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Pourquoi les rumeurs sur les mutations du coronavirus sont plus dangereuses que les mutations elles-mêmes
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Inquiétudes

Les possibilités de mutation d'un virus font peur, du fait de leur pouvoir infectieux pouvant être très élevé. Mais ce que l'on entend ou lit relève le plus souvent de la science-fiction.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le coronavirus peut-il muter, et si oui, comment ?

Stéphane GAYET : Les possibilités de mutation des virus en général excitent les esprits et l'on a vite fait d'imaginer un scenario de science-fiction avec un virus mutant devenu extrêmement dangereux. La réalité est heureusement tout autre, car la probabilité qu'émerge un tel agent pathogène est heureusement minime.

L'essentiel d'un virus est son génome, c'est-à-dire l'ensemble de ses gènes ; on peut même dire qu'un virus peut se résumer à son génome, qu'un virus est un génome ou même n'est qu'un génome, mais un génome infectieux : ce génome est capable d'infecter les cellules, à la condition qu'elles aient une affinité pour lui (elles doivent posséder un récepteur de surface compatible avec un antigène de surface de ce virus).

Contrairement aux êtres vivants dont le génome est constamment à acide désoxyribonucléique (ADN), le génome des virus peut être, soit à ADN, soit à acide ribonucléique (ARN). Les acides nucléiques (ADN, ARN) sont des macro molécules (énormes) très stables : leur composition chimique et leur conformation physique particulières leur confèrent en effet une résistance rarement rencontrée en biologie. Ce qui signifie que les êtres vivants ainsi que les virus sont protégés contre les risques d'altération accidentelle de leur génome. C'est en raison de cette stabilité génomique qu'il existe dans le monde vivant des espèces bien caractérisées ; au sein d'une même espèce, on distingue des lignées, encore appelées souches ou variants (chez les bactéries, on parle de clones, en raison de leur mode de multiplication qui est le clonage naturel).

En quoi consiste une mutation ?

Nous avons vu qu'un génome était naturellement stable, en raison de la constitution particulière des acides nucléiques ADN et ARN qui sont des molécules résistantes. Le génome est donc l'ensemble des gènes.

On parle de mutation lorsque survient une variation brusque d'un caractère héréditaire (donc, codé par le génome), du fait d'une modification d'un gène ou du nombre des gènes. Une mutation génère, au sein d'une espèce, une nouvelle lignée ou souche. Au maximum, une mutation peut générer une nouvelle espèce.

C'est lors de sa duplication qu'un génome à ADN ou à ARN est exposé au risque de modification : il peut survenir une ou plusieurs erreurs de recopiage (par analogie, à l'époque où l'on écrivait tout à la main, les secrétaires chargés des registres d'état-civil faisaient parfois des erreurs de recopiage, ce qui générait des changements de patronyme). Les êtres vivants (ADN) sont dotés de système de détection d'erreurs de recopiage et de réparation de ces éventuelles erreurs. Les virus à ADN ont également un tel dispositif, ce qui explique que les virus à ADN aient un génome plus stable que les virus à ARN.

En dehors des erreurs de recopiage des gènes, une mutation peut se produire en raison de l'action d'un agent mutagène, qui peut être physique, chimique ou infectieux (virus, en général). Les cellules cancéreuses ont un génome qui est l'objet d'une ou de plusieurs mutations graves.

Car en réalité, il existe toute une gradation des mutations : certaines sont fatales (mort de la cellule ou perte du pouvoir infectieux du virus), certaines sont minimes et silencieuses (aucune modification phénotypique - c’est-à-dire perceptible - n’en résulte), d’autres sont minimes avec une conséquence phénotypique mineure, d’autres ont un effet significatif mais assez limité…, d’autres ont au contraire une conséquence importante sur le phénotype et au maximum d’autres aboutissent à une cellule monstrueuse (cellules cancéreuses).

Les mutations au sein du monde des virus et dans la famille des coronavirus

Nous avons vu que les génomes à ADN étaient plus stables que les génomes à ARN. Le SARS-CoV-2 est un coronavirus, il appartient donc à cette grande famille de virus à ARN (simple brin et positif ; simple brin, car l'ARN peut être en double brin comme l'ADN ou en simple brin ; positif, car l'ARN viral n'a pas besoin d'être transcrit en ARN messager après sa réplication par la cellule, il fait directement office d'ARN messager).

