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"Journal 1939-1945" de Maurice Garçon : intérêt historique et qualités littéraires, un Journal de l’Occupation à ne pas manquer
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Atlanti Culture

Maurice Garçon a publié "Journal 1939-1945". Culture-Tops propose depuis fin mars 2020 des chroniques de livres et de BD "hors actualité". Des œuvres ayant particulièrement marqué nos chroniqueurs et qui composent cette nouvelle série du "Plaisir de relire".

Gilles Antonowicz pour Culture-Tops

Gilles Antonowicz pour Culture-Tops

Gilles Antonowicz  est chroniqueur pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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"Journal 1939-1945" de Maurice Garçon

Les Belles Lettres, 700 p. 35 €

RECOMMANDATION
Excellent


THEME
Intérêt historique et qualités littéraires, un Journal de l’Occupation à ne pas manquer.
L’Occupation comme vous ne l’avez jamais lue ! Ce journal - qui a le grand mérite de ne jamais avoir été retravaillé par son auteur ; on n’y rencontre donc ni les reconstitutions, ni les amnésies, ni les reconstructions qui font le défaut des Mémoires – est admirable tant pour ses qualités littéraires que pour son intérêt historique.

POINTS FORTS
Jour après jour, on suit non seulement le fil des évènements, mais également Garçon dans ses analyses, ses doutes, ses espérances et ses inquiétudes qui reflètent, à n’en point douter, le cheminement de la pensée d’une grande partie de ses contemporains.

On note sa prise de distance rapide avec Pétain (dès le 28 juin 1940), qu’il nomme « Le Vieux » ou « Philippe le con-vaincu » ; sa méfiance envers de Gaulle qu’il juge « ridicule de prétention et de suffisance » ; sa condamnation des attentats communistes à l’automne 1941 et le cortège d’exécutions d’otages qu’ils provoquent en représailles ; sa foi en la victoire anglaise et son désespoir à la voir si longue à se dessiner (ce n’est que le 8 mai 43 qu’il sent « le vent tourner » avec la prise de Tunis et de Bizerte par les Alliés) ; ses engagements, modestes mais réels, en faveur de ceux qui refusent la collaboration (Georges Mandel, les étudiants accusés de l’assassinat d’un médecin collaborationniste à Poitiers, les maquis de la Vienne) ; son émotion le jour de la libération de Poitiers (« J’ai hissé un pavillon français sur le mât que j’avais planté il y a quelques jours. J’avais réuni les serviteurs, quelques voisins, et on a bu un verre de vin. C’est peu de choses, mais l’envie de pleurer m’est venue. Marie, la servante, a proposé de chanter La Marseillaise. On n’osait pas trop. On était si peu nombreux. Une vague peur du ridicule nous tenait. La servante a donné l’exemple. Et nous avons chanté. Ça n’était pas très bien, mais le cœur y était ») ; sa déception et son écœurement au vu des excès de l’épuration (18 septembre : « séance à la société des auteurs. On guillotine ceux qu’on n’aime pas. Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure » ; 7 octobre : « On sombre dans la folie. Tout est à la vengeance la plus basse. (…) J’essaie d’apporter un peu de modération. Autant vouloir arrêter le cours d’un ruisseau avec les doigts. On a trop pris le goût du sang » ; 14 février 1945 : « il pèse un morne ennui. Tout va mal. On gâche l’admirable succès de la Libération. Épurer, c’est prendre les places en chassant ceux qui les détiennent. La France est une foire d’empoigne »).

On admire sa lucidité politique : le mal français, c’est la division des Français. Si Pétain est condamnable, c’est avant tout parce que, « sans lui, nous aurions un gauleiter allemand et la France serait unie ; avec lui on est tiraillé, les uns pour, les autres contre, et la France est partagée » (31 mai 1942). Si de Gaulle et Giraud n’emportent pas son adhésion, c’est parce que « la division qui sépare les Français dissidents est déplorable. Dans le moment où il n’y a qu’une seule opinion saine, savoir chasser l’ennemi, ils persistent à se perdre en querelles électorales et à donner le spectacle d’une France intérieurement déchirée » (16 juin 1943)

On s’émerveille de sa perspicacité en matière militaire, au point de prédire, le 2 mai 1944, avec une quasi-précision d’horloger la date du débarquement : « A mon compte, écrit-il, désorganisation de l’arrière (chemin de fer, aérodrome, routes, etc.) : trois semaines ; démolition des défenses côtières, encore au moins 15 jours. Cela nous met vers le 10 juin. Pour être large, je compte entre le 14 et le 20 » …

