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Vengeance entre ami(e)s ? : la trahison d’une proche du couple de Rugy au coeur de l’affaire qui a fait vaciller le ministère de la Transition écologique et solidaire
©ALAIN JOCARD / AFP

Bonnes feuilles

Séverine Servat de Rugy publie "La marche du crabe" aux éditions Michel Lafon. Elle a choisi d’écrire un livre pour opposer le temps court de la réaction au temps, un peu plus long, de l'analyse. Extrait 2/2.

Séverine Servat de Rugy

Séverine Servat de Rugy

Journaliste, Séverine Servat de Rugy a travaillé chez Sygma et à Radio Notre-Dame. Elle est aujourd'hui chef de rubrique à Gala. Elle est l'épouse de François de Rugy depuis le 16 décembre 2017.

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C’était une proche, depuis dix-sept ans. Pas une meilleure amie, pas une personne à laquelle je confiais ce qu’il y avait de grave ou de si important. Mais le genre d’amitié agréable, sympathique, avec laquelle passer de bons moments en soirée. Qui gravitait dans mon milieu professionnel de journaliste et y apportait sa légèreté. Et dans la vie, parfois – pourquoi le nier ? –, la légèreté fait du bien. L’insouciance également. Elle était plus jeune que moi, et il m’arrivait de la materner, de lui donner des conseils, de la raisonner sur certains de ses choix de vie avec lesquels je pouvais être en désaccord profond. Certains disaient qu’elle avait mal tourné, qu’elle n’était intéressée que par le pouvoir ou l’argent ; les hommes fortunés de vingt à trente ans ses aînés. Moi je voyais aussi sa fragilité, sa solitude, sa trajectoire de vie incertaine qui l’angoissait. Même si elle changeait, devenant au fil du temps et de l’âge, un peu plus aigre, plus injuste, plus mauvaise langue. Même si elle buvait trop, fascinée par l’alcool ou le vin, et alors que je la sermonnais à ce propos, je ne pouvais me résoudre à la lâcher. Je la voyais sombrer dans la solitude avec des parents malades. Je la savais malheureuse. Hélas, je ne la connaissais pas jalouse, quand bien même un ami avait prononcé le mot à son sujet. J’hésitais régulièrement entre partager ce qui nous avait liées pendant dix-sept ans – le rire, quelques confidences, une fantaisie – et ce qui nous séparait… Elle était seule à Noël dans une situation personnelle plus que délicate. Son moral flanchait au point qu’elle me faisait peur. Elle avait des idées noires. Je l’ai conviée à notre table – restreinte – pour le réveillon, comme j’ai l’habitude, ainsi que beaucoup de Français, de le faire chaque année avec une personne seule. Comme une amie l’a fait pour moi un Noël par le passé. Rétrospectivement, j’ai appris que la proximité du pouvoir doit endurcir. C’est soi ou les autres. Il faut impérativement se protéger. François savait le faire, moi moins. J’aurais dû mettre de côté tout sentiment, puisque cette femme, en revanche, n’a pas hésité. Elle devenait mauvaise. Un jour, parce que je refusais d’accéder à sa demande de faveur pour rencontrer des chefs d’entreprise influents qu’elle voulait approcher par mon intermédiaire, j’ai reçu, sidérée, ce texto haineux de sa part : « Ton mari ne sera pas toujours ministre. »

Je me suis dit qu’en démocratie, il existait des remparts pour qu’une personne mal intentionnée ne puisse nuire aussi facilement, gratuitement. Mais à l’heure de la dictature du buzz, des portables et des réseaux sociaux, plus personne n’est à l’abri de cela. 

Être connu expose aux interprétations, aux cancans, aux jalousies et à la trahison. Quand des photos de homards ou de moi devant une bouteille de vin sont sorties, je n’ai pas eu une demi-seconde d’hésitation quant à leur provenance. Je savais exactement de quel téléphone portable elles provenaient. Le sien. Preuve s’il en faut encore que ces moments étaient uniques. Je connaissais la source, son nom et la raison : mon refus de céder à un chantage. Oui, je savais de quel canal on s’était servi. En revanche, comme je voyais tomber en cascade de pseudo-révélations, je me doutais qu’il ne s’agissait que d’un rouage d’un engrenage plus sophistiqué. Se pose-t-on la question des timings dans ces cas-là ? De ceux que cela arrange et pourquoi  ? Qui était à la manœuvre derrière cette mise au pilori culinaire ? 

Comment se faisait-il qu’on se soit servi de cette clé d’entrée – une personne à la moralité contestable dans sa vie privée et professionnelle – pour adhérer unilatéralement à une version fallacieuse créée de toutes pièces ? Sans enquête contradictoire ? Sans interroger d’autres sources ? 

Pouvais-je m’y attendre  ? Non. J’aurais cependant dû l’anticiper. Il n’était pas anormal qu’un responsable politique soit scruté.

