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Pandémie en vue ? Voilà à quoi ressemblerait le scénario du pire en cas de propagation incontrôlée du Coronavirus
©MIGUEL MEDINA / AFP

Inquiétudes

Si plus aucun patient n’est hospitalisé en France, la mise en quarantaine de villes du Nord de l’Italie ou en état d’alerte de la Corée du Sud avive les inquiétudes. Même si rien ne permet de prédire l’avenir, à quoi faudrait-il s’attendre ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Christophe Lèguevaques

Christophe Lèguevaques

Christophe Lèguevaques est avocat au barreau de Paris, docteur en droit. Christophe Lèguevaques est également membre-fondateur de METIS-AVOCATS AARPII - Association d'Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle Inter-Barreaux. 

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Patrick Zylberman

Patrick Zylberman

Patrick Zylberman est professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (Université Sorbonne-Paris-Cité). Il est l’« invité permanent » du Centre Virchow-Villermé (CVV : Paris-Descartes/Berlin-La Charité), et l’un des organisateurs du Séminaire annuel du Val-de-Grâce sur les maladies infectieuses émergentes, qu’il a co-fondé en 2011.

Il a publié avec Lion Murard L’hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée, 1870-1918 (Fayard 1996), codirigé avec Antoine Flahault Des épidémies et des Hommes (La Martinière 2008), et, avec Susan Gross Solomon et Lion Murard, Shifting Boundaries of Public Health: Europe in the Twentieth Century (University of Rochester Press, 2008). Ses Tempêtes microbiennes, essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique ont paru chez Gallimard en mars 2013. 

Il a été membre du Haut Conseil de la santé publique de 2009 à 2017 ainsi que du Comité d'orientation du débat citoyen sur la vaccination (2016). Il a également contribué, dans le cadre du CVV, à l’élaboration du scénario du « serious game » RSI/IHR3.0 pour la formation à la gestion d’une crise épidémique dans le cadre du Règlement sanitaire international. Il est par ailleurs membres de la Section X (Santé) du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique.

 

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Atlantico.fr : Alors que le coronavirus a fait 2.592 morts en Chine et qu'il se propage toujours, l'OMS a a appelé cet après-midi le monde à se préparer à une "éventuelle pandémie" du Covid-19. Bien que l'on soit encore loin d'un scénario catastrophe et qu'il est important de noter que les pouvoirs publiques gèrent bien mieux cette crise que celle du Sras, de 2003, si l'on se projette dans un futur lointain : à quoi pourrait ressembler une pandémie à échelle mondiale en 2020 ?

Stéphane Gayet : Face au déferlement quotidien d’informations sur les cas d’infection pulmonaire à CoVid-19, le nouveau coronavirus chinois, dans divers pays du monde, il faut s’efforcer de garder la tête froide en tenant compte de l’ensemble des données objectives, ainsi que des données expériencielles des épidémies passées.

La France s’est dotée, depuis environ deux décennies, d’un dispositif sanitaire d’épidémiologie, d’alerte, d’investigation et d’intervention sur plusieurs niveaux : local, départemental, régional et national. Cette organisation territoriale constitue un maillage opérationnel avec des acteurs identifiés et dûment formés. Elle a eu l’occasion d’être rôdée et ajustée au fur et à mesure des différentes alertes épidémiques nationales (SARS-CoV en 2003, grippe A-H1N1 en 2009, MERS-CoV en 2013).

Aujourd’hui, on apprend que, parmi les pays plus proches géographiquement de la France, l’Iran et tout près l’Italie ont à faire face à un nombre significatif de cas de maladie avérée à CoVid-19. C’est l’occasion de dire que, certes le niveau de vie d’un pays est déterminant dans la maîtrise d’un risque épidémique, mais c’est la qualité et la performance de son système de santé qui sont les atouts essentiels. Nous n’avons pas la même organisation sanitaire que l’Italie.

A ce jour, le risque d’une pandémie sévère est faible, celui d’une épidémie française très faible. Car ce virus ne semble pas avoir les caractéristiques d’un virus pandémique « grand tueur ».

