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Angela  Merkel "la patronne de l’Europe" immobile
©Michael Kappeler / POOL / AFP

Solutions européennes

Un sommet virtuel du Conseil européen s'est déroulé ce jeudi 23 avril. Les dirigeants ont tenté de trouver des solutions pour sortir l'UE de la récession due à la pandémie de coronavirus. Angela Merkel semble avoir réaffirmé son statut et avoir réaffirmé la position de l'Allemagne sur la question des corona bonds.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Le jeudi 23 Avril 2020 s'est déroulé le sommet européen - virtuel - au sujet des corona bonds.

Qu'avez-vous retenu de ce sommet ? Les personnalités politiques vous ont-elles convaincues ou était-ce un coup d'épée dans l'eau ? Quelles politiques pour l'après-confinement?

Christophe Bouillaud : Clairement, le Conseil européen par vidéoconférence du 23 avril 2020 s’est contenté de confirmer sur le plan des orientations financières les résultats de l’Eurogroupe, la réunion des ministres de l’économie et des finances tenue le 9 avril. Le Conseil européen demande que les mesures prévues dans ce plan d’urgence rentrent en application au 1er juin 2020. Par ailleurs, les 27 dirigeants ont approuvé Une feuille de route pour la relance. Vers une Europe plus résiliente, plus durable et plus juste, un document de cinq pages qui additionne les bonnes intentions et les ambiguïtés constructives, et, qui, je dois le dire, aurait très bien pu être écrite par n’importe quel étudiant de master 2 en études européennes. 

Les politiques pour l’après confinement annoncées dans ce document sans grande imagination ménagent à la fois les espoirs de l’ancien monde et du ceux d’un éventuel nouveau monde. On veut à la fois tout changer et ne rien changer. C’est logique : on veut sans doute par exemple chez les dirigeants européens à la fois sauver par exemple l’industrie automobile telle qu’elle était au début de cette année 2020 et ne pas abandonner l’idée d’un « Green Deal ». 

La seule chose d’un peu nouvelle, c’est que les dirigeants des 27 chargent désormais la Commission européenne de leur proposer un Fonds pour la relance et d’articuler ce dernier avec la redéfinition du Cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne (2021-2027).  C’est l’élément intéressant de la réunion, parce que, contrairement à tous les mécanismes déjà approuvés le 9 avril et validés donc par ce Conseil, il s’agirait plutôt de discuter de transferts comme dans le budget européen classique plutôt que de prêts ou de garanties de prêts. Un prêt doit être remboursé et s’ajoute aux dettes déjà là. En effet, le gros des chiffres annoncés jusqu’ici correspond à des moyens qui permettent aux Etats membres de se financer, d’emprunter donc, à bas coût, soit à travers l’action massive de la Banque centrale européenne sur les marchés financiers, soit à travers des mécanismes de mutualisation qui permettent de limiter le coût des emprunts pour chaque pays membre, mécanismes qui laissent à chaque pays la charge du futur remboursement de cet emprunt. 

Même si les pays membres ne sont pas d’accord entre eux à ce stade, puisqu’il s’agit simplement de demander à la Commission des idées sur lesquelles discuter ensuite, on s’approche lentement d’une réflexion sur la nécessité d’aider plus certains pays à travers le budget européen, là où s’exerce la vraie solidarité européenne. Concrètement, cela revient aussi en filigrane à poser la question de l’endettement d’un pays comme l’Italie. Il était avant la pandémie à 130% d’endettement par rapport à son PIB. Avec la crise, on parle d’un endettement à 150%, voire bien plus en part de son PIB. Sa situation va donc devenir à terme ingérable dans le cadre d’une monnaie unique comme l’Euro, la moindre hausse des taux d’intérêt lui serait fatale, et les électeurs italiens refusent en plus la mise sous tutelle de leur budget national, comme en 2011-13, pour garantir aux prêteurs le remboursement de cette dette. Pour l’instant, suite à ce Conseil européen, les marchés semblent douter pourtant de la capacité collective des européens à aider vraiment l’Italie, d’où une augmentation des taux d’intérêt sur la dette italienne. 

