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Euro-panique ? L’Europe du Sud montre les dents, l’Europe du Nord tente de déminer, Bruxelles menace
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Solidarité européenne ?

L'Union européenne est confrontée à de nombreux dilemmes face à la crise du coronavirus. Est-il encore temps de sauver l’Union européenne ? Y a-t-il encore une volonté à l’œuvre au sein de l'UE ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Sylvain Kahn

Sylvain Kahn

Professeur agrégé à Sciences Po, où il enseigne les questions européennes et l’espace mondial. Sylvain Kahn est professeur agrégé au sein du département d’histoire à Sciences Po. Depuis 2001, il enseigne les questions européennes. Docteur en géographie et diplômé de géopolitique, agrégé d'histoire, normalien et chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, il a publié aux PUF Histoire de l’Europe depuis 1945 ; Le pays des Européens avec Jacques Lévy chez Odile Jacob ; Géopolitique de l’union européenne et Dictionnaire critique de l’Union européenne, chez A. Colin ; et Les universités sont-elles solubles dans la mondialisation ? chez Hachette. Il est le responsable et le co-auteur du mooc Géopolitique de l’Europe, diffusé en ligne en français et en anglais sur les plates-formes Coursera et Fun. Chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, ses travaux portent principalement sur deux sujets : la place et le rôle de l’Etat-nation dans la construction européenne ; la caractérisation de la territorialité de l’Union européenne.

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Atlantico.fr : L'Union européenne semble déstabilisée face à l'épidémie du Covid-19. Comment l'Union européenne gère-t-elle cette crise depuis le début de la pandémie ?

Christophe Bouillaud : Pour répondre à cette question, il faut bien distinguer les aspects « communautaires » et « intergouvernementaux » de l’Union européenne. 

Sur le plan communautaire, là où la souveraineté des Etats est fortement déléguée à des institutions supranationales, pour ne pas dire fédérales, il faut tout d’abord noter que la Banque centrale européenne (BCE), après une maladresse initiale de sa nouvelle Présidente, Madame Lagarde, a pris l’initiative de frapper vite et fort pour calmer les anticipations des marchés financiers. Cette institution semble bien décidée, avec ses composantes nationales, pour éviter toute thrombose monétaire, toute incapacité des banques à jouer leur rôle dans l’économie. Elle se rapproche aussi petit à petit d’un financement monétaire pur et simple des Etats en difficulté. 

Du côté de la Commission européenne, la réaction a certes été moins immédiate, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas en face d’elle des marchés financiers à maîtriser sur l’heure, mais, face à la fermeture des frontières entre pays membres pour raisons sanitaires, elle a insisté sur l’intégrité du marché intérieur afin de permettre la continuité des flux de marchandises. Elle a aussi indiqué que la période était exceptionnelle, et que, donc, les règles ordinaires de prudence budgétaire ne s’appliqueraient pas. Elle a même ressorti du placard un vieux projet européen de financement centralisé des assurances chômage nationale pour répartir la charge financière du choc économique en cours. Du côté sanitaire stricto sensu, dans la mesure où le niveau communautaire de l’Union européenne n’a pas développé une doctrine propre distincte de celle de l’OMS, elle ne peut guère qu’entériner les différentes politiques en la matière des Etats membres sans pouvoir les critiquer sur des bases propres : en particulier, le confinement n’a pas été choisi par la Suède jusqu’à ce jour. 

Par contre, du côté des Etats membres, c’est-à-dire du côté intergouvernemental de l’Union européenne, force est de constater que les difficultés se multiplient. 

D’une part, tous les pays se sont fait surprendre : une fois l’épidémie installée en Italie du nord, personne parmi les dirigeants nationaux n’a vraiment compris que le sort sanitaire de leur propre pays ressemblerait dans quelques jours ou dans quelques semaines à celui de l’Italie. L’absence de réactivité restera frappante pour les historiens. Il y là la preuve d’une distance mentale entre pays européens. Qu’une épidémie en Chine n’inquiète guère, soit, la Chine est symboliquement loin, même si nous consommons tout le temps des produits made in PRC, mais une épidémie en Italie ? C’est sans doute l’effet d’une Union européenne conçue sur le mode d’une juxtaposition de « silos » nationaux, où chaque dirigeant national s’engage moralement à ne pas se mêler des affaires intérieures d’autrui, et au final s’y intéresse peu. Du coup, comme tout le monde s’est fait surprendre, tout le monde se précipite sur les ressources indispensables pour lutter contre la pandémie. Et cela fait plutôt désordre que de voir ces marchandages entre pays européens sur les masques, les respirateurs, les médicaments, etc. 

