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L’ombre de Nicolas Sarkozy, de François Baroin et Alain Juppé en marge du Penelope Gate : ces plans B qui auraient pu éviter à la droite de se saborder lors de cette "élection imperdable"
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Jannick Alimi et Frédéric Delpech publient "Le jour où la droite se saborda" aux éditions de l’Archipel. Ils analysent la déliquescence de la droite. Les Républicains continuent à subir les conséquences de leurs divisions. Extrait 2/2.

Frédéric Delpech

Frédéric Delpech

Journaliste et chroniqueur, Frédéric Delpech, chef du service Politique de LCI depuis 2011, est l'auteur de Sylviane et Bernadette sont en campagne (av. Liliane Delwasse, Ramsay, 2001), Quand les femmes prennent le pouvoir (av. Liliane Delwasse, Anne Carrière, 2006) et de Jacques Chirac, une vie après l'Élysée (av. Chantal Didier, Favre, 2009).

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Jannick Alimi

Jannick Alimi

Rédactrice en chef adjointe au service Politique du Parisien/Aujourd'hui en France, Jannick Alimi est l'auteure de plusieurs essais dont Votre argent les intéresse. Comment banquiers et assureurs profitent de vous (Robert Laffont, 2006) et Baudelaire amoureux (Rabelais, 2016). 

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Vendredi midi, 3 mars 2017. Gérard Larcher et Bernard Accoyer s’engouffrent promptement sous le porche du 77 rue de Miromesnil. Le président du Sénat et l’ancien président de l’Assemblée nationale vont être reçus par celui qui n’a jamais abandonné, qui ne renoncera jamais, celui qui depuis cinq mois n’occupe plus le devant de la scène mais reste ô combien actif en coulisse, Nicolas Sarkozy. Larcher et Accoyer, deux des murs porteurs de François Fillon, mais plus pour longtemps. Le Penelopegate et même la mise en examen, passe encore… Mais ce meeting du Trocadéro qui se tiendra le dimanche suivant, au parfum antirépublicain, ingérable, c’est indigérable! En cas de gros grain, c’est donc naturellement que les deux hommes se tournent vers le dernier président de la République que la droite ait compté jusqu’à ce jour. 

Pendant l’entretien, qui dure moins d’une heure, Nicolas Sarkozy passe plusieurs coups de téléphone. Et en reçoit quelques-uns. L’un d’entre eux provient de François Fillon lui-même. Une conversation brève pendant laquelle l’ex-chef de l’État écoute plus qu’il ne parle. Une conversation qui se termine par un soupir de soulagement: Fillon abandonne et annule le Trocadéro. Sans attendre, Alain Juppé est averti et le plan B immédiatement déclenché. Sauf que, quelques minutes plus tard, c’est la douche froide: le candidat à la présidentielle a «réfléchi». Poussé par les plus déterminés de son équipe, François Fillon revient sur ses propos: « Laissez-moi faire jusqu’à dimanche et après je verrai.» Sous-entendu : tout dépendra du Trocadéro, de son succès, de son échec… Nicolas Sarkozy n’a pas le choix. 

Pourtant, ce dernier, défait aux primaires, s’est relevé. Une fois de plus. Comme toujours, c’est quand il est à terre qu’il retrouve l’énergie qui est devenue, depuis quarante ans qu’il est en politique, sa marque de fabrique. Discret après la victoire de son ancien Premier ministre aux primaires, il a su, depuis le Penelopegate, se rendre incontournable. Alors que Fillon, depuis novembre, n’avait même pas daigné se manifester auprès de lui, il avait enfin « accepté» un déjeuner, le 15 février dernier, « chez» Sarkozy, dans ses bureaux de la rue de Miromesnil. Et là, l’ancien président n’y est pas allé par quatre chemins: ce serait du donnant-donnant. Si l’ancien Premier ministre poursuit, Nicolas Sarkozy le soutiendra, mais en échange, Sarkozy placera ses troupes. François Baroin, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, Christian Jacob. Pourquoi pas Christian Jacob comme coordinateur et Luc Chatel comme porte-parole et président des comités de soutien ? Et Baroin comme responsable du rassemblement politique? Il a toujours eu du mal à rassembler, ce «taiseux » de François Fillon. Toujours compliqué pour lui d’intégrer ceux qui ne l’ont pas soutenu pendant la primaire. Même ceux qui, après sa victoire, se sont ralliés avec enthousiasme. « La primaire, explique aujourd’hui Patrick Stefanini, l’ancien directeur de campagne de Fillon, a eu pour effet d’attiser les divisions personnelles à droite. Son calendrier a été trop tardif: en juin, l’été aurait permis de cicatriser les plaies, de réconcilier François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy et de préparer un enrichissement de son projet en direction des électeurs qui ne s’étaient pas intéressés à la primaire et de ceux des leaders centristes qui étaient restés sur l’Aventin. Lorsque sont publiées les premières accusations du Canard enchaîné, c’était trop tard. Les déceptions et les rancœurs suscitées par la primaire reprennent le dessus.» Et de faire acte de contrition. « Dans les quinze jours qui ont suivi le second tour de la primaire, un sommet à trois, Fillon, Juppé et Sarkozy, aurait donné une nouvelle impulsion à la campagne. C’est ma première erreur majeure et elle est de celles dont on ne se relève pas.» 

