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Pourquoi l’Occident est largement responsable des problèmes que pose désormais la Chine pour l’équilibre de la planète
©NAOHIKO HATTA / AFP

Scène internationale

La Chine dispose d'une grande influence au sein des grandes organisations internationales, notamment auprès de l'OMS. Comment les pays occidentaux ont-ils pu laisser la Chine prendre une place aussi importante sur la scène internationale ? Quels intérêts avaient-ils ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico.fr : Les États-Unis contribuent de manière plus significative que la Chine aux grandes organisations internationales et pourtant la Chine dispose d’une influence aussi forte voir plus grande auprès de ces institutions. Comment est-elle arrivée à un tel résultat ? 

Emmanuel Lincot : OMS et OACI sous influence - entraînant par là-même la plus gigantesque pandémie de l’histoire -, nomination début avril de Jiang Duan pour faire partie d’une instance du Conseil des Droits de l’Homme (CDH) de l’ONU… : à ce constat alarmant s’ajoute le fait que quatre agences spécialisées des Nations Unies (FAO, ONUDI, UIT) sur quinze ont désormais à leur tête des ressortissants chinois (soit trois de plus que n'importe quel autre pays), et sept Chinois y occupent des postes de Directeurs généraux adjoints, un chiffre également record. Désormais, la Chine semble en position de force pour imposer ses vues au sein des principales organisations internationales. Le paradoxe c’est que les Etats-Unis ont donné à l’ONU pour l’année dernière près de 670 millions de dollars et la Chine, près de 370 millions de dollars, soit un tout petit plus de la moitié de cette somme. En fait la Chine peut alléguer parallèlement qu’elle finance ou cofinance des institutions qu’elle a elle-même contribué à créer comme les BRICS, la BAII ou l’OCS, ce qui lui offre une très grande surface de participation et de prise de décision à travers le monde. Dans l’histoire du régime chinois, cette adhésion au système multilatéral est un fait relativement récent. Ce n’est qu’à partir de 1971, date de son intégration au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, et aux dépens de Taïwan qu’elle a commencé à y souscrire. Ce fut sa première grande victoire. La deuxième remonte à 2001 lorsque trente ans plus tard, elle adhère à l’OMC. Rétrospectivement, c’est un événement considérable qui a précipité la délocalisation industrielle de l’Occident vers la Chine avec cette idée néolibérale et qui tenait lieu de credo selon laquelle le développement économique du pays conduirait à sa démocratisation. Et ce, malgré l’épisode de Tiananmen en 1989 qui aurait du alerter nos dirigeants. Qu’est-ce à dire ? Dans l’euphorie post-guerre froide, le communisme n’était plus qu’un accident de l’histoire. Des pans entiers de notre économie accompagnés de transferts de technologie ont eu lieu. Et nous avons engendré un monstre.

Comment les pays occidentaux ont-ils laissé la Chine prendre leur place sur la scène internationale ? Quels intérêts avaient-ils à laisser faire cela ? 

Cette permissivité s'est accompagnée d'une grande naïveté de nos dirigeants concernant la nature et les intentions véritables du régime chinois. Ce dernier a su s’appuyer sur la corde sensible des Africains dans leur vindicte anti-occidentale pour parvenir à la tête de certaines de ces institutions internationales mais aussi avec la complicité d’un certain nombre de nos propres dirigeants politiques. C’est aussi vrai dans le domaine de la coopération avec la Chine. Voyez l’affaire du laboratoire franco-chinois P 4 : c’est un accord de dupe. Il prévoyait une coopération continue avec les Français. Depuis son inauguration, pas une seule équipe française n’y a mis les pieds. Instrumentalisation de l’Autre, utilisation de ses capacités puis rejet sont des pratiques chinoises récurrentes. La stratégie est invariablement la même : c’est celle du jeu de go. Dans le jeu de go au contraire du jeu d’échecs, chaque pion a un statut indifférencié qui consiste à neutraliser l’adversaire. C’est celle que la Chine emploie également pour neutraliser les grandes instances internationales. Le but est de créer dans un rapport asymétrique un rapport dominant / dominé pour, à terme, siniser les pratiques du droit international et imposer des normes chinoises. Les Occidentaux ont eu une politique à très courte vue dans l'ensemble vis à vis de ce pays. On y voyait un eldorado. L'atelier du monde ! Tant que l'Occident aurait une avance sur le plan technologique et la maîtrise de ses inventions, les délocalisations et la permissivité ne posaient guère de problème de conscience. Cette politique engendrait de très gros profits pour nos industriels confortés dans leurs choix d'apporter un bien-être matériel à une population chinoise a priori d'autant plus docile qu'elle n'est protégée par aucun syndicat indépendant. Les résultats sont connus: paupérisation des classes moyenne et ouvrière européennes, montée en Europe - comme aux Etats-Unis - des populismes, dépendance de l'Occident dans des secteurs vitaux comme le révèle la crise du Covid-19, et ultra-nationalisme de la Chine ayant réussi à exploiter les ressources et les savoir-faire des Occidentaux à son seul profit. 

Maintenant que les activités de la Chine sont dévoilées au grand jour, quelle réponse peut-on attendre de la part de ces pays ? Vont-ils reprendre leur responsabilité sur la scène internationale ? 

Trump n’adhère pas au multilatéralisme. Macron y croit encore mais seule, l’Union Européenne ne fera pas le poids face à la Chine. La crise de crédibilité que traversent l’OMS et l’OACI montre bien les limites du système. Soit on rétablit un véritable contre-pouvoir au sein même de ces organisations soit on en crée de nouvelles. Mais là n’est sans doute pas la priorité. Après le marasme économique, nous aurons une phase de reconstruction lente qui passera dans un second temps par une refonte de l’architecture internationale. Elle ne se fera pas sans difficultés surtout si nous entrons dans une phase de confrontation avec la Chine. Ce que je crains c'est que fidèle hélàs à elle-même, l'Europe et ses élites veules et démissionnaires - et notamment ses élites industrielles ou issues du monde de la finance (lesquelles sont totalement étrangères au moindre sentiment patriotique) - reviennent à l'esprit petit-bourgeois de Munich: compromis sur compromis pour sauver quelques intérêts matériels et là encore sur le court terme. Nous connaissons la suite que Churchill résuma en une phrase: "ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre". C'était en 1938. On apprend avec Karl Marx (un auteur que les Chinois connaissent fort bien...) que l'histoire ne se répète pas, qu'elle bégaie. Evitons au moins qu'elle ne bégaie en pire ! Pour cela, nous devons renforcer notre coopération tous azimuts avec les Etats-Unis. Trump a les qualités de ses défauts. Au contraire de ses deux prédécesseurs, qui étaient de piètres connaisseurs des relations internationales, on peut au moins lui faire crédit d'avoir compris que la dangerosité pour l'Occident c'est la Chine. Malgré lui, Trump est à un moment historique des Etats-Unis et de l'Occident pour corriger le cours de notre rapport conflictuel avec la Chine. C'est avec lui et les Etats-Unis que nous devons nous associer pour sauver le monde libre.

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