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Comment la Chine s’assure le contrôle des institutions internationales : les bases d’une stratégie conquérante amorcée après 1979
©DENIS BALIBOUSE / POOL / AFP

A petits pas

Deuxième partie d'une série de quatre articles dans lesquels Antoine Brunet présente la pénétration des grandes institutions internationales qu’a opérée la Chine après la crise de 2008.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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La première partie de l'analyse d'Antoine Brunet : la subordination récente de multiples instances par Pékin

Comment la Chine a-t-elle donc réussi à s’assurer le contrôle de ces nombreuses institutions internationales ? Serait-ce imputable à une simple négligence renouvelée des Etats Unis et des autres pays démocratiques ?

Nous ne le pensons pas. Certes, nos pays démocratiques à l’évidence ne sont pas assez vigilants par rapport aux grandes manœuvres que déploie le Parti Communiste Chinois à l’échelle de la planète. Mais cette prise de contrôle de la Chine sur de nombreuses institutions de l’ONU est en réalité un des résultats majeurs auxquels a abouti la longue stratégie conquérante du Parti Communiste Chinois, une stratégie qui a pris forme en 1979 juste après que Deng Xiaoping fut devenu le N° 1 incontesté du PCC.

Cette stratégie a permis en particulier à Pékin de vassaliser un nombre considérable de pays de la planète Et c’est, comme on le verra, grâce à cela qu’elle réussit à faire nommer des Chinois ou des personnes acquises à la Chine à la tête de ces institutions internationales.

Il nous faut, à ce stade, effectuer un retour en arrière jusque 1979 et résumer, schématiquement et en quelques étapes chronologiques successives, la stratégie géopolitique conquérante qu’a conçue et concrétisée le Parti Communiste Chinois (le Parti-Etat qui dirige la Chine) pour obtenir ce grand réseau de pays qui lui sont vassalisés.

Phase 1 : le Parti Communiste Chinois, grâce au régime totalitaire qu'il a instauré en 1949 sur la population chinoise, établit sous Deng (1979) une véritable dictature SUR le prolétariat ouvrier chinois, à savoir sur ceux qu’on appelle les mingongs ; ceux-ci constituent une catégorie sociale maintenue à part de la société chinoise par le Parti Communiste Chinois ; ils sont presque tous ouvriers d’usine et ils constituent la grande majorité des ouvriers d’usine en Chine.

Qui sont les mingongs ? ils sont une catégorie sociale que le Parti Communiste Chinois a maintenue très à part (un peu comme les Intouchables le sont en Inde). Ils sont aujourd'hui, selon une source officielle chinoise, 280 millions d'adultes actifs, soit 35% environ de la population active chinoise (770 millions selon source officielle).

Ces adultes sont complètement séparés du reste de la population : ils vivent dans la zone côtière, ce qui les maintient très éloignés de leurs parents âgés et de leurs jeunes enfants qui, eux, sont contraints de rester vivre dans les provinces rurales intérieures ; ils vivent le plus souvent dans des dortoirs collectifs à proximité des usines de la zone côtière en étant maintenus à l’écart des populations des grandes villes côtières 

A son arrivée au pouvoir en 1949, le PCC a repris à son compte une législation (qui était permanente au temps des empereurs de Chine successifs) selon laquelle les Chinois ordinaires doivent sauf exception demeurer leur vie entière dans leur province d'origine et selon laquelle ils n’ont pas le droit de migrer dans une autre province.

Le PCC sait fort bien que, particulièrement depuis 1979 et les réformes de Deng Xiao Ping, beaucoup de personnes adultes qui sont originaires des provinces rurales intérieures ne peuvent trouver d'emploi sur place et sont contraintes, pour leur survie et celle de leurs familles (enfants et ascendants), de migrer vers les provinces côtières même s’ils n’obtiennent pas les autorisations nécessaires ; le PCC ferme les yeux sur ces adultes chinois des provinces intérieures rurales qui migrent vers les provinces côtières (où sont les emplois d’ouvriers) alors même qu’ils sont dépourvus du papier nécessaire (le hukou). Pourquoi ? parce que, comme on va le voir, cette configuration fournit la base essentielle des succès de l'industrie chinoise à l'exportation.

En effet, ces migrants, une fois sortis de leur province d’origine deviennent des mingong (des sans-papiers) : dans les provinces côtières où ils vivent et ils travaillent, ils sont dans l’illégalité et peuvent à tout moment être arrêtés ou renvoyés dans leur province d'origine où il y a peu d'emploi pour eux ; ils sont donc très vulnérables et ils se tiennent de ce fait complètement « à carreaux » ; ils sont dans une incapacité totale à exercer quelque action revendicative, et ce d’autant plus que la population environnante n’a pratiquement pas de relations sociales avec eux ; au total, la société chinoise sous l’égide du PCC contraint les mingong à se résigner à des salaires de misère (assimilable à celui des ouvriers en Europe au début du XIXème siècle).

Les mingong travaillent comme ouvriers dans l'industrie et particulièrement dans l'industrie à l'exportation.