D’autre part, on voit le retour de la même discussion qu’en 2010-2012 lors de la crise de la zone euro : qui doit payer et comment les frais de la crise sanitaire, économique et sociale ? Les lignes de partage sont toujours les mêmes : les pays « fourmis » (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande) contre les pays « cigale » (Italie, Espagne, Grèce, Portugal), avec la France « mi-Cigale, mi-Fourmi », qui essaye de satisfaire les deux camps alternativement. Or comme la crise de 2010-12 n’est pas si loin, ni les dirigeants ni les peuples des pays « cigale » n’ont oublié les effets des mauvais conseils des pays « fourmis ». L’austérité comme solution standard à la crise économique, ils ont déjà donné, et ils ne veulent en aucun cas rejouer le même scénario. Comme en face, les dirigeants des pays « fourmi » doivent tenir compte de bases électorales qui, elles, ne veulent toujours pas payer pour ces « fainéants de sudistes », la situation peut se tendre rapidement. En particulier, les dirigeants italiens, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, savent qu’ils ne pourront plus faire accepter aucun sacrifice aux Italiens au nom d’une austérité quelconque, surtout une austérité imposée par d’autres pays ou par les institutions européennes.  

Sylvain Kahn : Il est important de rappeler que dans le domaine des politiques santé publique ce sont les Etats membres qui ont la compétences. Ce sont bien les Etats membres qui décident au fur et à mesure que les années passent, depuis la traité de Rome en 1957, ce qui est du ressort de l'Union Européenne et ce qui est du ressort des gouvernements nationaux. Or, aujourd'hui, et ce malgré le SRAS, la fièvre aphteuse ou encore la vahce folle, les politiques de santé, et c'est un souhait, restent du domaine des Etats nations. Dans ce contexte, ce que l'on observe, c'est que malgré l'UE en tant que telle ne reste pas inherte et prend un certain nombre de dispositions.

Vient ensuite un deuxième volet : celui de la solidarité bilatérale. Si les politiques de santé publiques ne sont pas du domaine de l'UE, les Etats membres peuvent bien évidemment décider de s'aider entre eux. Et là, que constate-t-on ? Effectivement, dans les premières semaines on a pû assister à un certain replis sur soi, à des réactions de peur et d'égoïsme. Au tout début de la crise, par exemple, les Français sachant très bien qu'ils manqueraient de masques n'en n'ont pas donné aux italiens. Puis dans un deuxième temps, et le deuxième temps est quand même venu très vite, notamment parce que la Commission européenne à appeler à l'entraide, on a vu la solidarité s'organiser. 

Une fois que l'on a dit ça, on voit bien que certains pays ont essayé de pointer l'UE du doigt pour son innaction mais ces représentations sont bien souvent inexactes et exagérées. Si cette vision des choses gagne en audience, en Italie par exemple, c'est en partie parce qu'effectivement il y a eu des réflexes d'égoïsme au début de la crise et ensuite à cause de l'abandon qu'à ressenti l'Italie au moment de la crise des migrants. On peut aussi regretter le manque le de réactivité, puisque ce qui est certain c'est que les pays européens -je rappelle que ce n'est pas une prérogative de l'UE- n'avaient pas tiré de leçons du SRARS de 2003. Seuls, la Corée dud Sud, Singapour, Taiwan, Hong Kong été mieux préparés face à cette crise. 

L'Italie se sent abandonnée, la colère monte en Espagne... Quelles discensions appercevons-nous actuellement au sein même de l'UE, notamment entre les pays du Nord et du Sud ? 

Sylvain Kahn : Pour ce qui est des discensions internes à proprement parler, on voit bien qu'il y a une très vivre critique adressée  par les gouvernements italiens, portugais et espagnols au pays que certains appeleaient les "pays radins" au moment des discussions autour du budget à savoir les gouvernement hollandais, suédois, finlandais, autrichien et dans une demi-mesure le gouvernement allemand. Ces critiques portaient sur le manque d'aide apporté par le nord au sud, notamment d'aide matérielle (masques par exemple) ou encore d'accueil des malades. La colère des gouvernements du sud soutenus de façon plus discrète par la France et la Belgique portait également sur la mutualisation de l'effort financier.

Une mutualisation qui a désormais été enclenchée par l'UE dans le cadre de la lutte contre les conséquences économiques et sociales du coronavirus. Ces conséquences entrent dans le champs même de compétences de l'UE -contrairement à la politique de santé publique- et, pour le coup, on peut voir le verre à moitié plein mais des mesures sont bien en train d'être prises. On voit même que ces mesures ont été prises bien plus rapidement que lors de crise des dettes souveraines. On peut rappeler d'une part la suspension des critères de Maastricht et d'autre part le rachat d'actifs par la BCE. On ne peut donc pas accuser l'UE de ne rien faire puisqu'elle décide ici, notamment, de faire filer la dette publique des Etats membres. 

