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L'aide publique au développement (APD), un "geste barrière" géopolitique
©Thibault Camus / POOL / AFP

Solidarité

Cyrille Bret revient sur la question de l'aide publique au développement face à la crise sanitaire et économique du coronavirus.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Mises à rude épreuve par les crises sanitaires, économiques et politiques, les finances publiques occidentales peuvent-elles continuer à alimenter une Aide publique au développement (APD) dont le montant s’est élevé à plus de 152 milliards de dollars en tout pour 2019 ? Elles doivent continuer l’effort pour éviter que l’Asie du Sud et l’Afrique, bénéficiaires de ces crédits, ne deviennent des foyers pandémiques à moyen terme. Mais surtout pour éviter que ces zones ne deviennent des « dominions sanitaires » de la Chine. L’APD est un « geste barrière » géopolitique.

La fin d’une décennie de hausse ?

Le 16 avril dernier, alors que le Grand Confinement était à son apogée à travers la planète, l’OCDE ont présenté les chiffres des sommes versées en 2019 au titre de l’Aide Publique au Développement (APD). Elle a surtout exprimé ses préoccupations pour 2020 au vu des crises sanitaires, économiques et financières actuelles. En 2019, les 30 pays donateurs, réunis au sein du Comité d’aide au Développement (CAD) au sein de l’OCDE, ont en effet versé 152,8 milliards de dollars de dons et de prêts aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA). Mais ils sont tous pris dans des crises budgétaires si graves qu’ils seront tentés de tailler dans les crédits d’APD. La France au premier chef, avec 12,2 milliards de dollars en 2019 et un effort supplémentaire de près de +5% par rapport à 2018, peut-elle s’offrir ce « luxe humanitaire » ? Au moment où le principal donateur, les États-Unis (avec 24,6 milliards de dollars en 2019) se désengage des organisations multilatérales, une pause dans l’essor de l’APD engagée depuis 2012 n’est-elle pas inévitable ?

En strict raisonnement budgétaire, c’est une solution évidente aux problèmes que les finances publiques rencontrent. Mais d’un point de vue politique, couper drastiquement dans les crédits d’APD serait contre-productif. Comme l’avait souligné Michel Rocard, grand avocat de l’APD, celle-ci n’est pas une charité publique ou un mouvement de générosité humanitaire du Nord vers le Sud. C’est une politique publique à part entière, qui doit servir les intérêts des bénéficiaires, principalement en Asie du Sud et en Afrique, tout en répondant aux objectifs des contributeurs. A l’heure actuelle, pour les États européens en général et pour la France en particulier, l’APD est un des instruments de lutte contre les crises sanitaires et géopolitiques.

Prévenir la deuxième vague désamorcer les bombes à retardement virales

L’Europe et les États-Unis sont aujourd’hui pris dans l’urgence de la crise. Juguler la vague de décès, infléchir la courbe des contaminations, soutenir les ménages et les entreprises et ménager, autant que possible les finances publiques. Voilà les priorités de court terme. Mais, à moyen terme, il conviendra de poursuivre l’effort pour prévenir ou limiter la deuxième vague.

Le champ de bataille médical sera alors constitué non pas par les grandes métropoles massivement contaminées mais par les pays les moins avancés en Afrique et en Asie. Car si ces États ont des populations plus jeunes et donc moins pénalisées par le virus, ils seront beaucoup moins en mesure d’éradiquer l’épidémie : le confinement y est moins strict et moins socialement accepté et le système de soins beaucoup plus faible. Sans aide publique constante à ces États, le risque est très élevé qu’ils se transforment en zones d’épidémie endémiques à partir desquelles de nouvelles vagues de propagation du virus.

Bien entendu, des aménagements doivent être prévus à l’APD : réorienter les crédits vers le soutien aux secteurs médicaux est une inflexion évidente pour 2020 et 2021. Plusieurs pays l’ont déjà amorcée.

L’Afrique et l’Asie du Sud ne doivent pas devenir des bombes à retardement virales.

Contrer la superpuissance sanitaire chinoise

Mais avant d’être un outil prophylactique, l’APD est un levier géopolitique et géoéconomique. Elle sert le développement durable dans toutes ses dimensions, économiques, humaines et environnementale. Mais elle prend aussi place dans une lutte entre sphères d’influence entre, d’une part, la Chine, omniprésente en Afrique et en Asie du Sud, et, d’autre part, les Etats occidentaux réunis au sein du Comité d’Aide au Développement (CAD).

Forte de ses réserves financières, la République Populaire de Chine a lancé une stratégie autonome d’investissements, de dons et des prêts en direction des pays en développement et des pays les moins avancés. Elle n’a pas attendu le projet de Nouvelle Route de la Soie de Xi Jinping pour solidement s’établir en Afrique centrale, sur les pourtours du monde indien ou encore dans l’espace indo-pacifique. Le « piège de la dette » est suspendu au-dessus de plusieurs pays depuis longtemps. Désormais, c’est la dépendance à l’égard de la Chine en matière médicale, pharmaceutique et hospitalière qui guette ces États. En se posant en superpuissance sanitaire au fil de la crise, la Chine a montré qu’elle était prête à utiliser la crise pour renforcer ses positions partout dans le monde, à la faveur de la détresse médicale.

Là encore, l’APD doit permettre aux Européens de proposer au moins une alternative à la Chine. Plutôt que de réclamer, comme Donald Trump, des sanctions contre la Chine et plutôt que de démanteler, comme son administration, le multilatéralisme sanitaire de l’OMS (critiquable assurément), les Européens doivent poursuivre leurs efforts d’APD.

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