En 2005, du fait de ce que nous venons d’exposer, les mingong coûtaient à leurs employeurs industriels 80 fois moins cher que les ouvriers américains ou européens à leurs propres employeurs (Source : entretien professionnel de l’auteur en 2005 avec les stratégistes d’une grande multinationale industrielle ayant des usines à la fois en Chine, aux Etats Unis et en Europe) et environ 9 fois moins cher que les ouvriers mexicains à leurs employeurs industriels.

Maintenant encore, ils coûtent à leurs employeurs environ 30 fois moins cher que les ouvriers américains ou européens à leurs employeurs industriels et 8 fois moins cher que les ouvriers mexicains à leurs employeurs industriels (les ouvriers mexicains coûtent 4 fois moins cher à leurs employeurs industriels que les ouvriers américains à leurs employeurs industriels).

Supposons deux boulangers voisins, l'un fabrique sa baguette avec un prix de revient de 3 centimes et l'autre avec un prix de revient de 90 centimes. Le premier va inévitablement réussir à ruiner et à faire disparaître le deuxième, par exemple en portant durablement son prix de vente à la fois très en dessous du prix de revient de son concurrent et très au-dessus de son propre prix de revient. C'est à un tel destin que s’exposent les pays occidentaux quand ils continuent à accepter le libre-échange absolu avec la Chine.

Il faut insister sur ce point. On est depuis 2001 dans une configuration, à la fois incroyable et jamais vue antérieurement, celle d’une mondialisation sans aucune vraie frontière douanière, mondialisation qui est accompagnée d’un avantage considérable de coût salarial ouvrier horaire que s’est construit unilatéralement un seul pays (qui par ailleurs est immense), la Chine.

On remarquera au passage que cette surexploitation des ouvriers mingong par la Chine s'assortit d'une hiérarchie des revenus et des patrimoines qui est considérable et que le Parti Communiste Chinois ne cherche même plus à occulter : il admet par exemple que le coefficient de Gini, qui est utilisé pour synthétiser et comparer, dans le temps ou l’espace, les inégalités de revenus, est plus important en Chine qu’aux Etats Unis.

Si le Parti Communiste Chinois "réussit" à maintenir dans un tel étau 35 % de la population active chinoise, c'est parce qu'il a instauré en 1949 un régime politique qui est totalitaire, qui est resté totalitaire lors de la transition en 1978 de l'économie « collectiviste à la Mao » à l'économie « capitaliste à la Deng » et qu'il est résolu à maintenir intact ce régime. C’est une répression féroce qui attend un mingong qui s’opposerait aux règles imposées par le Parti ou, pire encore pour lui, qui essayerait d’organiser une réaction collective de ses collègues mingong….

Phase 2 : A cause de cela, à partir des années 80 et 90, les pays développés (généralement démocratiques) mais aussi les pays émergents eux-mêmes se sont trouvés dans l'incapacité de rivaliser avec le prix de revient des produits made in China.

Dès les années 1990, le PCC a pu faire observer aux grandes entreprises occidentales que, face à la compétitivité salariale ouvrière dont dispose désormais la Chine, elles seraient perdues d'avance si elles restaient localisées sur leurs territoires d'origine.

Pékin leur a fait miroiter a contrario tout l'avantage qu'elles auraient à concentrer leur activité de production sur le territoire chinois, pour dégager des marges unitaires considérables en produisant en Chine avec des coûts salariaux ouvriers horaires chinois qui sont très bas pour vendre à leurs clients occidentaux à des prix occidentaux qui restent élevés.

Pékin a fait valoir ensuite aux multinationales qui manifestaient leur intérêt que l'avantage serait encore plus mirobolant pour elles si les ventes de leurs produits made in China et exportés dans le reste du monde échappaient à tout droit de douane.

C'est ainsi qu'on a vu se mettre en place à partir de 1990 une coalition de facto entre le PCC et beaucoup de multinationales pour que l'exécutif américain finisse par donner son feu vert à l'entrée de la Chine à l'OMC. Cela eut lieu fin 1999, à la fin du deuxième mandat de Clinton même si l'adhésion formalisée de la Chine à l'OMC eut lieu seulement fin 2001.

Dès lors, non seulement les pays du reste du monde (Pays Occidentaux, Pays Emergents, Russie...) demeuraient exposés à la sur-compétitivité salariale ouvrière de la Chine (qui prévalait depuis 1978) mais ils perdaient désormais aussi toute capacité à s'en protéger par "les artifices très utiles" que sont les droits de douane ou les quotas à l'importation.

Pour faire bonne mesure, la Chine entreprit, entre 1994 et 2000, un processus de dévaluation unilatérale du yuan contre dollar et contre toutes monnaies. En 2001, le cours du dollar était fixé par Pékin à 8,28 yuan quand le FMI, tenant compte du niveau des prix à la consommation en Chine et aux Etats Unis, estimait que le cours aurait dû se situer à 2 yuan ; le yuan était alors sous-évalué de 76%.

Aujourd'hui, l’avantage de change de Pékin demeure. Le cours du dollar est fixé par Pékin à 7,05 yuan environ quand le FMI estime qu'il devrait être à 3,51 ; le yuan est donc encore sous-évalué de 50%, ce qui demeure considérable et qui devrait être rejeté comme déloyal et inadmissible.

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