Mais ce qui était moins normal en revanche et dont le mécanisme est connu, c’est que beaucoup s’emploient à distordre la réalité et à créer des failles, fouillant une vie jusque dans ses moindres détails, au profit de ce qui pourrait la salir. Sans contrebalancer par des bilans concrets chiffrés… Combien de bouteilles bues au juste ? Combien de homards dégustés en réalité pour François et moi qui, contrairement à cette femme, n’aimions pas les crustacés – j’ai parfaitement conscience que François a été moqué pour l’avoir dit, mais faudrait-il forcément mentir pour être cru ou rester crédible ? 

Cette personne, assistée par d’autres, avait initié ce qui s’est ensuite joué sur le petit théâtre des passions morbides. Laissant la place à pas mal de ceux qui nous serraient la main en voulant la broyer. En politique, c’est monnaie courante. Il est communément admis que l’on doit s’en remettre et s’en relever. 

La trahison aurait pu venir de n’importe qui, seulement voilà, elle est venue d’une personne que je connaissais depuis presque deux décennies. L’a-t-elle préméditée  ? Je la revois cinq mois plus tôt en soirée, le bras autour de ma taille, claironner devant une relation commune : « Séverine et moi, nous sommes deux sœurs. » Ce qui, à l’époque, n’avait pas manqué de me faire un peu tiquer. 

Trahie par les siens, j’ai appris que cela n’avait rien d’exceptionnel. C’est même monnaie courante, d’après ce que m’ont toujours rapporté des journalistes de magazines qui reçoivent et monnayent des photos volées de stars – contrairement au média pour lequel je travaille qui recueille la parole directe des célébrités et organise des séances photo –, leurs sources sont souvent des très proches de leur cible : famille, amis de longue date, etc. Apparemment, il n’y a rien d’exceptionnel à se conduire de cette façon. La culture de la délation a de beaux jours devant elle… 

Il est difficile de décrire la violence que l’on subit à titre personnel quand une photo vient à bout de la réalité. Quand un hashtag vite dégainé, ou quelques vannes rédigées à la hâte viennent écraser la vérité. Il est aussi difficile d’anticiper la vague de colère qui s’empare soudain de l’opinion, au point que toute forme d’explication devient inaudible tant elle est couverte par les invectives, les injures. Il est complexe d’encaisser l’infamie et de s’apercevoir que le vol d’un instant privé, un abus de confiance, soit célébré par tous comme une justice, sans même qu’aucun tribunal ne s’en mêle. 

Quelle morale en ai-je tirée  ? À l’ère des réseaux sociaux et de l’infotainment (l’information divertissement), un corbeau, un maître chanteur armé de quelques photos volées au Smartphone et décontextualisées, déformées même –  il n’existe pas d’autre sorte de homards géants que ceux sur lesquels on choisit de zoomer – peut venir à bout d’une personnalité. Et demain d’une démocratie ?

Comme autant en emporte le vent, plus personne ne s’est préoccupé de la fermeture des centrales à charbon pour réduire les émissions des gaz à effet de serre de la France, de la fermeture effective de la centrale nucléaire de Fessenheim –  maintes fois annoncée sous le mandat de François Hollande mais jamais réalisée jusque-là  –, du développement des énergies renouvelables dont l’éolien en mer, de la prime à la conversion pour les voitures qui a aidé trois cent mille automobilistes à changer de voiture, de la loi énergie-climat votée fin juin, de la préparation de nouvelles mesures sur le bien-être animal ou de la convention citoyenne impulsée par François après sa rencontre avec Cyril Dion, le coréalisateur du film Demain. 

Soudain, son combat pour l’écologie a été écrasé, réduit à un homard. Le crustacé a pris le pas sur tout le reste. 

Tous ceux qui étaient dans la rue pour se battre pour l’écologie ont-ils déjà pensé à ce que coûte au pays de perdre un ministre en exercice ? À ce prétexte bien pratique de l’action interrompue pour stopper les réformes en cours, ou les paralyser ? 

François me le disait, il se battait dans un temps long. C’était son idée. Il croyait à une révolution progressive, profonde et durable, à la diplomatie. À une façon de réussir, en tâchant d’entraîner dans la transition écologique les entreprises, à commencer par les industriels, le monde de l’emploi et des investisseurs, pour ne pas être en butte à des refus frontaux et se trouver bloqué dans son action. 

Et puis – comme l’ont dit tous les humoristes sans imagination –, le « homard l’a tué » dans l’exercice de ses fonctions. Du pain, des jeux… et des homards – que nous n’avions pas voulus et qui étaient servis dans le cadre d’une commande groupée pour la préparation de repas officiels à l’Assemblée, apparemment à Noël ? Voilà le récit qui a été fait de ses quatorze mois passés à l’Assemblée, pour laquelle il avait enclenché une réforme encore jamais proposée à ce jour, et de ses dix mois au ministère. L’écologie s’en porte-t-elle mieux aujourd’hui ?

Extrait du livre de Séverine Servat de Rugy, "La marche du crabe", publié aux éditions Michel Lafon

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