation se traduit par une rougeur, une chaleur, une tuméfaction et une douleur (les fameux signes cardinaux de l’inflammation : rougeur, chaleur, tumeur, douleur). Ce processus inflammatoire est d’une importance capitale en pathologie : on considère aujourd’hui que toutes les maladies ont une importante composante inflammatoire ; c’est essentiellement l’inflammation qui fait souffrir, d’où le succès des médicaments anti-inflammatoires, dont l’aspirine est le plus ancien. Quand une inflammation est majeure, l’œdème qu’elle comporte est si important qu’il comprime fortement les tissus, jusqu’à empêcher la circulation du sang et détruire les cellules (œdème dit compressif).

La deuxième phase de l’inflammation est la phase dite cellulaire : afflux de leucocytes sur le site de l’agression. Les leucocytes vont attaquer l’agresseur et chercher à l’éliminer, par différents mécanismes. Ils vont également chercher à circonscrire le site agressé, c’est-à-dire le foyer inflammatoire ; cette délimitation du foyer ou plus exactement son isolement, est rendue possible grâce à des phénomènes de coagulation autour de lui : le fait d’obstruer les artérioles qui nourrissent le foyer inflammatoire (une fois que les leucocytes sont sur place) permet de limiter les dégâts liés à l’agression (comme pour un incendie). C’est là qu’interviennent les phénomènes de coagulation dans l’inflammation ; au mieux, le foyer inflammatoire sera entouré d’une couche fibrineuse qui permettra de l’endiguer.

La troisième phase de l’inflammation est la phase dite tissulaire : la coagulation autour du foyer inflammatoire en fait déjà partie ; elle précède la maîtrise de l’agression, suivie de la réparation.

Les thromboses au cours de l’infection à SARS-CoV-2 (la CoVid-19)

Le récepteur du SARS-CoV-2 est le même que celui du SARS-CoV, c’est le récepteur ACE-2. Il est très répandu dans le corps, il y en a dans pratiquement tous les tissus. Les cellules endothéliales sont les cellules qui tapissent la face interne des vaisseaux sanguins (c’est un peu la muqueuse des vaisseaux) ; ces cellules endothéliales sont riches en récepteurs ACE-2. Lorsque l’infection virale est intense, les particules virales ou virions se retrouvent en grande quantité dans le sang (virémie). Ils infectent les cellules endothéliales et l’inflammation qui en résulte entraîne un œdème qui, dans les petites artérioles, peut les obstruer, ce qui favorise la thrombose : c’est le phénomène des micro thromboses artériolaires.

De plus, dans les formes graves de CoVid-19, il existe une inflammation généralisée intense, souvent appelée d’une façon commune « tempête inflammatoire » ou « tempête de cytokines » (les cytokines sont des petites protéines qui déclenchent et activent l’inflammation). Cette inflammation active la coagulation, donc la thrombose.

Il existe en somme deux facteurs qui favorisent les thromboses vasculaires en cas de CoVid-19 grave : l’œdème des petites artérioles par infection virale de leur paroi, et l’activation générale de la coagulation par inflammation excessive.

Car, comme dans la plupart des maladies infectieuses graves, c’est l’hyper inflammation qui fait le plus de dégâts, étant donné que lorsqu’une inflammation est excessive, elle est largement plus délétère (néfaste pour la santé) qu’utile.

Pour ces raisons, dans les formes graves de CoVid-19, on constate des micro thromboses, tant artérielles que veineuses, et des macro thromboses, également tant artérielles que veineuses. Les macro thromboses sont détectées grâce aux examens d’imagerie (échographie, angiographie, échodoppler, scanner, IRM…), tandis que les micro thromboses sont diagnostiquées sur des prélèvements histologiques (biopsies), souvent pratiqués après le décès (autopsies). Il n’est pas dans la culture chinoise de pratiquer des autopsies, et il a fallu que la pandémie gagne l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique pour que l’on découvre post mortem ces micro thromboses lors de la CoVid-19. On a ainsi compris trop tard pourquoi de nombreux malades gravement atteints et traités en réanimation, mourraient malgré la mise en œuvre correcte des techniques de réanimation respiratoire (ventilation assistée avec pression positive en fin d’expiration ou PEEP). Toutes ces thromboses (micro et macro) sont très pathogènes et expliquent bien des évolutions graves, des complications, des séquelles et des décès. On considère qu’il existe une ou plusieurs macro thromboses dans au moins 30 % des formes graves de CoVid-19. C’est ainsi que surviennent des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux et des embolies pulmonaires, y compris chez des malades jeunes atteints de CoVid-19.

Quels sont les signaux d'alertes à détecter ? Qui sont les principaux concernés ?

Devant toute forme grave de CoVid-19 et quel que soit l’âge du malade, il faut penser aux thromboses et être particulièrement attentif quant à la possibilité de survenue d’une embolie pulmonaire, d’un infarctus du myocarde ou d’un accident vasculaire cérébral. Une macro thrombose se manifeste par les troubles de l’organe atteint (poumons : aggravation brutale de la fonction respiratoire ; cœur : douleur intense et angoisse ; cerveau : paralysie ou troubles de l’élocution).

C’est pourquoi les personnes atteintes d’une forme grave devraient être hospitalisées au minimum en soins continus, car ces complications vasculaires demandent une réponse médicale invasive en urgence.

Quelles sont les précautions à prendre ? Comment anticiper cette conséquence de la CoVid-19 ?

Dès l’instant où une personne fait une forme sévère de CoVid-19 avec fièvre élevée, altération de l’état général et gêne respiratoire, il faut être d’une particulière vigilance pour détecter au plus vite une complication vasculaire de type thrombose. A présent que l’on connaît ce risque, on recommande de plus en plus – quand il n’existe pas de contre-indication à leur administration chez le patient – de prévenir les thromboses par un traitement antithrombotique ou par un traitement anticoagulant. Il s’agit des héparines de bas poids moléculaire et de l’héparine de base. L’aspirine, les anti-agrégants plaquettaires et les anti-vitamines K sont en revanche déconseillés. Par ailleurs, certains anti-inflammatoires récents ont probablement de l’intérêt dans cette prévention.

On insiste sur le fait que ce traitement antithrombotique ou anticoagulant préventif doit être instauré tôt dans l’évolution, car lorsque les complications se sont déjà produites, il risque d’être inopérant ou pire, délétère.

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