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Covid-19 : la stratégie sanitaire française est-elle efficace ? Analyse comparée des résultats par pays
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Coronavirus

La pandémie de COVID-19 n’a pas été stoppée par les stratégies de santé publique et leur coordination à l’échelle mondiale.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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La pandémie de COVID-19 n’a pas été stoppée par les stratégies de santé publique et leur coordination à l’échelle mondiale

C’est le constat de cette pandémie virale au SARS-CoV-2 (Figure N°1) qui, souvent, est appelée à tort crise sanitaire (https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6). L’OMS le reconnaît et après une phase de sidération a plusieurs fois enjoint les gouvernements des états à mieux coordonner leurs actions et évaluer leurs stratégies pour rapidement réorienter les décisions vers ce qui est le plus efficace. En Europe c’est le même constat que font dans le BMJ (https://www.bmj.com/content/368/bmj.m1075) des auteurs de la London School of Economics and Political Science. Or les stratégies ont été très différentes depuis le début. Et les premiers résultats sont préoccupants car la diffusion de la pandémie s’est amplifiée à sa sortie de Chine et le nombre de morts est très différent suivant les pays. Quelles preuves avons-nous d’une causalité entre les stratégies et ces résultats? Il faut être prudent dans cette analyse car le risque de se tromper est élevé en raison de l’urgence et aussi de l’incertitude résiduelle des données. Cependant l’Europe et les USA sont sur une trajectoire bien pire que celle de la Chine et d’autres pays d’Asie. C’est aujourd’hui incontestable. Et ce alors que nous étions prévenus. D’autres auteurs demandent plus d’Europe dans le futur pour que la coordination des efforts soit plus efficace mais ils n’apportent pas de preuves à l’appui que ce soit par des modèles ou bien par une analyse de la situation actuelle (https://www.bmj.com/content/368/bmj.m400?ijkey=05608db9702fcfc1e7161da18e8243bdc4298ff8&keytype2=tf_ipsecsha).

Figure N°1: Nombre de cas au 26/03/2020 depuis le 31/12/2019. La question qui se pose est celle des causes de cet emballement pandémique alors que l’épidémie asiatique s’est développée au su de tous. La Chine a 1,386 Milliard et l’Europe 741,4 millions d’habitants (https://www.ecdc.europa.eu/en/geographical-distribution-2019-ncov-cases).

Il y a plusieurs modes de présentation des résultats enregistrés dans les différents pays. Le tableau de bord est très utile mais il faut au-delà du quantum analyser la dynamique car la pandémie a une vitesse et une accélération fortes en raison de l’extrême contagiosité du SARS-CoV-2. Les Figures N°2 et 3 démontrent cette disparité. Il reste à en déterminer les causes et ce n’est pas simple.

Figure N°2: Le nombre cumulé de morts par jour après le dixième mort suivant les pays. L’échelle de gauche est logarithmique. Il est frappant de constater que le Japon et la Corée du sud comme Taiwan, Hong Kong et Singapour (situés dans la forêt de traits près de l’origine du graphique en raison du faible nombre de décès) ont une dynamique différente et un nombre de morts très inférieur (https://www.ft.com/coronavirus-latest?fbclid=IwAR0l-ePYN8tScTRf7SVn5ZbzWb-knbAYd4CRetVDLuYmktdraIF6jIjyYF4).

Figure N°3: Le nombre cumulé de cas confirmés par jour après le centième cas suivant les pays. L’échelle de gauche est logarithmique. Le même constat peut être fait sur ce tableau.

Le nombre de morts annoncés est l’objet d’erreurs de définition et de métrologie: il pourrait être bien supérieur 

Plusieurs paramètres de l’épidémie sont à envisager.

Létalité

Le taux de létalité est la proportion de décès liés à la maladie, par rapport au nombre total de cas atteints par la maladie. C’est bien évidemment dépendant de la fiabilité des deux variables. Les décès peuvent être sous-estimés (cf infra) à cause des méthodes de déclaration mais surtout parce que les décès à domicile ont en France peu de chance d’être testés. Quant au nombre de personnes atteintes par la maladie il est sous-estimé de façon majeure en raison des patients asymptomatiques et des consignes de réserver les tests aux patients atteint de signes cliniques. Les patients qui ont des signes cliniques quels qu’ils soient représentent environ 15% des patients porteurs du virus. D’ailleurs la France vient de reconnaître le 27 mars 2020 qu’elle ne déclare que les personnes décédées en hôpital.

