La prochaine épidémie pourrait être créée par un scientifique fou. Voici comment s’en protéger<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
La prochaine épidémie pourrait être créée par un scientifique fou. Voici comment s’en protéger
©LEON NEAL / AFP

ADN à usage de bioterrorisme

Avec l'avancée des recherches en matières de génétique, de séquençage de génome et le peu de régulation, créer ou reproduire un virus mortel ne serait pas si compliqué… L'épidémie de coronavirus Covid-19 a fait resurgir ces craintes.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico : Depuis quelques années maintenant, il est possible pour des chercheurs en biologie d'imprimer de l'ADN et de l'insérer dans des cellules. Les chercheurs ont seulement besoin de commander des séquences d'ADN venues directement de laboratoires pour ensuite les exploiter.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette méthode ? Est-ce courant dans le milieu de la recherche ?

Stéphane Gayet : L’acide désoxyribonucléique ou ADN est une macro molécule (de taille énorme) linéaire, une sorte de fil ou plutôt filament, très long et pelotonné. Ce très long filament est en réalité double, car il est constitué de deux filaments ou « brins » complémentaires l’un de l’autre (si l’on connaît la composition de l’un des deux brins, on peut alors en déduire la composition de l’autre brin : ceci revient à dire que chacun des deux brins comporte donc la même information).

L’ADN encore et toujours, cette macro molécule si fascinante, car essentielle au monde vivant

Tout le monde sait aujourd’hui que chaque individu a un ADN qui lui est propre, personnel, différent de tous les autres, et que cet ADN personnel contient des informations précises, intimes et même secrètes sur ce qu’il est, ce qu’il était, ce qu’il sera et tout ce qu’il peut être et peut faire (en réalité, cette affirmation n’est pas tout à fait exacte : notre ADN n’est que la partie génétique de notre patrimoine chromosomique qui comporte aussi une partie non génétique, dite épigénétique, et qui n’est pas de la même nature que l’ADN).

L’ADN est une énorme molécule stable : sa structure en double brin pelotonné est déjà une protection ; et elle est associée à de nombreuses protéines qui la protègent ; elle possède des mécanismes de réparation en cas de modification accidentelle.
Toutes les cellules du corps humain ont le même ADN, mais il s’exprime différemment selon leur tissu d’appartenance. Il n’est pas évident de faire la différence entre notre ADN et nos chromosomes : ceux-ci désignent un aspect morphologique qui apparaît lorsqu’une cellule se divise ; l’ADN d’une cellule qui s’apprête à se diviser (mitose) se segmente d’abord en 46 sous-unités appelées chromosomes, bien repérables au microscope. Ces 46 chromosomes sont regroupés en paires (23). A ce stade, notre ADN est donc atomisé en 46 sous-unités qui sont toutes des molécules d’ADN de taille réduite.

Les gènes sont des segments d’ADN, sortes d’unités fonctionnelles du génome

Chacun sait que notre ADN -et donc nos chromosomes- comporte des gènes. On a souvent tendance à réduire l’ADN à une succession de gènes, ce qui n’est pas exact. Etant donné la linéarité de la molécule d’ADN, un gène est un segment d’ADN. C’est une unité fonctionnelle de l’ADN. Chaque gène a une fonction bien définie. Il existe plusieurs catégories de gènes : gènes effecteurs (synthèses), gènes activateurs, gènes répresseurs ou inhibiteurs, gènes régulateurs…

On pourra lire ici des précisions et explications concernant les notions mobilisées ci-après.

Le génome d’un individu est l’ensemble de tous ses gènes (de l’ordre de 25000 chez l’être humain). Toutes les inventions de l’Homme lui sont le plus souvent inspirées de la nature et il est frappant de constater que le registre (la base de registre) du système d’exploitation d’un ordinateur actuel a des analogies avec le génome d’un être vivant ; chaque clé de registre peut prendre différentes valeurs et elle peut être comparée à un gène.

Le code génétique est la clef du déchiffrement de l’ADN et donc de ses gènes

Chaque gène est « écrit » dans le génome à l’aide d’un « code génétique » : c’est comme une langue qui aurait un alphabet particulier. Une lettre ou codon (unité du code génétique) est constituée de la succession de trois nucléotides désignés par leur base azotée, elle-même désignée par son initiale. Les quatre bases azotées de l’ADN sont : l’adénine (A), la guanine (G), la cytosine (C) et la thymine (T). L’ordre est déterminant : par exemple, AAC est différent de CAA. Le code génétique peut ainsi être comparé à une langue ou à un code informatique. Un mot dans le code génétique ressemble à CTG-AGT-TTC-CTA-AAC-CCG-CAA-GTT-etc. Le génome est constitué d’un nombre gigantesque de mots. Les mots sont regroupés en ensembles cohérents et signifiants appelés gènes. Un gène peut ainsi être comparé à une phrase dans le code génétique.

Si l’on peut comparer le génome à la base de registre du système d’exploitation d’un ordinateur, on peut aussi le comparer au rouleau de la Torah avec ses quelque 304 808 lettres, qui est le fondement et l’essence de la religion juive.

Ce que l’on sait faire sur l’ADN aujourd’hui : beaucoup de manipulations sont réalisables

Tout le monde vivant est constitué de cellules vivantes. Toute cellule vivante est limitée extérieurement par une enveloppe appelée membrane plasmique, contient un gel appelé cytoplasme et un noyau ou son équivalent contenant le génome qui n’est autre qu’une molécule d’ADN plus ou moins segmentée et associée à de nombreuses molécules (protéines surtout).

Nous avons 46 chromosomes, les bactéries n’en ont qu’un seul. L’ADN bactérien est un merveilleux terrain d’étude. C’est grâce à l’ADN bactérien que tous ces progrès concernant l’ADN et ses manipulations ont pu être accomplis.

