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Comment le général de Gaulle a su que la France devait être une République couronnée par les urnes pour pérenniser la grandeur de la Nation
©AFP

Bonnes feuilles

Denis Tillinac publie le "Dictionnaire amoureux du Général" chez Plon. Charles de Gaulle a imaginé le roman de sa vie, et l'a imposé sur le théâtre tragique de l'Histoire en amoureux d'une France qui aujourd'hui encore lui doit presque tout. Extrait 2/2.

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

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Lorsque, le 25 août 1944, le Général se rend à  l’Hôtel de Ville, Bidault, qui est démocrate-chrétien et président du CNR (Conseil national de la Résistance), lui suggère de proclamer la République. Sans doute pense-t-il au discours de Lamartine, sur le même balcon, en février 1848. Le Général le remballe sèchement : « La République n’a jamais cessé d’être […] Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même suis le Président de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ? » 

La République… Fils d’un « monarchiste de regret, républicain de raison », comme se définissait Henri de Gaulle, le futur Général ne s’est guère posé la question du régime, sinon pour déplorer les vices de forme de la IIIe République, la pusillanimité de ses dirigeants. Cette République, avant la (relative) réconciliation imputable à la Grande Guerre, avait poussé son anticléricalisme jusqu’à interdire aux congrégations religieuses d’enseigner. Dont l’institution où son père était professeur. Il dut créer sa propre école et le futur Général fit une année de préparation à Saint-Cyr chez les jésuites à Antoing, en Belgique. De toute évidence, les de Gaulle ne nourrissaient pas une grande sympathie pour la république des avocats voltairiens et des « hussards noirs ». 

Cependant, leur patriotisme n’était pas maurrassien. Convaincu de l’innocence de Dreyfus, Henri de Gaulle avait cessé d’être abonné à l’Action française, l’AF, après l’excommunication de ce journal en 1926. Après son retour de captivité, le Général approuva les mises en garde de Maurras contre le péril germanique (« Kiel et Tanger »), et il jugeait pertinentes les analyses de l’historien Bainville, le moins idéologue des chroniqueurs de l’AF. De Maurras, il disait qu’« il était devenu fou à force d’avoir raison ». Sous-entendu : raison de privilégier un réarmement de la France car le traité de Versailles avait attisé les rancœurs de l’Allemagne. Le substrat positiviste de la pensée de Maurras l’indifférait. Il ne croyait pas à la possibilité d’un rétablissement de la monarchie en France – et, en somme, il était en phase avec l’injonction très opportune de Léon XIII aux catholiques français : défendez votre foi, votre Église et votre droit à la liberté de conscience, mais acceptez le principe républicain, il n’est en soi ni plus ni moins antichrétien que le monarchique. 

Dès lors qu’il eut perçu le grave anachronisme de la stratégie en vogue dans les milieux de l’état-major, notamment lors de son passage au secrétariat général de la Défense nationale, il se soucia de trouver des appuis politiques pour faire valoir sa thèse. À gauche, où l’antimilitarisme avait de fortes positions, il put approcher – et apprécier – Blum, mais sans le convaincre. De même Léo Lagrange. À droite, Tardieu était malheureusement en bout de course. Restait Reynaud, le plus doué de sa génération, et par chance il adhéra aux positions soutenues par de Gaulle. Double chance car Reynaud succéda à Daladier comme président du Conseil et imposa de Gaulle dans son gouvernement, contre l’avis de Pétain et de Weygand. 

La suite, c’est l’armistice, Vichy, Montoire, la « Révolution nationale » à connotation antigueuse et Londres où le Général, très vite, prit conscience qu’il devait invoquer la république pour éteindre les soupçons nés de son entourage initial, plutôt droitier, catholique voire monarchisant. À cet égard, l’arrivée de René Cassin fut… un don du ciel. Peut-être le vieux sage l’a-t-il aidé à prendre acte de la nécessité de proclamer haut et fort que, une fois la France libérée, il rétablirait la république. Dont acte – ce qui permettra, en 1943, à des hommes politiques de la IIIe République, de gauche comme de droite, de le rejoindre à Alger, communistes inclus.