Mortalité

Un exemple démontre bien qu’il faut analyser avec précaution les nombres de morts. On sait que dans une épidémie les personnes fragiles sont menacées. L’âge et les comorbidités font partie de l’équation du risque de décès. Mais il y a des disparités suivant les pays. L’Italie et l’Espagne ont un taux de mortalité et un nombre de morts beaucoup plus élevé que l’Allemagne chez les plus de 70 ans (Figure N°4).

Figure N°4 Létalité par classe d’âge (morts/tous cas confirmés) (https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/RRA-seventh-update-Outbreak-of-coronavirus-disease-COVID-19.pdf).

Or la pyramide des âges est similaire entre Allemagne et Italie. De surcroît en matière d’indicateurs de santé publique l’Italie et l’Espagne ne sont pas du tout mal placés (https://worldpopulationreview.com/countries/healthiest-countries/ ). La mortalité brute recèle bien des mystères.

Figure N°5: Pyramide des âges en Allemagne (2019)  

                                                                                                              Figure N°6: Pyramide des âges en Italie (2019)

Cas confirmés

La notion de cas confirmés n’est pas univoque. Au début sans test spécifique il s’agissait d’un test probabiliste basé sur un faisceau d’arguments cliniques et d’imagerie scanner des poumons. Ensuite les tests RT-PCR ont permis une grande spécificité même si la sensibilité est seulement de 60-70% essentiellement pour des raisons liées au prélèvement par écouvillonnage naso-pharyngé.

Décès

L’enregistrement des décès et leur imputation au SARS-CoV-2 est très différente suivant les pays. En France, depuis 2007, il est possible de rédiger les certificats de décès en ligne grâce à l’application CertDc mais le recours à cette application est minoritaire bien que grâce à ce mode déclaratif le temps de transmission passe de plusieurs semaines à quelques secondes. 13 ans après son démarrage la transmission électronique butte sur différents obstacles et en particulier le taux de connexion des mairies au système. Si bien que l’impression du certificat rédigé électroniquement reste nécessaire dans de nombreux cas. Par exemple le nombre de morts en rapport avec la COVID-19 en France, déclaré ce jour à 1696, est manifestement sous-estimé. En Allemagne le Robert Koch Institute pilote la réponse à la pandémie et est destinataire des résultats des tests positifs. C’est en revanche les services de l'état qui enregistrent les certificats de décès. Il y a aussi en Allemagne un certain retard entre les décès réels et ceux validés car seules les déclarations électroniques sont prises en compte.

La réponse des autorités en Chine 

C’est en Chine que tout a commencé et plus précisément à Wuhan dans la province du Hubei en Décembre 2019. Les autorités ont instauré une mise en quarantaine de toute la ville de Wuhan le 23/01/2020 et organisé les modalités par exemple le ravitaillement. Ensuite ils confinèrent toute la province. Ensuite 5 millions de chinois originaires de Wuhan et ayant voyagé dans toute la Chine pour le Nouvel An vont être recherchés. “Les outils de l’Etat policier sont mis à contribution : en Chine, il faut donner son numéro de carte d’identité pour acheter un billet de train, d’avion, de car, ou s’enregistrer à l’hôtel, ou encore acheter une carte SIM. La police peut tracer la population efficacement. La psychose fait le reste : des habitants de Wuhan de retour dans leurs villages d’origine ont été enfermés dans une chambre par leur propre famille.” écrit le Monde (https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/18/coronavirus-a-wuhan-confinement-et-isolement-des-malades-ont-permis-de-vaincre-l-epidemie_6033595_3210.html), mais à l’heure du décompte des victimes cette externalité positive d’un régime policier ne sera probablement pas retenue à charge. Le 9 février alors que l’épidémie est stoppée dans les autres provinces le Hubei est encore en pleine épidémie et toute la province est mise en quarantaine. Soit dit en passant depuis fin janvier l’extrême contagiosité du virus est un fait connu de toute la planète. Comme le nom des millions (?) de passagers des vols au départ ou à destination de la Chine et du Hubei. Il n’était pas nécessaire d’avoir un état policier pour en organiser la quarantaine ou le diagnostic. C’est bien pour cette raison que Singapour interdisait de sol toute personne ayant posé un pied en Chine dès le début Février. Aujourd’hui la Chine déclare surtout des cas importés… Une statistique temporaire traduit le désastre: la létalité est de 4,6 % à Wuhan, contre 0,89 % pour le reste de la Chine. D’ores et déjà une question se pose: les sociétés européennes ont elles préféré le risque endémique à l’annonce précoce de mesures coercitives? 

