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Ce risque politique énorme que prend le gouvernement en ne limogeant pas le Préfet Lallement
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Dérapages à répétition

Le préfet de police de Paris, Didier Lallement, a provoqué la polémique en déclarant que les personnes hospitalisées à cause du Covid-19 sont celles qui n'avaient pas respecté le confinement.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : "Ceux qui sont aujourd'hui hospitalisés, ceux qu'on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui, au début du confinement, ne l'ont pas respecté", a déclaré le préfet de police de Paris, Didier Lallement, qui a rapidement provoqué l'indignation sur les réseaux sociaux et dans la classe politique. En tant qu'expert en communication, que pensez-vous de ce dérapage (étant donné qu'il n'en est pas à son premier) ? Comment se fait-il qu'à part un court communiqué de Christophe Castaner le gouvernement ne se soit pas indigné ?

Arnaud Benedetti : Les provocations verbales du Préfet Lallement sont devenues un marronnier de la République. Elles infectent la parole d’Etat, elles abîment l’image des forces de l’ordre, elles nuisent à celle de ce grand corps qu’est le corps préfectoral, et dans les circonstances actuelles elles sont, il faut le dire, insupportables car elles sont fausses factuellement, appartenant au registre d’une forme de fake-news d’Etat, elles sont enfin insultantes moralement. Nous assistons de facto depuis le début de cette crise à un recul, sous couvert d’impératif sanitaire, de l’indignation citoyenne. Celle-ci au demeurant est stigmatisée au nom de la cohésion nationale que les autorités et un certain nombre d’éditorialistes "organiques" ne cessent d’invoquer à l’épreuve de la crise. Tout se passe comme si sous le choc du confinement, en quelques jours, la sidération acculturait une partie de l’opinion à une certaine "servitude volontaire". Pour le dire simplement, nous remettons nos libertés dans les mains d’un "Léviathan" censé nous protéger. Cette atmosphère développe une sensibilité de résignation au pire, d’attentisme au mieux qui rend peu audible pour le moment les paroles de questionnement. Le Préfet par ses mots aussi stupides qu’inconvenants a laissé parler un inconscient d’Etat particulièrement préoccupant. Il s’est cru autorisé par cet arrière-fond à monter d’un cran dans l’échelle de la transgression dont il est coutumier. Ceci étant, l’expression restant libre, les réseaux sociaux aidant aussi, l’énormité de ses déclarations a provoqué un tollé salutaire. D’où le communiqué de presse de son ministre qui a fait le service minimum en matière de rappel à l’ordre. C’est très nettement insuffisant car cela apparaît comme un artifice communicant visant à couvrir un comportement indécent.

Quels sont les risques - à court terme comme à long terme - de cette parole pour le gouvernement ? Doit-il débarquer Didier Lallement afin de tenir le cap ?

L’exécutif fait le pari que le flux continue et permanent de l’actualité consommera le dérapage de ce Préfet. C’est possible à court terme. Mais c’est oublier que les opinions disposent d’une mémoire qui met en pause certes pour mieux sédimenter et conserver. C’est la réputation de la bienveillance étatique que le pouvoir souhaite mettre en scène, notamment à travers la parole toujours soignée du Premier ministre, qui est mise à mal à travers cette "sortie" du préfet. Ce dernier, par sa fonction, est le délégataire du logos de l’Etat. Il ne peut en aucun cas jouer son propre registre, sauf à contredire la partition générale, la tonalité d’ambiance de ses donneurs d’ordre. On a déjà vu dans cette période exceptionnelle ce que l’absence de maîtrise rhétorique de la porte-parole du gouvernement avait suscité comme controverses. Être un homme ou une femme publique, à fortiori en situation de responsabilité, nécessite de résister à la pression et de discipliner son expression. Le problème du Préfet de police c’est qu’il est un récidiviste, et qu’il s’arroge en outre une liberté de ton absolument rédhibitoire au regard de son devoir de neutralité. Ce professionnel de l’ordre public entretient un désordre communicant que seul son remplacement permettrait de réparer.

Didier Lallement a, vendredi dans l'après-midi, présenté ses excuses. Le gouvernement devrait-il en finir avec les paroles non contrôlées et ne pas tout accepter ? N'en sortirait-il pas renforcé ?

Ce rétropédalage n’efface en rien le fait déclencheur. Car encore une fois, Il n’en est pas à son "coup d’essai". L’un des problèmes de l’exécutif c’est que les exigences de civisme et de maîtrise qu’il sollicite des français et des oppositions en ces temps indéniablement complexes, il ne l’exige pas de ses serviteurs. Les mots d’excuse du Préfet sont le produit d’une ingénierie communicante qui s’efforce d’éteindre la polémique. Ils apparaissent pour ce qu’ils sont : un exercice de com’ insincère. Il ne suffisait pas de faire avaler sa casquette au préfet, il eut fallu la lui faire raccrocher au vestiaire. Un acte d’autorité eut été mille fois plus efficient que de molles paroles de repentance. Les Français sont entravés dans leur liberté de circuler, pour certains d’entre eux la visibilité de leur avenir est une source légitime d’angoisse ; faut-il en plus les stigmatiser pour une situation dont ils ne sont pas responsables ?

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