En somme, c’est un Conseil européen de crise, « classique », un round d’observation en quelque sorte. L’accentuation de la crise économique, avec éventuellement des anticipations défavorables sur les marchés financiers, devrait accélérer les choses par la suite. 

Une figure semble pourtant se détacher des autres en la personne d'Angela Merkel... A-t-elle réaffirmé son statut de "patronne de l'Europe" ? De l'Allemagne ?

Pour ce qui de son statut en Allemagne, elle bénéficie indéniablement de la très bonne gestion de la crise sanitaire outre-Rhin et de sa capacité à expliquer calmement les choses avec l’esprit de scientifique converti à la politique qui la caractérise. Sa popularité est à un niveau étonnant, plus de 80% des Allemands seraient satisfaits de son action. Cela lui laisse sans doute quelque latitude pour faire avancer les choses sur le plan européen en demandant plus de solidarité à ses électeurs.

Au niveau européen, elle semble avoir accepté l’idée de faire croître temporairement le budget de l’UE à 2% de la richesse européenne, contre 1% dans tous les budgets européens depuis les années 1990. On ne serait pas loin d’un doublement, et dans ce cadre, l’Allemagne, premier contributeur, devrait payer plus. Du point de vue macro-économique, il n’est pas sûr que ces sommes suffisent à relancer vraiment l’économie européenne, mais au moins l’idée commence à germer qu’il faut faire croître le budget européen. C’est à vrai dire la seule façon de vraiment mutualiser sur un territoire donné les dépenses des composantes de ce dernier que d’avoir un budget commun, comme dans tout Etat fédéral. En tout cas, A. Merkel a eu la prudence de ne pas clore la discussion. 

Probablement, vu qu’elle est à la tête de la Chancellerie depuis des lustres, son poids politique au sein du Conseil européen doit aussi être renforcé par cette ancienneté. 

La France - et Emmanuel Macron - ont-ils toujours un poids dans les décisions en Europe ? Comment faire pour se mettre à l'heure allemande ?

La France doit peser tout de même, parce qu’au moins la discussion sur un Fonds de relance et sur une révision du Cadre financier pluriannuel est ouverte. Tous les pays demandeurs d’une telle approche, en particulier l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, peuvent aussi se déclarer satisfaits. La porte n’est pas fermée. 

Pour mesurer l’influence réelle d’Emmanuel Macron dans ces discussions, encore faudrait-il y avoir accès. On retombe sur le problème des Conseils européens pour les chercheurs. Ils se tiennent à huis clos, et, dans la situation présente, la vidéoconférence est un huis-clos renforcé par le fait que les journalistes ne peuvent même pas recueillir des bruits de couloir comme lors d’un Conseil européen classique. 
Pour ce qui est de se mettre à l’heure allemande, je ne crois pas que l’expression soit la bienvenue. Je rappelle que cette expression correspond au fait que, pendant l’Occupation (1940-1944), la France occupée a été contrainte par l’occupant nazi d’adopter le fuseau horaire de Berlin. Elle signale donc la soumission de la France, Ce sont au contraire les autres pays européens qui s’efforcent de faire comprendre aux dirigeants des pays dits « frugaux », dont les dirigeants allemands, que l’heure n’est plus à la frugalité : pour combattre une crise économique comme celle que nous vivons, il faut pouvoir dépenser pour relancer la machine.  A vrai dire, le débat économique en Allemagne a évolué ces dernières semaines sur ce point : il y a une prise de conscience que les pays les plus touchés, en particulier l’Italie, ne pourront pas relancer sans une aide massive de ses partenaires. Ou alors cela finira mal, et l’Italie quittera le navire européen pour essayer de se sauver par elle-même. 

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