On sait repérer un gène (son début, son corps, sa terminaison), le séquencer (déterminer la séquence de ses nucléotides), le modifier et le couper (à l’aide de « ciseaux génétiques »), et le copier dans un autre ADN. Qui plus est, on est aujourd’hui capable de fabriquer un gène, dès l’instant où l’on connaît sa séquence de nucléotides. Ces techniques de manipulation génétique sont devenues aujourd’hui assez bien maîtrisées et elles sont plus ou moins facilement mises en œuvre par de nombreux laboratoires, et dès lors financièrement abordables. On peut ainsi passer commande d’un gène « sur mesure », correspondant à une séquence de nucléotides que l’on définit précisément.

Que peut-il se passer si un chercheur mal intentionné s'emparait de cette méthode pour créer un virus dévastateur ? Est-ce possible ?

Un gène n’est qu’un gène : le gène ne fait pas l’ADN et l’ADN ne fait pas l’être vivant. Dans le très célèbre film de science-fiction « Jurassic Park », Steven Spielberg nous fait croire que l’on peut reconstituer un dinosaure à partir de son ADN qui aurait été retrouvé dans des roches fossiles (l’ADN est une molécule en effet résistante).

En réalité, ce n’est pas aussi simple que cela : il faut déjà reconstituer des gamètes, provoquer une fécondation (formation d’un œuf) et permettre le développement de cet œuf. Tout cela reste extrêmement compliqué et encore bien utopique.
Alors, que peut-on faire avec des gènes ? Pas grand-chose avec seulement des gènes, pour ne pas dire rien du tout.

Les virus et le bioterrorisme viral

Un virus est un organisme biologique sans aucun métabolisme. Il ne répond pas à la définition de la vie qui est en principe constituée de cellules vivantes (un virus n’est pas cellulaire).

Néanmoins, un virus a un génome et on pourrait même dire qu’un virus n’est qu’un génome associé à diverses molécules qui accompagnent ce génome et lui permettent d’être infectant. Contrairement au monde vivant, le génome viral est soit constitué d’ADN, soit constitué d’acide ribonucléique ou ARN (les virus à ARN sont les plus fréquents en pathologie).

Actuellement, on ne sait pas créer un être vivant même unicellulaire de novo, c’est-à-dire à partir d’éléments simples. En revanche, on sait modifier le génome de bactéries et de virus.

En principe, on devrait être capable d’insérer dans le génome d’un virus un ou plusieurs gènes de virus très pathogènes. Il s’agit là d’une opération techniquement réalisable. Mais on ne peut pas être certain du résultat : la particule virale (virion) ainsi modifiée ne sera pas forcément infectieuse et si elle est infectieuse, la seule présence d’un ou de plusieurs gènes de virus très pathogènes ne permet pas automatiquement d’en faire un nouveau virus très pathogène. Car on maîtrise assez bien les manipulations génétiques, mais pas leur résultat, étant donné qu’il y a toujours des facteurs qui nous échappent. La vérité est que l’on a trop souvent tendance à résumer un gène à ses effets constatables simplement à court terme, mais c’est sans tenir compte des interactions entre gènes et des effets à moyen ou long terme.

Prenons un exemple : les virus Ebola sont peu contagieux mais extrêmement pathogènes. Le virus de la rougeole est d’une très grande contagiosité, mais d’une faible pathogénicité en moyenne (sans compter les cas graves, bien sûr). Ce sont tous les deux des virus à ARN, mais de familles fort différentes. On pourrait avoir l’idée folle -après avoir identifié les gènes de grande pathogénicité d’un virus Ebola- de les greffer dans le génome d’un virus rougeoleux. On devrait pouvoir y arriver, mais à quel prix ? Il est très loin d’être certain que le résultat soit effectivement un virus très contagieux et très pathogène.

En somme, n’imaginons pas aussi vite que, capables de modifier le génome d’un virus, on soit ipso facto capables de créer un nouveau virus dévastateur. Cela relève encore (pour combien de temps ?) de la science-fiction et c’est bien sûr heureux.

Comment se protéger face à ces dangers ? Existe-t-il des législations pour cela par exemple ?

Les lois de bioéthique sont complexes à élaborer et à promulguer. La science et la technique évoluent aujourd’hui trop vite, compte-tenu de la lenteur législative et même réglementaire. Car les progrès scientifiques et technologiques sont nourris de capitaux d’investissement, eu égard aux profits escomptés. Alors que le pouvoir législatif agit lentement, étant donné que les motivations ne sont pas les mêmes et qu’il existe toujours la peur de se tromper et de mal faire.

Plusieurs pays ont mis en place des directives pour prévenir les manipulations génétiques dangereuses, particulièrement en matière de bioterrorisme. Mais une directive n’est pas une loi tant qu’elle n’est pas transposée dans l’arsenal législatif.

On a commencé à élaborer une base de données de gènes viraux dangereux. Cette base de données est dans son esprit un outil international. En principe, un laboratoire privé recevant une commande de gènes devrait vérifier, grâce à cette base de données, qu’aucun gène de la commande ne fait partie des gènes viraux déjà connus et identifiés comme dangereux. Il est certain que cet outil est très loin d’être suffisant : la vérification est longue et coûteuse et il est certainement possible de tromper le logiciel de vérification, si l’on connaît ses algorithmes. C’est pourquoi l’on envisage de ne plus rendre cette base de données publique et consultable par tout un chacun (en connaissant son contenu, on peut adapter la commande afin que des gènes dangereux ne soient pas reconnus par elle). On le voit, la prévention du bioterrorisme reste compliquée. Et évidemment, ces possibilités peuvent faire peur, étant donné que la folie humaine est à peu près capable de tout.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !