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Vie par temps de pandémie : combien de temps mettons-nous à intégrer vraiment une nouvelle réalité ?
©DENIS CHARLET / AFP

Nouveau monde

L'épidémie de Covid-19 entraîne un bouleversement de notre quotidien, dans le monde entier. Un séisme qui n'a pas de précédent dans l'Histoire.

Serge Berstein

Serge Berstein

Serge Berstein est un historien français du politique. Docteur ès lettres, il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Membre des conseils scientifiques de la Fondation Charles de Gaulle et de l'Institut François-Mitterrand, il est  également l'auteur de nombreux ouvrages.

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Agnès Delneufcourt

Agnès Delneufcourt

Agnès Delneufcourt est Psychologue du Travail & Gestalt Thérapeute du Lien 

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Atlantico : La crise du COVID-19 entraîne une restriction de nos libertés. Peut-on faire un parallèle avec des événements historiques majeurs liés ou non à des pandémies ?

Serge Berstein : Il me semble vain de chercher des précédents historiques à la crise du coronavirus, phénomène lié à la mondialisation qui a atteint son apogée au début du XXI° siècle. Il y a évidemment corrélation entre l’importance des échanges mondiaux, l’extrême rapidité des transports , l’instantanéité de l’information et la manière dont, en quelques semaines, un virus inconnu s’abat sur la planète entière . Si le monde a connu au cours de l’histoire bien des vagues épidémiques dévastatrices, aucune n’a revêtu cette expansion foudroyante ; ni d’ailleurs cette mobilisation de toutes les sociétés humaines.

En ce qui concerne les restrictions de liberté, le seul élément comparable serait celui des deux guerres mondiales du XX° siècle, mais avec des différences fondamentales. L’interdiction de se déplacer et de circuler librement ne concernait que les zones militaires et n’était en rien un confinement. En revanche la censure bridait très largement le liberté de pensée comme la liberté de parole, ce qui n’est pas, loin s’en faut, le cas aujourd’ hui où les opinions réclament la transparence.

En 1991, à la chute de l’URSS, le monde fait face à des bouleversements économiques, culturels et sociétaux. Comment les populations ont-elles réagit à cette époque ? Retrouvez-vous dans ces comportements un effet miroir avec nos sociétés actuelles ?

Serge Berstein : L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 et sa corrélation, la disparition des régimes communistes européens ne saurait non plus être comparée à cette crise. Sans doute a-t-elle entraîné des bouleversements économiques, sociaux, culturels en Europe de l’est, mais elle a été l’épilogue d’une confrontation qui débute en 1945 entre le communisme et la démocratie libérale et elle a plutôt renforcé cette dernière au point de faire penser à une « fin de l’histoire ». Bien entendu, il n’en a rien été, de nouveaux clivages apparaissant dans les années qui ont suivi.

Agnès Delneufcourt : Oui à l’évidence. Cependant il faut comparer à périmètre égal… et prendre l’exemple peut être d’une autre crise sanitaire. Toutefois, l’impact de la crise sanitaire va toucher à la fois tous les modèles : qu’ils soient financiers, politiques, économiques, géo-politiques, climatiques, sociétaux, collectifs et individuels. Je considère que l’Histoire n’est qu’une succession de cycles avec genèse /déploiement et rupture. Nous sommes à un point de rupture qui en soi est très « apprenant » si tant est que chacun et collectivement puissions intégrer et modifier post crise.

Ces bouleversements (économiques, culturels et sociétaux) peuvent-ils, selon vous, avoir de nouveau lieu après le coronavirus ? 

Serge Berstein : Pour autant, il existe sans doute un élément de comparaison avec les effets possibles du coronavirus, c’est celui de la crise économique de 1929. Elle a touché le monde entier, elle a provoqué des bouleversements économiques, sociaux et culturels et elle a conduit les responsables politiques à chercher des remèdes inédits, les sociétés à évoluer et les intellectuels à s’interroger sur les solutions adéquates à l’organisation d’un monde nouveau. De cette réflexion sont sortis au lendemain de la seconde guerre mondiale de remarquables réformes économiques et sociales, un renouveau de la démocratie, des sociétés plus solidaires. On ne peut que souhaiter que la crise sanitaire qui ébranle le monde aujourd’hui, aboutisse à une révision du même ordre face aux problèmes de tous ordres que doit affronter aujourd’hui une planète désemparée.

