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Euro-désarroi : l’Europe élargie n’apparaît plus comme une France en plus grand aux yeux des Français
©REUTERS/Jacky Naegelen

Entre défiance et ambivalence

Une Europe élargie, dont la France n’en a pas la maîtrise, qui n’est pas la France en plus grand, nourrit le désarroi du peuple français à l’égard d’un projet dont ils ne partagent pas entièrement l’idéologie.

Sébastien Maillard

Sébastien Maillard

Sébastien Maillard, Directeur de l'Institut Jacques Delors, a été journaliste à La Croix.

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Atlantico : Selon un rapport publié le 6 mai par l’Institut Jacques Delors, dont vous êtes le directeur, les attitudes des Français vis-à-vis de l’Europe sont marquées par une logique nationale de « projection » qui permet de rendre compte de l’ambivalence au cœur des relations entre les Français et l’« Europe » : ou bien cette dernière est alors perçue comme un « instrument » au service de la France; ou bien elle agit comme un révélateur ou un miroir déformant de la fameuse « exception française ». Que nous révèle ce rapport sur l'évolution du regard des Français sur l'Europe ? En quoi le cas Français est-il particulier aux autres pays européens ?

Sébastien Maillard : Ces dernières années, le regard des Français sur l’Europe s’est dégradé. Beaucoup ont le sentiment que le projet européen dont ils sont à l’origine leur échappe, comme des grands-parents qui ne reconnaîtraient plus leurs petits-enfants. Derrière ce sentiment il y a l'idée selon laquelle la France a définitivement perdu de sa grandeur qu'elle cherchait à retrouver à travers le projet européen. Une Europe élargie, dont la France n’en a pas la maîtrise, une Europe qui ne saurait être la France en plus grand, nourrit le désarroi à l’égard d’un projet dont les Français ne partagent pas entièrement l'idéologie libérale, ni le mode opératoire par le compromis. Ceci est plus net encore selon les territoires et les catégories sociales dans l'Hexagone.

Bien qu’il n’y ait nullement d'opinion majoritaire des Français pour quitter l’Europe, comme ce fut chez les Britanniques, le manque d’information, de lisibilité des Français sur les prises de décision européennes leur en empêche la compréhension. Ce manque d’informations est un des facteurs qui explique l’ambivalence sinon la défiance des Français à l’égard de l’Europe. Il est frappant d’observer que tant de projets, de co-financement européens, de politiques européennes et de grands débats agitant les Vingt Sept sont si rarement repris par les médias français, passent sous les radars. Cette méconnaissance installée influence évidemment l’opinion française, mieux tenue informée sur le Congrès américain que sur le Parlement européen à Strasbourg.

Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur cette vision ?

Le rapport ne prend pas en compte la crise sanitaire. En revanche, on peut largement supposer que cela n’a pas dû améliorer le cours des choses. De cette crise, on retiendra surtout une réaction de « sauve qui peut » de la part des grands pays européens dès le début de la pandémie, sans aucune solidarité manifeste entre eux. Une solidarité que les Européens étaient en droit d’attendre. Depuis, beaucoup a été rectifié, à l’image des patients français soignés en Allemagne, au Luxembourg, l'aide au rapatriement, les achats groupés d'equipement de protection. Malheureusement, l’impression qui restera  de cette crise sera celle d’un cafouillage initial, qui sera évidemment dommageable pour l’image de l’Europe, surtout auprès des Italiens. En revanche, cette tendance pourrait être modifiée si l’Europe, par un effort de coopération, remportait la course mondiale au vaccin contre le coronavirus pour en faire un bien public mondial. Quel motif de fierté ce serait pour tous les Européens.

La vison européenne telle que nous la connaissons depuis sa fondation est-elle aujourd'hui vouée à disparaître ?

Je ne le pense pas. Ce qui fait l’essence même du projet européen, tel que Robert Schuman l’avait lancé il y a soixante dix ans, ce sont les échanges entre nous ( faire en sorte que nos produits circulent, l'acceptation qu’une nation seule ne peut être autosuffisante ) et la mise en commun de nos moyens (Airbus ou Galileo par exemple). Ces deux logiques restent tout à fait  pertinentes lorsqu’il s’agit de lutter contre le réchauffement climatique, lutter contre une pandémie, contre le terrorisme ou encore être fort face à la Chine ou aux États-Unis. Établir notre souveraineté, notre autonomie face au reste du monde sans pour autant s’en détourner, reste plus que jamais indispensable. Dans le match qui oppose les États-Unis et la Chine, l’Europe ne doit pas rester sur le banc de touche.

Est-il paradoxal que la question de la souveraineté nationale demeure au coeur du projet européen ?

Emmanuel Macron a beaucoup développé le thème de la souveraineté européenne, qui émane d'une étroite cooperation d'États organisant leur interdépendance, sans que les nations n'y soient uniformisées et fondues ensemble. Si on veut peser et avoir notre mot à dire dans l’ordre international, seule une souveraineté européenne permettra de faire poids. Une souveraineté nationale existe toujours mais elle peut devenir trompeuse, factice face à des géants, comme la Chine ou les Gafam, y compris pour l'Allemagne et la France. Si l’Europe parvient à s’unir derrière ses intérêts et ses valeurs, alors nous deviendrons beaucoup plus forts pour les faire valoir. Dans ce cas, les souveraineté nationale et européenne ne sont pas contradictoires mais alignées.

La réalisation d’un projet européen solide est-il possible sans la réalisation d’une culture européenne commune ?

Il n’y a pas de peuple européen au singulier, ni une seule culture européenne, qu'on ne saurait fabriquer. Mais il existe indéniablement une civilisation européenne, dont l'UE est indétachable. Robert Schuman y faisait souvent référence. Cette civilisation, imprégnée par l’héritage chrétien, l’héritage des Lumières, par notre histoire commune, participe à forger une identité, un mode de vie, qui nous sont propres sans qu'on ne s'en aperçoive. Nos préférences collectives, que nous souhaiterions universelles, font notre singularité aux yeux du monde. Le fait que la peine de mort soit abolie de la Finlande à la Grèce, de l’Estonie au Portugal, sans faire débat, nous différencie de la Chine ou des États-Unis, entre autres. Les filets sociaux en Europe face à l'actuelle récession nous distinguent des États-Unis, tout comme notre approche de la protection des données. Pour fonder un projet européen d’avenir, s’unir derrière des intérêts stratégiques demeure une étape importante, mais pour ancrer ce projet dans le temps, il nous faut avoir conscience que nous partageons de mêmes principes, de mêmes valeurs, certaines mêmes préférences et attachements, des traits de mémoire. C'est ce qui nous fera nous reconnaître comme Européens.

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