En tout cas, depuis le Penelopegate, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de placer ses pions. Et ce meeting du Trocadéro est l’ultime démonstration de cette reprise en main avec, en première ligne, François Baroin. 

Les fillonistes zélés l’ont quasiment jeté sur le devant de la scène. Juste derrière François Fillon, pour qu’il soit bien dans le champ des caméras. Comme Christian Jacob, d’ailleurs. Des trophées pour le candidat qui a besoin de tous les soutiens de Nicolas Sarkozy aux primaires. Mais des « chevaux de Troie» aussi pour Nicolas Sarkozy. 

Quand, de Bordeaux, Alain Juppé voit la silhouette emmitouflée de François Baroin proche de celle de François Fillon, le doute n’est plus permis: son heure est, selon lui, définitivement passée. Avec François Baroin, l’ancien président de la République donne son onction à François Fillon. Et vraisemblablement son extrême onction, car pour les proches du maire de Bordeaux, « Sarkozy préférait perdre avec Fillon que gagner avec Juppé».

Mais Alain Juppé, qui n’a pas rencontré Nicolas Sarkozy une seule fois depuis la fin des primaires, se trompe. En ce début d’après-midi, rien n’est encore joué et François Baroin – comme Nicolas Sarkozy – hésite encore. La veille, lors du Salon du livre politique à Sciences-Po, il avait confié à un journaliste qu’il était hors de question pour lui d’aller au Trocadéro… François Baroin sait que certains veulent qu’il annonce un ticket avec François Fillon, candidat à la présidence, et lui, futur Premier ministre. Mais pas maintenant. «On verra bien ce qui va sortir de cette grand-messe, doit se dire François Baroin. Soit ça passe, soit ça casse.» Dans tous les cas, François Baroin a une carte à jouer. Si ce meeting est un succès, il sera temps d’annoncer le ticket François-François, ce qui pourrait permettre de remobiliser en vue de la dernière ligne droite avant le premier tour de l’élection. Une alliance de deux des trois candidats aux primaires, ou de leur représentant, ça aurait de l’allure. «Juppé n’aura plus qu’à s’incliner, pense encore François Baroin. D’ailleurs, vu le nombre de défections parmi les juppéistes, le maire de Bordeaux va devoir rabattre ses prétentions – s’il lui en reste.» 

Baroin, l’autre plan B 

Pourtant, si le plan B Juppé n’était pas totalement enterré aux premières heures du Trocadéro, un autre plan B aurait pu être mis sur pied. Pendant quelques heures de cet après-midi du 5 mars, le plan B aurait pu être le plan Baroin. Si François Fillon renonçait, si Alain Juppé ne se décidait pas, le maire de Troyes était tout désigné. Plus de deux cents parlementaires et des milliers de maires étaient prêts à le soutenir. Ça sert d’être président de l’association des Maires de France! Déjà pressenti pour être Premier ministre de Nicolas Sarkozy s’il avait remporté les primaires puis la présidentielle, François Baroin avait effectué le travail de préparation mentale nécessaire pour exercer ce type de responsabilité, parmi les plus élevées. 

Le maire de Troyes voit le parvis du Trocadéro se remplir. Transi de froid sur l’estrade, il n’en doute pas: cela donne à François Fillon des clés politiques auxquelles personne d’autre ne peut prétendre. Pas question encore d’annoncer un duo Fillon-Baroin. Trop risqué. Au moins, François Baroin aura-t-il montré qu’il était aux côtés du candidat blessé jusqu’au bout. Loyauté avant tout! Les amis Républicains apprécieront, que François Fillon continue ou qu’il renonce. François Baroin apparaîtra soit comme un soutien indéfectible soit comme un recours. 