Néanmoins, il est utile d’esquisser ce que pourrait être une évolution dramatique, afin de se préparer au pire : « Envisagez le pire qui puisse arriver, préparez-vous à accepter le pire et à tirer parti du pire. », énonçait Dale Carnegie.
Essayons d’envisager le pire en rassemblant les arguments du pire. Les grandes pandémies meurtrières historiques furent principalement des infections respiratoires (peste noire et grippe espagnole). Car les infections pulmonaires sont souvent les plus contagieuses et une atteinte de l’appareil respiratoire peut être rapidement grave. Les infections pulmonaires de l’homme les plus graves sont causées par des agents infectieux provenant d’un animal : le rat avec la peste, le porc avec la grippe (le porc est contaminé par différentes souches de virus grippal et fait office d’incubateur et de transformateur des virus grippaux) et divers mammifères animaux avec les coronavirus. De plus, avec les coronavirus, il n’y a -à ce jour- ni de médicament antiviral efficace, ni encore de vaccin.

On remarque que les phénomènes « naturels » catastrophiques évoluent souvent en deux vagues : une première vague de gravité moyenne et une deuxième vague de gravité majeure. C’est vrai des séismes, des raz de marée, des tempêtes ainsi que des épidémies. Cette règle a des exceptions, mais elle se vérifie souvent. C’est comme si la première vague préparait ou annonçait la seconde, sans que l’on n’en comprenne bien les raisons. Les coronavirus, contrairement aux virus grippaux, ont un génome (ARN) stable et n’ont pas tendance à « muter » (les virus grippaux ont un génome segmenté et instable). Il ne faut donc pas spéculer sur une « mutation » du CoVid-19. En revanche, il est permis de supposer que cette vague de pneumonies à CoVid-19 en annoncerait une seconde qui serait due à un autre coronavirus d’origine animale, mais cette fois extrêmement dangereux par sa contagiosité et sa pathogénicité (ce qui n’est pas vraiment le cas du CoVid-19). Car il semble improbable que les marchés aux animaux vivants cessent sur-le-champ en Chine. « Jamais deux sans trois » dit l’adage. La troisième serait la bonne, si l’on peut dire (2003, 2019 et 2020). On peut donc imaginer qu’en juin 2020, une nouvelle épidémie à un autre coronavirus d’origine animale prenne naissance en Chine, par exemple dans la ville de Changsha, au sud et à l’ouest de Wuhan. Il s’agirait cette fois d’un virus véritablement tueur, qui gagnerait en quelques semaines tous les continents, dont l’Europe. Nous pouvons appeler ce virus variant CoVid-20.

Ce serait une catastrophe mondiale, avec une double frénésie. Frénésie des populations faisant tout pour se protéger et de façon familiale et communautaire. Frénésie des organismes de santé faisant tout pour développer en un temps record un antiviral et un vaccin à effet rapide. L’économie mondiale serait paralysée, une récession planétaire comme jamais vue.

Cela est le pire scenario. On peut envisager un autre scenario intermédiaire. Le CoVid-19 pourrait se répandre rapidement en France à la faveur de graves erreurs de gestion épidémiologique. Dès lors, un énorme foyer épidémique se constituerait dans la région siège de l’erreur, avec un affolement général et la stigmatisation ainsi que l’ostracisme de cette région.

Quel pourrait être l'impact d'une pandémie du coronavirus ? Quels seraient les individus les plus fragiles et, comparativement, aux pandémies précédentes combien de victimes pourrait-elle faire ?

Stéphane Gayet : La peste noire et la grippe espagnole ont provoqué des millions de morts. En particulier, la population européenne avait véritablement été décimée par ces différentes pandémies meurtrières. Dans l’hypothèse d’un nouveau virus CoVid-20, on pourrait envisager plusieurs dizaines de milliers de morts au bas mot et probablement bien davantage. Car les conditions ne sont plus les mêmes : les méthodes diagnostiques, préventives et thérapeutiques ont énormément progressé.

Dans l’hypothèse d’une extension rapide des cas de pneumonie à CoVid-19 en France, on assisterait à un grand nombre de décès chez les enfants en très bas âge, les vieillards, les personnes souffrant d’une maladie pulmonaire chronique, d’une maladie cardiaque chronique, celles souffrant d’un handicap sévère, les personnes très immunodéprimées et d’une façon générale tous les individus affaiblis par une dénutrition et des conditions d’existence indigentes. Les femmes enceintes elles-aussi paieraient un lourd tribut à cette épidémie.