Nos modes de vie ont été réadaptés en l’espace de quelques jours. Ces démarches et prises de conscience ont d’abord été individuelles. Combien de temps faut-il à une société pour accepter puis s’adapter collectivement à de tels changements ? 

Agnès Delneufcourt : Tout dépend de l’état de « maturité » d’un sujet, d’un collectif, d’un pays… L’ex de la Suède par ex souligne une stratégie différente dans la gestion de la crise, avec une relative indépendance face à la contrainte du confinement. Je ne dis pas qu’ils sont plus ou moins matures que l’Europe ou autres pays. Je pense que la prise de conscience sera post confinement même si cette expérience y participe… Cependant, pour l’heure, la crise met chacun face à l’enjeu de mort possible et motive des comportements « dérives » issus de la peur du manque, de la mort.. Donc dissociés d’une quelconque prise de conscience mais motivée par l’enjeu de survie. Je pourrai imaginer que les transformations pourraient s’intégrer dans un délai de 5 ans, pour le pays. Avec déjà bien sur des prises de conscience individuelles et transformations en sortie de crise. Perso, je vais modifier mon rapport au travail, à l’alimentation, à une conscience plus « écologique » et aussi à une façon de vivre visant plus de plaisir et d’essentiel.

Quelle(s) distinction(s) peut-on faire entre acceptation individuelle et collective ? Existe-t-il un rapport d’influence pour faire évoluer l’individuel ? 

Agnès Delneufcourt : Du collectif vers l’individuel, ils sont d’un impact plus fort mais je pourrai imaginer de plus courte durée. Les applaudissements du 20 h soulignent une volonté collective de mobiliser l’individuel pour honorer les soignants et plus. Les stratégies étatiques diverses fédèrent (ou pas) un pays tout entier, le temps de la gestion de crise Le collectif des soignants participe à un dépassement de soi soutenue par une action individuelle qui devient collective, sans doute le temps du confinement

De l'individuel vers le collectif, ils sont d’un impact plus discret et pourraient perdurer ? Pas certaine non plus. Des actions de solidarité individuelle qui se déploie dans les immeubles / villages ?

Dans quelques semaines, à la fin de ce confinement, la notion de collectif peut-elle perdurer ? Sera-t-il tout aussi complexe de retrouver ses habitudes que cela l’a été en les perdant ? 

Agnès Delneufcourt : Tout dépend du comment chacun s’est approprié cette « expérience ». Selon les histoires personnelles de chacun, ce « confinement » va réactiver des angoisses, peurs, doutes, pertes de sens tout autant qu’il peut participer à des changements, durant même ce confinement. L’expérience du confinement nous met face aux 5 contraintes existentielles qui sont :

La solitude / La finitude (la mort) / La quête de sens / La responsabilité / L’imperfection.

Chacun, là encore, selon son chemin, sa maturité, va accueillir avec plus ou moins de sagesse ces contraintes. Il est clair que le besoin d’être relié se manifeste de manière forte, avec les aperos-skype, l’ingéniosité pour reprendre lien. Reste à savoir si ce lien permet de panser l’angoisse où s’il est nourri par la prise de conscience que rien n’est définitif et qu’il est important d’aller à l’essentiel ?

Je pourrai toutefois être optimiste en pariant sur le fait que des transformations auront lieu, plus à titre individuel mais que celles-ci vont se heurter aussi à la nécessité de remettre le pays debout, ce qui va réactiver, post confinement, le besoin pour tous soit de « relever les manches et de « rattraper le temps perdu ».. ??? ou de relancer autrement l’économie dans une conscience raisonnée, c'est-à-dire, en acceptant le processus de « pertes »… financières, et ce, à quelque niveau que ce soit… ?

Je ne suis pas dans une vision idéalisée du monde. La part sombre de l’humanité sera toujours présente… et quelque part, c’est normal. Une société où ne résiderait que le « bien » serait presque idéologiquement dictatoriale… Je pense toutefois, qu’une part importante des individus participera à être garante des transformations.

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