Le génome à ARN des coronavirus est énorme : ce sont les virus à ARN qui ont le plus gros génome. On comprend que, plus un génome est grand et plus le risque de mutation est important. Théoriquement, les coronavirus devraient être à risque élevé de mutation. Or, on constate au contraire que leur génome est stable : cette étonnante stabilité est liée à la possession par le virus d'un système de relecture après réplication et de correction éventuelle (ce système est unique : les coronavirus sont les seuls virus à ARN connus ayant un tel dispositif). De fait, les coronavirus ont beaucoup moins de mutations lors de la réplication de leur génome, que les autres virus à ARN.

Il faut noter que, sans ce dispositif et compte-tenu de l'énorme taille du génome des coronavirus, chaque réplication de ce génome par la cellule produirait des mutations délétères (néfastes) qui conduiraient à la longue à une détérioration fatale et finalement à la disparition du virus.

Car il ne faut pas voir les mutations comme automatiquement des dangers pour l'homme : la grande majorité des mutations importantes aboutissent à la disparition de l'entité (mutations fatales, selon le cas pour la cellule ou le virus).

Pour répondre à la question posée, le coronavirus peut muter comme tous les virus, mais, parmi les virus à ARN, son risque de mutation durable est très faible. Car ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les mutations silencieuses (sans conséquence, car c'est fréquent) ni les mutations fatales, mais celles qui ont une conséquence sur le pouvoir pathogène.

Les actions politiques et sanitaires mises en place jusqu'à présent prennent-elles en compte la possibilité d'une mutation du virus ?

Malgré ce que nous avons vu, il y a toujours et il y aura toujours des auteurs pour publier des articles de nature à faire peur. Le virus grippal a souvent des mutations parce que son génome est fragile (il est segmenté) et l'on sait que les virus du sida (VIH-1 et VIH-2) ont déjà muté à plusieurs reprises et le font encore. Ce sont des virus à ARN, comme les coronavirus.

Mais, répétons-le, les coronavirus dont le SARS-CoV-2, sont protégés contre les mutations.

Cependant, on sait qu'il existe aujourd'hui trois souches différentes qui circulent dans le monde. Mais les virologistes nous disent que les différences entre ces trois souches sont minimes et qu'elles n'affectent pratiquement pas leur pouvoir pathogène.

Cette faible probabilité de mutation – et donc cette stabilité génomique – du SARS-CoV-2 va dans le sens de la vaccination : alors qu'il faut concevoir un nouveau vaccin grippal chaque année, un vaccin efficace contre la CoVid-19 serait utilisable pendant plusieurs années.

Toujours est-il que les coronavirus en général et particulièrement le SARS-CoV-2 (mais aussi le SARS-CoV-1) sont l'objet d'une surveillance attentive sur le plan mondial, dans le cadre d'un réseau international de laboratoires. Mais il faut dire que l'étude des génomes des SARS-CoV-2 circulants n'est pas une priorité, contrairement aux recherches sur la maladie, les traitements et les vaccins (il faut environ une semaine pour analyser complètement le génome d'une souche de coronavirus, opération que l'on appelle le séquençage).

Pour répondre à la question posée, la possibilité de mutation du SARS-CoV-2 est prise en compte, mais de façon non prioritaire eu égard aux autres priorités du moment (meilleure compréhension de la maladie, traitements curatifs et vaccination).

Les mutations du coronavirus sont-elles plus à craindre que les récits qu'elles suscitent ?

Étant donné qu'un virus n'est en quelque sorte d'un génome et que son pouvoir infectieux peut être parfois très élevé (rage, Ébola, fièvre jaune, sida, variole…), les possibilités de mutation d'un virus font peur.

Mais ce que l'on entend ou lit relève le plus souvent de la science-fiction : « Le SARS-CoV-2 a été crée par l'homme, des mutations se sont déjà produites et cela peut devenir très grave (Italie, Iran…) », ainsi que d'autres rumeurs du même type.

Ce que l'on peut dire aujourd'hui : on a identifié trois souches différentes qui circulent dans le monde, mais on ne peut pas affirmer qu'elles aient des pouvoirs pathogènes différents ; selon toute vraisemblance, les mutations qui les distinguent seraient minimes et sans incidence ou presque. En revanche, l'identification des différentes souches circulantes a un intérêt épidémiologique, permettant de comprendre la propagation de la pandémie.

Il faut insister sur le fait que l'on ne fait pas beaucoup d'études sur les modifications du génome de SARS-CoV-2, car elles sont coûteuses et actuellement non prioritaires.

Pour répondre à la question posée, les mutations de SARS-CoV-2 sont considérées aujourd'hui, par la plupart des virologistes, comme peu à craindre. Actuellement, il n'est pas possible d'affirmer qu'il y ait des souches de pouvoirs pathogènes sensiblement différents. Mais on reste très vigilant sur ce point.

Une excellente vidéo à ce sujet, réalisée par la chaîne belge LN24 :

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