Ces maladies infectieuses épidémiques meurtrières opèrent dans tous les cas une sélection « naturelle » : les personnes les plus faibles disparaissent au profit des individus les plus robustes. Dans ce cas, cette sélection « naturelle » s’effectue, non pas sur l’intelligence et la force de caractère comme c’est la tendance actuellement, mais sur la robustesse corporelle et la puissance immunitaire.

Quel pourrait être l'impact d'une pandémie du coronavirus sur la vie quotidienne des individus, sur leur psychologie mais aussi sur la situation politique des Etats ?

Patrick Zylberman : Il faut bien comprendre que le scénario qui sera déroulé ci-dessous est bien lointain et bien est loin de l'actuelle réalité. Cela étant dit, on peut se laisser aller à imaginer ce à quoi pourrait ressembler "le scénario du pire" notamment en s'arrêtant sur les grandes pandémies passées. 

Première référence possible, la Grande peste de de 1347-1352. Plus connue sous son nom de Peste noire, cette pandémie a touché l'Asie, le Moyen-Orient, le Maghreb, l'Europe et peut-être même l'Afrique subsaharienne. En cinq ans, en Europe, elle a fait entre 30 et 60 millions de morts tuant ainsi 30% à 50% de la population européenne. Elle a donc profondément modifié les rapports de force entre Etats. L'Empire byzantin qui était déjà affaibli est, à titre d'exemple, alors tombé face au Turcs en 1453. Faute d'explications possibles, les Juifs ont également été, dans un premier temps, désignés comme responsables et massacrés dans plusieurs pays d'Europe. 

Des massacres terribles qui rendent aujourd'hui compte d'une évolution pour le moins curieuse de la perception de la maladie. En effet, dans un premier temps on observe, dans le cas de la Peste noire, un pic de violence. Une réaction irrationnelle, avant que, par réaction, n’apparaisse une approche plus rationnelle. Une situation que l'on retrouve dans de nombreuses pandémies : la physionomie des réactions fluctue et varie. La déstabilisation des populations est changeante, parfois à la rationalité succède de l'irrationalité ou inversement, mais une pandémie voit généralement naître ce type de réactions dans un ordre interchangeable. 

Si l'on en revient donc à l'actuelle épidémie, un tel scénario serait ainsi –au cas où la pandémie deviendrait plus grave- envisageable. On risquerait de voir se multiplier attentats et à crimes racistes. Les Asiatiques seraient désignés comme responsables et le racisme anti-chinois, par exemple, s’accentuerait. Il est déjà bien présent, et ce alors que nous sommes encore très loin d’un quelconque scénario catastrophe. Ce racisme pourrait également donner lieu à une xénophobie intérieure à chaque Etat et par laquelle les minorités seraient désignées comme responsables. En Asie cette haine de l'autre pourrait être dirigée envers les minorités Ouïghours en Chine, ou encore Rohingyas en Birmanie. Face à cette montée exponentielle du racisme, les sociétés libérales ou autres seraient fort démunies.

Sur le plan politique on pourrait assister à une montée des mouvements millénaristes, les phénomènes extraordinaires ou tragiques étant perçus comme autant de signes annonciateurs de la parousie. Plus globalement, et alors que ces tendances politiques gagnent actuellement du terrain en Europe, on observerait très certainement aussi une percée, plus grande encore, des populismes. L'expansion de ces mouvements coïnciderait, tel qu'on l'a vu lors de la récente épidémie d'Ebola, avec un affaiblissement des partis politiques, des gouvernements et des Etats. 

Seul aspect positif, si l’on peut dire : les pandémies touchant tout le monde indifféremment, on assisterait à une forte baisse des inégalités entre les riches et les plus pauvres. 

Quel pourrait être l’impact d’une pandémie du coronavirus sur la vie quotidienne des individus ?

Christophe Lèguevaques : Un tel cas de figure aurait un impact fort sur la vie quotidienne. En France,  la solution ne serait pas une mise en quarantaine comme à Wuhan. En effet, la mesure est trop compliquée à mettre en oeuvre.  Ainsi on privilégierait plutôt trois modes d'action : 

1) Le confinement ou la limitation des échanges de population entre différents territoires.Cela s'illustrerait par une fermeture des aéroports ou des gares, la limitation des transports en commun, et pourquoi pas le rationnement de l’essence pour limiter les échanges individuels.