À propos de la Corée du Sud

La Corée du Sud fait figure de très bon élève de la classe mondiale. Après avoir compris que le flux de voyageurs avec la Chine l'exposait immédiatement à une épidémie très grave le gouvernement s’est lancé avec audace dans une stratégie associant le diagnostic massif par tests et la surveillance intelligente par des technologies électroniques de plusieurs facteurs clés de la diffusion du virus. La fermeture des frontières et le contrôle des entrants dans le territoire, le confinement différencié, la quarantaine des testés positifs et la surveillance y compris les mesures coercitives vis à vis des individus contaminants ont été effectués très vite. Ils utilisent pour cela une base de données et des systèmes intelligents contribuant de manière automatique à la surveillance mais aussi à de meilleurs soins: télémédecine pour prévenir les familles des personnes testées positivement, utilisation des dates du premier test pour convoquer le patient au terme de la quarantaine, géolocalisation pour dépister précocement de nouveaux foyers actifs ou bien des personnes non observantes. Quand on constate ce qui se passe actuellement en France pour les patients testés en dehors d’une hospitalisation il est certain que l’information est très mal utilisée faute de ces techniques électroniques ou plutôt faute de vouloir utiliser ces techniques. Au total ce pays a aujourd’hui contenu l’épidémie et son système de soins est sollicité sans tension. Les résultats actuels sont encourageants et l'autonomie du pays en matière de tests est un garant de la poursuite de cette politique de “test and track” en attendant les traitements. La Corée du sud a en effet plusieurs sociétés de biotech qui fabriquent des tests PCR et, plus récemment, des tests rapides et des tests sérologiques pour détecter les anticorps spécifiques. Enfin soulignons que rien n'est terminé et que pour les éventuelles résurgences toutes ces informations seront cruciales.

Figure N°7: Nombre de cas confirmés en Corée du Sud au 21/03/2020 

L’exception allemande

Test and Track


Dans les données allemandes il faut souligner que les tests de présence du virus (RT-PCR détectant des fragments de l’ARN viral après un écouvillonnage nasopharyngé) ont été pratiqués très tôt (dès janvier) non seulement en hôpital mais aussi par les médecins généralistes et par un réseau de plus de 400 laboratoires dans tout le pays. Le gouvernement est passé récemment de 12 000 tests par jour à 70 000 tests par jour. Le suivi (tracking) par contre est beaucoup plus difficile à préciser. Comment est organisée la mise en quarantaine des testés positifs? Comment fonctionne le confinement? Il semble que les médecins aient une grande latitude pour prendre des initiatives à cet égard. Chaque Lander à la responsabilité de la mise en place des mesures de réponse à l’épidémie. En Hesse, les patients SARS-CoV-2 positifs sont confinés chez eux, un organisme appelle au moins une fois par jour et au besoin transfère le malade à l'hôpital. Les patients testés positifs confinés sont re-testés si nécessaire après deux semaines.

