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Coronavirus : pourquoi l’heure de la vraie fermeté avec la Chine est venue pour l’OMS
©NAOHIKO HATTA / AFP

Lutte contre l'épidémie

Le président Xi Jinping fait l'objet de critiques d'une partie de son opinion publique sur la gestion de la crise sanitaire. L'OMS est confrontée à des difficultés pour constater sur le terrain, en Chine, la progression de l'épidémie de coronavirus.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : L'OMS rencontre de grandes difficultés, voire une impossibilité, à envoyer sur le terrain ses experts afin de pouvoir faire son travail d'évaluation de la progression de l'épidémie. Cette situation est d'autant plus dommageable que c'est précisément le rôle de l'OMS que de prendre connaissance du terrain afin de pouvoir coordonner la réponse à l'épidémie au niveau international.

Dans quelle mesure la rétention d'informations chinoises depuis les prémices de l'épidémie a pu accélérer son développement ?

Stéphane Gayet : Cette crise du coronavirus (souche virale appelée désormais CoVid-19) est vraiment symptomatique. Elle est symptomatique de la politique intérieure chinoise. La Chine est un immense pays et une très grande puissance ; et c'est un pays totalitaire. La Chine est membre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), elle fait partie des quelque 192 états qui ont adhéré à ses principes. Ce qui ne l'empêche pas d'agir comme elle l'entend en cas de crise sanitaire.

Les priorités de la Chine sont depuis des décennies le développement technologique et industriel, l'agriculture, l'éducation et la recherche, mais beaucoup moins la santé publique. Le système de santé chinois est hétérogène et plutôt bancal. Alors que dans les pays occidentaux, la profession de médecin est bien définie avec un niveau d'études, un diplôme et un statut sans équivoque, c'est tout à fait différent en Chine. Le praticien traditionnel peut parfois être considéré de la même façon que l'expert érudit. Et en toute circonstance, les dirigeants nationaux sont les seuls à décider dans les gros dossiers.

Dés le début de cette épidémie d'infection respiratoire à CoVid-19, les autorités chinoises se sont évertuées à minimiser la morbidité (nombre de malades) et la mortalité. Le premier médecin qui a donné l'alerte a été arrêté (il est ensuite décédé d'une pneumonie à CoVid-19) ; d'autres médecins qui ont dénoncé la mauvaise gestion de l'épidémie par les autorités ont eux aussi été arrêtés. Une jeune française se trouvant à Wuhan au début de l'épidémie a publié un message vocal sur les réseaux sociaux, dans lequel elle affirmait avec émotion que les nombres de malades et de morts étaient très nettement supérieurs à ce que l'on annonçait officiellement. D'autres sources d'information ont accrédité ce témoignage.

Ce qui importe, dans une telle épidémie, c'est d'agir vite, de façon coordonnée et selon les données de la science et celles de l'expérience. C'est tout le contraire auquel on a assisté. On a cherché à dissimuler la réalité, des décisions arbitraires -non fondées sur des avis d'experts- ont été prises et des mesures inutiles mais de nature à rassurer les Chinois ont été mises en œuvre. L'exemple type des mesures inutiles, mais rassurantes, est la désinfection de l'environnement (escaliers roulants, roues de cycles et de voitures…), ce qui ne sert strictement à rien en cas d'infection à virus respiratoire fragile (c'est le cas général des virus à ARN enveloppés, comme les coronavirus). En somme, il n'est pas exagéré d'affirmer que la gestion de l'épidémie en Chine a été faite de manière incompétente et désordonnée. De fait, il n'y a qu'en Chine que cette épidémie a pris un caractère de gravité : les autres pays touchés -qui eux ont pris en compte les avis d'experts- ont bien géré le risque.

C'est à Johann Wolfgang Goethe que l'on attribue la citation : "J'aime mieux une injustice qu'un désordre", citation souvent reprise sous la forme "Mieux vaut une injustice que le désordre". Cette citation a été évoquée lorsqu'on a été convaincu de l'innocence du capitaine Alfred Dreyfus, eu égard au séisme que la reconnaissance du complot contre lui aurait provoqué. Avec la crise du CoVid-19 en Chine, on a eu à la fois des injustices et le désordre. Des injustices, car toutes les personnes qui ont alerté et dénoncé les erreurs de gestion de la crise ont été arrêtées et cela pratiquement sans délai ni ménagement.

Il est indéniable que la façon dont le pouvoir central chinois a fortement minimisé et même cherché à cacher l'épidémie à son début -et encore après son début- a largement favorisé son ampleur, d'autant plus que cet étouffement médiatique a été accompagné d'une gestion lamentable sur le plan épidémiologique. La Chine, cet immense pays qui connaît un essor technologique et industriel exceptionnel, a révélé son tendon d'Achille à travers cette épidémie : son système de santé. Elle est peut-être un colosse aux pieds d'argile.

Est-il selon vous possible que ce parasitage des autorités chinois puisse être un facteur aggravant de l'épidémie, voire pouvant entrainer sa mutation en pandémie ?

Par chance, le coronavirus respiratoire CoVid-19 est relativement peu contagieux et peu pathogène. On le voit à la lumière de ce qui s'est passé et se passe avec les ressortissants de divers pays qui ont été rapatriés dans leur pays d'origine, depuis Wuhan. Il ne devrait pas survenir de pandémie de ce fait. L'épidémie chinoise a certainement pris une ampleur anormale du fait des erreurs de décision et de gestion qui se sont accumulées. C'est hélas habituel avec les pays totalitaires. On garde un très mauvais souvenir de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (Ukraine actuelle) ; mais, quand un virus est en cause, il y a une dimension supplémentaire de contagiosité, qui aggrave considérablement les conséquences de la crise en raison du risque d'extension épidémique.

C'est dommage, c'est déplorable. Le peuple chinois, les scientifiques chinois, les universités chinoises ne méritent pas une telle crise (économique et médiatique) et un tel discrédit. Le despotisme peu éclairé des autorités chinoises est responsable en la circonstance d'un coup de massue, porté à l'économie et à l'image de marque de ce beau et grand pays, ainsi qu'à son peuple dont on connaît et apprécie les qualités.

L'attitude de la Chine ne met-elle pas en exergue la difficulté croissante de mettre en place une coordination internationale de santé dans un monde de plus en plus multipolaire ? Quelles conséquences sanitaires aurait une marginalisation croissante de l'organisation ?

Dans la majorité des pays adhérents à l'OMS, la gestion des épidémies et des autres crises sanitaires par cette organisation s'effectue le plus souvent de façon intelligente. Le concours d'autres organisations sanitaires non gouvernementales ou OSNG (Médecins du monde, Médecins sans frontières, Croix-Rouge internationale, etc.) y est, certes, pour quelque chose. Beaucoup de théâtres de crises sanitaires se situent dans des pays en développement et qui n'ont guère d'autre choix que d'accepter l'aide de ces OSNG, il faut le souligner. Alors que la Chine, c'est un très grand et puissant pays qui recherche et revendique une autarcie. Mais sur le plan de la gestion épidémique, c'est un échec en la circonstance.

Qui peut dire de quelle façon va évoluer la Chine ? Deviendra-t-elle un jour démocratique ? Elle n'en prend pas le chemin.

En acceptant -avec bien des réticences et des contrôles draconiens- l'intervention d'experts de l'OMS, les dirigeants chinois donnent l'impression de ne pas avoir envie de changer. Et on est fondé à penser qu'ils se disent que, forts et enrichis de cet échec plutôt cuisant, ils feront nettement mieux la prochaine fois.

La vérité est que l'arrivée d'experts de l'OMS est vécue comme une inquisition, qui ne peut que révéler les insuffisances de l'organisation sanitaire mais aussi sociétale du pays. Le marché de Wuhan échappe -ou échappait- plus ou moins à toute régulation. On y trouvait un peu de tout, y compris des animaux vivants peu ou pas contrôlés. C'est donc dans ce contexte dérégulé pour ne pas dire anarchique que sont apparus les premiers cas d'infection à CoVid-19, selon toute vraisemblance à partir d'un cas animal, comme c'est la règle avec les coronavirus. Du coup, les autorités chinoises entendent mettre de l'ordre en matière de commerce d'animaux vivants (avec, comme à l'accoutumée chez eux, des mesures énergiques).

Bien sûr, cette crise du coronavirus pose la question de la place et du rôle de l'Organisation mondiale de la santé ou OMS. Elle a bien des imperfections et même des erreurs à se reprocher. Dans certains pays, ses interventions ne sont pas très appréciées, voire contestées en comparaison à celles d'autres OSNG. C'est indéniable.

Toutefois, l'OMS paraît irremplaçable. Dans un monde multipolaire tel qu'il se dessine aujourd'hui, où de nombreux pays accèdent à une autonomie sanitaire plus ou moins suffisante, on peut tout à fait se poser la question de la pérennité de l'OMS. Mais en son absence, qui va collecter les données sanitaires à l'échelle mondiale ? Qui va diffuser les informations sur l'épidémiologie des grandes maladies -infectieuses et non infectieuses- dans l'ensemble du monde ? Qui va réfléchir à des programmes d'action sur plusieurs continents ?

Ce que l'on pourrait envisager, c'est que le rôle de l'OMS tende à se cantonner à des missions d'épidémiologie (c'est-à-dire de recueil de données sanitaires) et qu'elle effectue de moins en moins d'actions d'intervention sur le terrain. Mais est-ce bien crédible ? Dans la mesure où plusieurs pays dont la Chine ne communiquent pas de données épidémiologiques justes, l'OMS est-elle fondée à ne devenir qu'une organisation scientifique et bureaucratique sans intervenir sur le terrain ? Car certaines interventions locales ont pour objectif un simple recensement épidémiologique, c'est-à-dire sans action curative ni préventive. Ce n'est à la réflexion pas envisageable : ni plausible ni souhaitable.

Il faut faire preuve d'optimisme et penser que la Chine va devenir raisonnable sur le plan sanitaire ; qu'elle va davantage coopérer et en temps réel avec l'OMS. Elle a tout à y gagner et le monde aussi. Espérons-le très fort.

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