POINTS FAIBLES
Pour en trouver, il faudrait commettre l’erreur d’en faire une lecture anachronique. Il convient donc de s’en préserver, on perdrait son temps à s’indigner de quelques passages, touchant notamment à la manière dont Garçon, qui n’est exempt d’aucun des préjugés de son époque, parle des juifs. Car si nombre de ses propos seraient aujourd’hui condamnés par le premier tribunal correctionnel venu, il faut s’empresser de préciser que lui-même ne se reconnaissait nullement comme antisémite et se scandalisait de la manière dont les juifs étaient traités. Ainsi, le 2 février 1943, écrivait-il : « Je n’aimerais pas que mon fils épouse une juive ou ma fille un juif, mais pas plus que s’ils voulaient épouser des Turcs ou des Polonais. Je les tiens à l’écart de ma vie intime et je n’en fais pas autre chose que des relations, mais je me refuse à les traiter en pestiférés et je ne puis admettre les abominables persécutions dont ils font actuellement l’objet ». Et de même, au lendemain de la rafle du Vel d’hiv, le 18 juillet 1942 : « on commence à avoir quelques renseignements sur les arrestations en masse auxquelles il a été procédé depuis deux jours. Par pleins camions, on a ramassé pêle-mêle des hommes, des femmes et des enfants. (…) En quelques minutes, sans leur donner le temps de faire un paquet de linges, des familles surprises de bonne heure ont été arrêtées. On entendait des cris, des supplications, et c’est la police française qui faisait cette vilaine besogne. Une grande partie a été conduite au vélodrome d’hiver. La misère y est atroce. Il n’y a pas de cabinets en suffisance. En une journée, l’odeur est devenue atroce. Les malheureux couchent à même le sol. (…) Ce retour à la barbarie fait peser sur la ville une tristesse inexprimable ».

 Le second écueil à éviter serait de prendre le contenu de son journal pour l’expression d’une absolue vérité historique. Ce serait oublier que Garçon ne fait souvent que rapporter ce qu’il entend, colportant les ragots et les rumeurs dont se nourrit l’opinion publique, et qu’il ne se montre par ailleurs ni avare en procès d’intention, ni précautionneux en portant des jugements hâtifs sur les uns ou sur les autres. Le résistant Léon-Maurice Nordmann, le grand comédien Harry Baur, Jean Zay ou le ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu, accusé à tort par Garçon de porter la responsabilité de la mort de Gabriel Péri, en font ainsi les frais.

EN DEUX MOTS
Un seul suffit : Passionnant.

UN EXTRAIT
8 mars 1943 : « Mes enfants m’ont demandé d’inviter des amis. Je les ai laissés faire et, ce soir, ils dansent (…). La musique que déverse leur phonographe est affreuse. Ce sont des airs américains, brutalement scandés, qu’ils accompagnent de coups de talon sur les parquets qui gémissent sourdement. (…) Ils dansent et ne parlent même pas entre eux. (…) Ils ne font rien ou presque et ne se préoccupent d’aucun des événements qui bouleversent le monde sous leurs yeux. Ils sont comme des benêts sautillants (…). Aucun ne lit de journaux, ils ne savent des événements que ce qu’ils entendent d’une oreille discrète (sic) dans leur famille. C’est grand pitié. (…) Est-il tolérable, alors que l’ennemi nous occupe, que notre sort se joue et que les ruines s’accumulent, que toute une jeunesse rigole, parle de marché noir où elle se fournit en cigarettes à 100 Fr. le paquet, et ne soit agitée que d’un prurit d’amusement ? Le pays est en deuil et ses enfants dansent. On se fout de tout pourvu qu’on mange des aliments de contrebande et qu’on puisse aller au cinéma. Le cabotin qui fait le pitre sur l’écran tient plus de place dans l’esprit de mes enfants que les hommes qui tentent de leur rendre la liberté qu’ils ont perdue et qu’ils ne font rien pour recouvrer ».

L'AUTEUR
Maurice Garçon (1889-1967), académicien, essayiste, auteur dramatique, peintre, magicien, touche-à-tout de génie et immense avocat dans les bras duquel s’abandonnent les éditeurs (Gallimard, Grasset, Fayard et Jean Jacques Pauvert, poursuivi pour l’édition des œuvres de Sade), les écrivains (Aragon, Bernanos, Camus, Cendrars, Cocteau, Giono, Giraudoux, Julien Green, Guitry, Ionesco, Léautaud, Malraux, Montherlant, Nabokov, Pagnol et Jean Paulhan poursuivi à l’occasion de la publication d’Histoire d’O, Prévert, Saint Exupéry, Sartre, Simenon, Steinbeck, Troyat, Roger Vaillant, Marguerite Yourcenar et Jean Genet poursuivi pour tant de motifs qu’on ne saurait tous les citer), les cinéastes (Autant-Lara, Chaplin, Clouzot, Duvivier, Gance, Renoir, Rouch, Truffaut), les comédiens (Bardot, Ledoux, Meurisse, Michel Simon), les peintres (Dufy, Utrillo, Picasso), les chanteurs (Ferré, Dalida) ; il plaide plus de 300 fois devant des cours d’assises pour y défendre des criminels ou des innocents (collectionnant 53 acquittements dont celui de Georges Arnaud, l’auteur du Salaire de la Peur, sujet du livre de Philippe Jaenada, La Serpe, prix Femina 2017), avec un talent tel, disait Paul Morand, que s’il avait « défendu l’assassin de quelque malheureuse coupée en morceaux, il eût démontré que la malle était vide » - ce dont il fit l’éclatante démonstration en obtenant à deux reprises l’acquittement de René Hardy, accusé de porter la responsabilité de l’arrestation de Jean Moulin … 

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