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Mariage des prêtres : le pape François choisit le statu quo....mais pas sur tout
©ANDREAS SOLARO / AFP

"Querida Amazonia"

Dans le cadre de sa réponse à un synode des évêques d'Amazonie, le pape François n'a pas retenu l'ouverture de la prêtrise aux hommes mariés, ni la réouverture du débat sur l'ordination de femmes diacres. Il ne s'est pas exprimé en faveur de ces deux propositions dans son "exhortation apostolique post-synodale" intitulée "Querida Amazonia".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Les catholiques fidèles à la tradition de l’Eglise ont gagné une bataille....

Les historiens sauront-ils un jour si l’Exhortation Apostolique Querida Amazonia, publiée par le pape François le 12 février 2020, aurait été la même sans l’ouvrage paru un mois plus tôt sous la plume du Cardinal Ratzinger (le pape émérite Benoît XVI) et du Cardinal Sarah pour défendre le célibat ecclésiastique et intitulé Des profondeurs de nos coeurs? En tout cas, le résultat est là: François n’a pas suivi le Document Final du synode pour l’Amazonie, qui avait proposé l’ordination d’hommes mariés et l’accès des femmes au diaconat. Le pape a-t-il craint d’affronter son prédécesseur Benoît XVI et Robert Sarah, l’un des cardinaux les plus respectés ? Ou bien avait-il pris sa décision plus tôt, au vu de l’opposition forte qu’avait suscitée le Synode pour l’Amazonie, en particulier chez de nombreux laïcs de la Génération Jean-Paul II, aux Etats-Unis et en Europe? Pour ma part, le très fort cléricalisme qui caractérise ce pontificat, dissimulé derrière un discours apparemment anticlérical, me fait penser que seul Des profondeurs de nos coeurs a emporté le morceau. Néanmoins il est certain que les deux cardinaux se sont faits les porte-paroles de tous les catholiques, prêtres, religieux ou laïcs, qui avaient solennellement marqué leur désapprobation quant au déroulement du synode. 

Un autre aspect très frappant de l’exhortation pontificale est la prière à la Vierge qui termine le texte. On se rappelle le scandale qu’avait causé la présentation d’une idole de la Terre-Mère, appelée Pachamama, d’abord dans les jardins du Vatican puis dans la Basilique Saint-Pierre de Rome et à Santa Maria Traspontina. Le pape lui-même avait semblé approuver ce culte néo-païen. Eh bien, la seule « Mère de l’Amazonie », dans le document pontifical, c’est la Mère du Christ, François s’affirmant soudain proche de la vénération mariale de ses prédécesseurs. 

...mais pas la guerre ! 

Les catholiques conservateurs et traditionalistes se sont dit rassurés toute la journée du 12 février sur les réseaux sociaux ! Cependant, une lecture attentive du document devrait les inciter à la vigilance. François utilise certes les mots de la tradition pour parler du sacerdoce, il cite plusieurs fois Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais son texte, lu d’un bout à l’autre, ne prend pas vraiment de distances avec les documents du Synode pour l’Amazonie: 

1. L’introduction de Querida Amazonia se réfère très positivement au Document Final et en recommande la lecture. C’est d’ailleurs ce qui a permis, ce 12 février aussi, au Cardinal Czerny, de la Curie, au Cardinal Marx, cardinal-archevêque de Munich ou à Thomas Sternberg, président du Comité Central des Catholiques allemands, d’affirmer que la question du mariage des prêtres et celle de l’ordination des femmes restaient ouvertes. La phraséologie sur le « chemin synodal » n’a pas disparu du texte pontifical. Elle signifie que François ne veut pas fermer complètement la porte à une possible rupture avec la tradition de l’Eglise catholique. Il continue, contre la vocation paternelle qui doit être celle d’un pape,  d’encourager la lutte entre les factions au sein de l’Eglise. 

2. Querida Amazonia reprend une grande partie des pages politiques de l’Instrument de Travail ou du Document Final, qui n’ont rien à faire dans un document pontifical. Utilisation approximative de la notion de « colonialisme », anticapitalisme de pacotille, mauvaise resucée de textes onusiens, discours écologiste façon pastèque (vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur), indigénisme indigent, tout y passe, contribuant à briser la séparation évangélique entre le religieux et le temporel. Au passage on notera que, phénomène récurrent chez François, les évangiles et le Christ sont peu cités. François continue de se comporter en ami des « théologiens de la libération »