Décentralisation et ouverture du marché des tests

"Nous avons une culture ici en Allemagne qui ne prend pas en charge un système de diagnostic centralisé", a déclaré le Pr. Dr. Christian Drosten, directeur de l'institut de virologie de l'hôpital Charité de Berlin, "l'Allemagne n'a pas de laboratoire de santé publique qui empêcherait d'autres laboratoires de faire les tests. Nous avions donc un marché ouvert à partir du début." En d'autres termes, à la différence du Center for Disease Control and Prevention des États-Unis ou d’autres administrations centralisées par exemple en France, le Robert Koch Institute, qui pilote la réponse en Allemagne, fait des recommandations mais ne décide pas des politiques de dépistage pour l'ensemble du pays. Les 16 Länder prennent leurs propres décisions en matière de dépistage du SARS-CoV-2 car chacun d'eux est responsable de ses propres systèmes de soins. Les Länder suivent les recommandations en général mais peuvent décider de mesures plus strictes à l’image de la Bavière qui a décidé d’un lock down. En France le système des ARS et la stratégie de confier les appels au 15 et les diagnostics par PCR aux hôpitaux est un échec flagrant. Il n’est pas trop tard pour faire demi-tour mais l’état doit faire confiance aux professionnels et c’est le changement le plus difficile.

Cinétique de l’épidémie

L’analyse doit être prudente car il est possible que l’Allemagne soit “en retard” dans l’explosion de l’épidémie sur son territoire. Une preuve: le nombre de contaminations suit une courbe exponentielle identique à celle des autres pays européens (Figure N°3). 

Les lits de réanimation et la performance du système de soins

S’agit-il d’une différence de la performance du système de soins? Ou bien d’autres causes liées à celui-ci? Il est difficile de l’affirmer aujourd’hui même si la notion de flux est importante. Il semble en effet que le nombre de patients très graves ait été extrêmement important sur un laps de temps court en Italie et en Espagne. L’hypothèse serait alors une question de nombre de lits de réanimation et non de performance du système. Cette question d’un afflux dans un temps limité renvoie cependant aux tests et au suivi des patients positifs comme aux autres mesures de prévention. En testant massivement et précocement avec des mesures de quarantaine strictes l’Allemagne a-t-elle évité ce flux? Ce d’autant que le nombre de lits spécialisés et en particulier de réanimation a été augmenté dans ce pays en remplacement de lits non spécialisés. C’est en réalité peu probable. En France l’épidémie est loin du pic des patients contaminés ou hospitalisés et les lits de réanimation non saturés à aujourd’hui alors qu’il y a depuis quatre semaines au moins une différence importante de mortalité avec l’Allemagne. Il faut se méfier des raisonnements mécaniques et de la logique de moyens ex ante. Autant de questions assez complexes car on dispose en Europe de statistiques très incomplètes sur le sujet (le nombre de respirateurs en état de marche est inconnu en France et le nombre de lits annoncé est celui du secteur public). 

L’épidémie en Allemagne concerne des patients plus jeunes

C’est ce que nous avons expliqué plus haut en analysant le nombre absolu de morts et en décrivant la répartition par tranche d’âges. Il semblerait que le foyer initial (probablement pluriel) soit celui de patients actifs allés passer des vacances d’hiver en Italie. Cela reste à confirmer mais cette donnée en contient une autre, les personnes âgées sont probablement les prochains contaminés avec une létalité plus élevée. Sauf si le dépistage et le confinement les protègent.

Il encore tôt pour tirer des conclusions définitives des résultats des politiques de prévention de la transmission. Cet effort doit être continu car nous nous installerons après le pic épidémique du nombre de malades contaminés dans une gestion de la décroissance de l’épidémie et d’éventuelles résurgences. Comme depuis le début il faut prendre très vite de bonnes décisions. Or la pandémie n’a pas été contenue en Europe. C’est une des raisons pour lesquelles l’épidémie sur notre continent se transforme en une crise humaine et économique. Le message de cette pandémie est le suivant: pour l’espèce humaine les menaces connues de la nature sont toujours là. C’est la technologie et la biologie qui, une fois de plus, vont en atténuer les conséquences humaines et économiques et possiblement détruire ce virus. Les gagnants dans cette pandémie sont faciles à identifier: le “sans contact” c’est à dire tout ce qui se fait à distance. Certains changements dans les soins, portés par l’urgence, devraient aussi se pérenniser (téléconsultation, télémédecine, biologie à domicile en autodiagnostic, autosurveillance). Partout sauf là où les systèmes de soins sont trop rigides pour s’adapter.

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