À cinquante et un ans, François Baroin, avec son physique d’adolescent maintes fois comparé à celui de Harry Potter – bien moins ressemblant depuis qu’il a retiré ses lunettes à monture ronde – est déjà un vieux routier de la politique. Avec un parcours jonché de jaloux, surtout au sein de sa propre famille. Cet ancien journaliste politique à Europe 1 est le fils de Michel Baroin, un haut fonctionnaire respecté, patron de la très influente GMF et grand-maître du Grand Orient de France, une des plus importantes obédiences maçonniques, décédé dans un accident d’avion au-dessus de l’Afrique. Élu à vingt-huit ans député RPR de l’Aube, François Baroin décide, après quatre mandats consécutifs, de se présenter aux sénatoriales, non sans avoir cultivé son ancrage territorial à Troyes, dont il devient maire en 1995. Depuis vingt ans, ce « bébé Chirac » s’est fait le cuir dans les allées du pouvoir, celles du parti gaulliste comme celles de la République. Porte-parole du gouvernement dès le premier gouvernement Juppé en 1995, deux fois ministre de Dominique de Villepin, il a été propulsé ministre du Budget puis de l’Économie alors que Nicolas Sarkozy est à l’Élysée et François Fillon à Matignon. «Ma légitimité, c’est sûr, ce ne sont pas des sympathisants et de leurs votes aux primaires que je la tiens. Mais de Nicolas Sarkozy, et ça vaut bien des millions de bulletins», doit penser François Baroin en ce dimanche 5 mars 2017. Voilà ce qui explique la présence de ce parangon d’une «droite des valeurs» aux côtés d’un candidat pourtant mis en examen depuis cinq jours. Le «patron» l’a décidé. 

Car Nicolas Sarkozy, c’est lui que François Baroin a choisi lors des primaires. C’est Nicolas Sarkozy qui, pour garder un œil voire la main sur une campagne qui n’aura pas été la sienne, a quasiment contraint François Baroin à participer à toutes les réunions stratégiques organisées par l’équipe de Fillon. Pas question pour l’ex-chef de l’État, perdant malheureux de la primaire mais toujours leader magnifique pour les militants, de jouer la politique de la chaise vide et de perdre, ainsi, outre l’Élysée, une once de pouvoir et une pincée d’influence sur le parti et sur celui qui reste, malgré le coup de grisou du Penelopegate, la seule option pour accéder à la magistrature suprême. 

D’ailleurs, Christian Jacob, le chiraco-sarkozyste, est bien présent, lui aussi, au Trocadéro. C’est le patron des députés Républicains. Un missi dominici de Nicolas, gardien du temple sarkozyste dès la campagne des primaires. « S’il y a un sujet qui fait l’unanimité en France aujourd’hui, c’est bien que les Français ont envie de mettre fin à l’amateurisme du quinquennat de François Hollande, avait expliqué alors le député de Seine-et-Marne. Et je considère que Nicolas Sarkozy a à la fois l’expérience, le tempérament, le sang-froid, la capacité à décider et aussi l’énergie pour être le président de la République.» Cinq mois plus tard, comment jugeait-il François Fillon, qu’il venait ostensiblement soutenir ce dimanche 5 mars au Trocadéro ? « Si François Fillon décide de poursuivre, il faudra bien qu’il fasse avec nous, les sarkozystes, pense avec délectation l’ancien agriculteur. Et moi, comme coordinateur de la campagne? Pourquoi pas? À Bruno Retailleau de me faire de la place.» 

Car les campagnes présidentielles, celui qui est encore maire de Provins connaît. En 1995, n’avait-il pas été le bras armé victorieux de Jacques Chirac auprès de l’électorat paysan? À cinquante-sept ans, Jacob a déjà été trois fois ministre sous la présidence du tutélaire Jacques Chirac. Chirac à qui il a voué, comme François Baroin, «son frère de lait en chiraquisme» comme il aime à le souligner, une fidélité absolue. Contrairement à François Baroin, toutefois, Christian Jacob, qui avait succédé à Jean-François Copé en 2010 à la présidence du groupe à l’Assemblée nationale, avait soutenu le maire de Meaux deux ans plus tard pour la direction du parti… contre François Fillon. Lequel, à l’époque, aurait surnommé Jacob «Rantanplan», fidèle parmi les fidèles à la voix de son maître Chirac. Fidèle et loyal, aussi et surtout, au parti et à son chef. Et le chef, pour Christian Jacob, c’était Nicolas Sarkozy depuis 2014. Malgré sa défaite aux primaires et son retrait officiel de l’arène politique.

Extrait du livre de Jannick Alimi et Frederic Delpech, "Le jour où la droite se saborda, Du Trocadéro à aujourd'hui, les coulisses d'un naufrage", publié aux éditions de l’Archipel

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