L'Union européenne peut-elle tenir face aux effets du virus ?  Quels moyens peuvent être actionnés pour lui éviter de sombrer ?

Christophe Bouillaud : Il n’est pas impossible qu’elle tienne parce que, tout de même, le monde des entreprises, surtout les grandes et moyennes qui exportent dans un autre pays, reste favorable à l’Union européenne. En particulier, je ne suis pas sûr que ces dernières voient d’un très bon œil une éventuelle explosion de la zone Euro, qui consisterait une perturbation extraordinaire de tous leurs plans, de toute leur organisation productive et commerciale. 

Après, comme je l’ai dit, la faiblesse majeure de l’Union européenne, c’est son incapacité à trouver un moyen de financer la lutte contre tous les effets prévisibles de cette crise qui corresponde aux besoins de tous les Etats membres. Si nous allons vers une récession majeure en Europe, comme cela semble être presque une certitude à ce stade, il faut que chaque Etat puisse faire de son côté tout le nécessaire pour sauvegarder son économie. Mais il faut aussi ensuite que cette sauvegarde ne lui revienne pas comme un boomerang ensuite, au nom de la stabilité monétaire à assurer à toute force. En réalité, sauf à croire aux miracles, toutes ces dettes que les Etats vont devoir faire pour sauver leur économie, que ce soit les entreprises ou les ménages, il faudra bien trouver à un moment donné une façon de les apurer en commun (inflation, fiscalité, effacement ?) – ou alors, chaque pays choisira sa voie nationale vers l’apurement. 

Pour l’instant, c’est la BCE qui se trouve à la manœuvre, comme en 2012 pour sauver l’Euro « whatever it takes » (quoi qu’il en coûte). On peut sans doute imaginer que les dirigeants nationaux se mettent bientôt d’accord sur quelques mécanismes d’entraide pour compléter l’action de la BCE, comme celui déjà évoqué d’une assurance chômage européenne. En effet, il n’existe pas au niveau des dirigeants nationaux de la zone Euro de volonté de faire tout éclater. De mon point de vue, si éclatement il y a, ce sera plutôt par inadvertance, parce que l’on aura sous-estimé l’exaspération des dirigeants d’un pays ou d’un pays tout entier. L’Italie semble à ce stade le meilleur candidat à une telle sortie par désespoir, si j’ose dire. En effet, la dissolution de la zone Euro comporte un tel coût à court terme, surtout en pleine crise sanitaire mondiale, que je vois mal qui s’engagera sur cette voie sans y être poussé par des émotions puissantes qui ne sont pas encore là. Mais qui peuvent l’être dans quelques mois…

Donc en dehors de l’accident, les dirigeants européens devraient trouver comme en 2009 un accord pour relancer leurs économies, et  ces rustines devraient fonctionner tant qu’il n’y aura pas d’inflation. Cette dernière aurait en effet l’effet de mettre sous pression les dirigeants des pays « fourmi » pour quitter cet enfer inflationniste que serait alors devenue la zone Euro. Mais là encore, cela sera mal vu par les entreprises de ces pays, et là encore, il faudra bien de l’émotion pour prendre une telle décision. En somme, les dissolutions de fédération, qui ont pu exister dans l’histoire des peuples démocratiques, reposent toujours sur une immense émotion préalable que les dirigeants de l’heure ne font que mettre en musique. Je ne crois pas qu’au moins au sein de la zone Euro, aucun peuple n’en soit arrivé là. 

Par contre, en dehors de sauver encore une fois la maison Europe, à coups de « mécanismes à complication », il sera difficile ensuite, une fois la crise passée, de ne pas s’engager dans une réflexion plus résolue sur les errements des dernières années. Il faudra vraiment deux choses pour pouvoir continuer : un véritable espace médiatique européen : ce qui se passe à Milan ne doit plus indifférer à Paris ou à Stockholm, et un coup d’arrêt à la confusion entre l’intergouvernemental et le niveau européen est indispensable. Il va donc falloir choisir entre être une fédération avec sa monnaie, ou ne pas l’être et redevenir une simple coopération entre voisins. L’éternel provisoire qui a été choisi au début des années 1990  ne peut pas être la manière pour l’Europe de se gérer pour les prochaines décennies. Soit l’on revient à la simple coopération entre Etats, façon option AELE d’antan, soit l’on passe à la fédération. 

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