2) Le recours au corps réserviste de santé. Certains évoquent l'intervention possible de l'armée, cela est en effet possible dans les faits mais peu probable en réalité.  Nous aurions ainsi plutôt recours au corps réserviste de santé lequel permet de faire face à une crise sanitaire majeure. Il proposerait notamment un renfort hospitalier, une médicalisation exceptionnelle de dispositifs sociaux, une campagne de vaccination exceptionnelle, une expertise et un appui aux autorités chargées d’organiser la réponse face à une épidémie, etc.

3)Si l'épidémie était exceptionnelle et d'une gravité extrême (du type grippe espagnole 1919), on peut imaginer une mise en application de l’article 16 de la Constitution. Comme le souhaitait jadis le Général de Gaulle ce texte permettrait au Président de la République de se conduire comme un « dictateur romain », « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Dans ce cas précis, le Président de la République pourrait prendre toutes « les mesures exigées par les circonstances », le cas échéant, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. 

Quel pourrait être l’impact d’une pandémie du coronavirus sur la vie quotidienne des individus ainsi que sur l’économie mondiale ?

Michel Ruimy : La gravité d’une épidémie dépend de la maladie, des taux de mortalité, de sa durée, du comportement et de la préparation des foyers et entreprises, de la capacité et préparation des systèmes de soins de santé.
Dans un contexte où le rythme de propagation du virus s’accélère et où la peur panique se propage, l’économie mondiale dans sa globalité menace d’être gravement perturbée, notamment si la pandémie du Covid-19 s’avère sérieuse. Une contagion comme celle de la grippe espagnole de 1918 pourrait entraîner des taux élevés de maladie et de décès ainsi qu’une baisse prononcée mais temporaire de l’activité économique mondiale.Les pays, dont les systèmes de santé et fiscaux sont déficients, devraient être plus exposés et plus gravement touchés du fait d’un manque de ressources financières, de possibilités d’acheter et de distribuer médicaments et vaccins, de traiter les victimes à temps et de fournir des mesures de sécurité sanitaire. En l’absence de vaccins et d’une mobilisation internationale à la hauteur, une machine infernale risque de s’emballer.

La Chine, étant l’un des bastions de l’industrie manufacturière mondiale, la production endure un fort absentéisme du fait des « quarantaines » (choc d’offre). Ceci dérègle les chaines d’approvisionnement des partenaires commerciaux. Ses exportations pourraient, à courtterme, souffrir des restrictions commerciales et de transport, imposées pour contrôler la propagation du virus, et d’une faible demande mondiale. Les bouleversements dans les transports, le commerce, les systèmes de paiement etc. risquent d’exposer certaines entreprises, financièrement vulnérables, au risque de faillite.Une hausse temporaire de l’aversion pour le risque est probable, ce qui entraînerait une tension sur la demande de liquidités, tout spécialement pour les espèces, et sur des actifs à faible risque.Une nervosité boursière pourrait exacerber encore davantage les conséquences économiques.

Au plan microéconomique, les premiers signes perceptibles seraient une hausse des denrées alimentaires, une relative paralysie des échanges commerciaux, des mesures de restrictions des compagnies aériennes… Pour les entreprises, les tensions commerciales Chine-Etats-Unis ont déjà enclenché un mouvement de relocalisations. Partant du constat qu’elles ont fait une évaluation erronée du risque de rupture des chaînes de production, elles devraient chercher à rapprocher leurs sites de fabrication ou d’assemblage des zones de commercialisation. Il s’agit d’un changement de modèle économique avec certes une hausse des coûts de production mais un mode de fonctionnement de la chaîne davantage sécurisé.
À long terme, une fois que la pandémie aura suivi son cours, l’activité économique devrait redémarrer relativement progressivement.

Il n’en demeure pas moins qu’il faut raison garder. La Chine joue sa crédibilité de puissance mondiale dans la gestion de cette crise. C’est pourquoi, l’économie chinoise pourrait repartir de plus belle. Il faut déjà anticiper une sortie de crise avec un pic de l’épidémie en mars et un retour à la normale à partir de mai.

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