Prolongation de la crise de l’autorité dans l’Eglise 

Le Cardinal Marx avait annoncé dès le 11 février 2020, veille de la publication de Querida Amazonia, qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat de président de la conférence épiscopale allemande. Nombreux sont les analystes qui l’expliquent par la déception que la cause du mariage des prêtres et de l’ordination des femmes ne reçoive pas un soutien du Vatican. Il est certain que la déception des progressistes est grande. Mais pour autant, le pape n’a pas regagné la confiance des conservateurs. A force de pratiquer le moins bon de la tradition jésuitique (ce « en même temps » qu’Emmanuel Macron, qui fut élève dans une institution jésuite, semble avoir trop bien assimilé), le pape François affaiblit l’autorité pontificale. Rien n’est résolu de la crise déclenchée par la démission de Benoît XVI il y a sept ans, quasiment jour pour jour (11 février 2013). Rien ne le dit mieux que les explications alambiquées de représentants du Saint-Siège pour parler d’ « autorité morale » du Document Final du Synode pour l’Amazonie, par opposition au « magistère ordinaire », selon les termes du Cardinal Baldisseri, secrétaire général du synode des évêques. Eh bien cette opposition n’a aucun sens: les trois niveaux du magistère, en ordre croissant, sont: authentique, ordinaire et extraordinaire. 

Le pape François a beau cultiver l’ambiguïté su le statut des documents synodaux par rapport à son exhortation, il devient de plus en plus évident qu’aucun des grands documents issus de son pontificat n’est en mesure d’atteindre le niveau du magistère ordinaire - celui des constitutions de Vatican II et de tous les documents produits par ses prédécesseurs. Pour ma part, je considère que Querida Amazonia ne relève même pas du magistère authentique (le plus bas des niveaux de magistère pontifical). Nous sommes devant le paradoxe d’un pape qui ne laissera quasiment aucun enseignement à la tradition de l’Eglise. Nous touchons là à la vraie crise de l’Eglise, celle de l’autorité et du magistère. Déjà Vatican II avait voulu se confiner à un magistère ordinaire, sans formuler de formules qui engage l’infaillibilité de l’Eglise. Depuis lors, nombreuses ont été les divisions à propos de certaines des constitutions du Concile, insuffisamment travaillées ou mal appliquées. Le pontificat de François représente l’aboutissement de la tendance moderniste à vouloir prendre des libertés avec la tradition; tout en se réclamant ensuite de l’autorité de l’Eglise pour défendre des propositions hasardeuses. 

Un « chemin synodal » qui ne répond pas à la crise de l’Eglise en Amérique latine

Le plus critiquable, cependant, n’est pas là, de mon point de vue, dans le document pontifical. Il faut le repérer dans la désinvolture avec laquelle le Saint Père en appelle au dialogue entre catholiques et protestants pour servir l’Amazonie. Comment peut-on être aussi aveugle à la situation réelle alors que l’on est soi-même latino-américain? L’évangélisme d’inspiration américaine fait des progrès foudroyants, depuis quarante ans, dans toute l’Amérique catholique à cause de la théologie de la libération ! Le Synode pour l’Amazonie avait pour motivation officielle d’identifier de nouveaux chemins pour l’évangélisation. Or ce qui nous a été présenté au mois d’octobre par le Synode, et que reprend en grande partie Querida Amazonia, c’est le recyclage de cette théologie marxisante qu’avait condamnée Jean-Paul II, et qui n’a cessé de faire perdre des croyants au catholicisme latino-américain au profit du protestantisme missionnaire venu du nord du continent. Certains se réjouiront qu’un christianisme nord-américain dynamique vienne répondre à la soif spirituelle des Latino-américains qui ne se sont jamais reconnus, au-delà de minorités activistes, dans la dérive politique d’un certain nombre de théologiens et d’évêques. Mais force est dans ce cas de constater que l’objectif de nouvelle évangélisation, celui d’inculturation ou l’affirmation d’un « visage amazonien » au sein de l’Eglise resteront largement des formules incantatoires. Et si l’on est pleinement catholique, c’est-à-dire si l’on est convaincu que seule l’Eglise romaine a conservé la plénitude du message du Christ, on ne peut que déplorer l’inefficacité - voire le caractère régressif - du néo-marxisme mêlé de considérations rousseauistes dont est truffé le document pontifical. Le résultat en a été, le basculement d’un tiers des catholiques du continent vers l’évangélisme. 

Au bout du compte, Querida Amazonia est à l’image du pontificat de François: plein d’ambiguïtés et, au bout du compte, réactionnaire derrière les slogans progressistes. Le Souverain Pontife s’accroche à des conceptions erronées de ce que devait être le catholicisme latino-américain. Jusqu’à présent, il n’a pas réussi à se hisser à la hauteur des enjeux de l’Eglise universelle. 

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