Au fond, la pensée du Général sur ce sujet d’importance capitale prend en compte la triple racine de l’inconscient politique français : un regret de l’unité perdue (le roi) et la crise récurrente de légitimité provoquée par la Révolution ; la force de la « tripe républicaine » avec un souffle égalitariste paradoxalement hérité du christianisme des premiers âges ; enfin, une nostalgie inguérissable de la grandeur napoléonienne. Il avait trop lu et médité Chateaubriand pour minorer la dette de la France vis-à-vis de quinze siècles de monarchie dans le giron de l’Église catholique. Trop bien compris les ressorts moraux de son époque pour ignorer l’exigence d’une république démocratique et sociale. Trop fréquenté l’Histoire au long cours pour ne pas s’être aperçu que la coloration mélancolique de notre littérature, depuis l’Enchanteur jusqu’à Baudelaire (et dépendances), était l’effet à peine différé de la geste de la Grande Armée. 

Avis aux gouvernants d’aujourd’hui et de demain : tout homme d’État digne de l’appellation doit impérativement s’élancer dans l’action en se référant à ces trois pôles de notre mémoire politique. Il doit être trinitaire : monarchien, républicain, bonapartiste. Avec, certes, des dosages variables selon sa famille politique d’origine – mais, à trop la privilégier au détriment des deux autres piliers, il risque au mieux l’impuissance, au pire le désordre. De Gaulle aurait échoué s’il n’avait incarné naturellement ce syncrétisme, enfanté par notre histoire et qui permet de rameuter toutes les facettes de l’imaginaire national. 

Dans La France et son armée, paru en 1938, le Général ne cache pas son admiration pour le génie stratégique de Carnot qu’il compare à celui de Louvois. Oui, Lazare Carnot, du Comité de salut public, celui-là même qui porte une lourde responsabilité dans les massacres des Vendéens. Massacres de masse justifiant le terme de génocide. Le 13 juin 1940, il écrit à Reynaud, pour le prier de ne pas se résigner à l’armistice en ces termes : « Soyez Carnot ou nous périrons. Carnot fit Hoche, Marceau, Moreau. » Autant dire que le patriotisme du Général rameute les glorieux soldats de l’an II, au même titre que les troupes de l’Ancien Régime. 

Il n’existe pas de « valeurs républicaines », comme on voudrait le faire accroire au prix d’une supercherie sémantique. Mais de Caton l’Ancien au général Washington, le principe républicain recèle des vertus. La monarchie avait les siennes. Et Bonaparte a ébauché entre le 18 Brumaire et le couronnement une synthèse qui mérite aussi d’être prise en exemple. Le principe républicain était encore contesté dans l’entre-deux-guerres, eu égard à l’incurie de la IIIe République finissante. Depuis la Libération, il ne l’est plus – et cela grâce à un officier catho qui a su prendre ses distances avec son environnement d’origine, sans en renier les valeurs. Toujours le Général marqua de la déférence à la famille de France, Bourbons ou Orléans, ainsi qu’aux descendants de Bonaparte ; ils incarnent, par-delà les ruptures, une permanence de notre histoire. Il avait de l’estime pour le comte de Paris, lui adressait en priorité ses livres dédicacés – et à l’annonce de sa mort le chef de la famille de France se rendit à Colombey, seul, en voiture, pour rendre hommage au chef de la France. Un gaulliste ne peut que sympathiser avec les partisans d’un rapatriement des restes de Napoléon III… et de Charles X sur le sol français.

La France a épousé la République. Elle ne peut plus divorcer, sauf à se fourvoyer dans l’impasse d’un boulangisme. On trouve des Boulanger virtuels ou potentiels à tous les coins de rue, ils se déclarent généralement aux approches d’un scrutin présidentiel. Pour autant, de Gaulle n’a pas renié ce que doit la France à la construction patiente et obstinée des Capétiens. Ni à l’embrasement de l’imaginaire par la geste napoléonienne. Sinon, il n’aurait pas été à ce point subjugué par Chateaubriand, ce légitimiste constatant, dans les dernières pages des Mémoires d’outre-tombe, que l’avènement de la République était inéluctable. « C’est bien fait », a-t-il murmuré sur le lit où il agonisait durant l’hiver 1848 lorsqu’on lui apprit la proclamation de la IIe République. 

Par « instinct » (notion bergsonienne), le Général a su (senti) que la France devait être une République. Mais une république couronnée par les urnes – et le roi élu est condamné à pérenniser la grandeur de la France. Faute de quoi les urnes le guillotinent. Si ses successeurs à l’Élysée sont autant à la peine, c’est qu’ils gouvernent la France comme s’ils étaient banalement les chefs d’un exécutif. Ou, pire : d’une entreprise à peine multinationale.

Pour retrouver un premier extrait du livre de Denis Tillinac, publié sur Atlantico, cliquez ICI

Extrait du livre de Denis Tillinac, "Dictionnaire amoureux du Général", publié chez Plon

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