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Thérapies ciblées : une nouvelle étude majeure promet une révolution dans le traitement du cancer
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Espoir pour les malades

Plus d'un millier de scientifiques ont construit l'image la plus détaillée du cancer dans une étude historique. Cette prouesse est porteuse d'espoir pour les médecins et les patients.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Une étude gigantesque a permis d’étudier des cellules cancéreuses comme cela n’avait encore jamais été le cas. Elle a révélé des informations parfois surprenantes, très utiles et porteuses de bien des espoirs.

Du génome des cellules saines au génome des cellules cancéreuses : le lent processus de la cancérogénèse

Stéphane Gayet : le développement de ce sujet mobilise les notions de nucléotide, de codon, d'acide désoxyribonucléique ou ADN, d'acide ribonucléique ou ARN, de gène et d'épigène, de génome et d'épigénome, ainsi que d'altérations géniques des cellules cancéreuses : on trouvera ici des explications nécessaires et d'autres explications ici également.

Toutes les cellules du corps humain (plus de 10 000 milliards) possèdent le même génome et donc les mêmes gènes. C'est du moins vrai pour les cellules saines. Toutes les cellules saines sont de ce fait reconnues comme appartenant à un même organisme, le « soi ». Ce qui diffère d'un tissu à l'autre et donc d'une cellule à l'autre, c'est l'expression des gènes ainsi que toutes les molécules non géniques qui viennent s'ajouter aux gènes et qui en modifient le fonctionnement (épigènes).

Un gène peut être comparé à une phrase dans le code génétique : c’est assez schématiquement une unité fonctionnelle du génome. Mais il est clair qu'il contient infiniment plus d'informations qu'une simple phrase : un gène humain comporte entre 500 et plusieurs milliers de bases. On estime que notre génome détient de l’ordre de 25000 gènes, ce qui représente au total de l’ordre de 3,2 milliards de nucléotides (et donc de bases azotées).

Une cellule cancéreuse, quel que soit son tissu d'origine, est une cellule dont le génome est gravement altéré et de façon irréversible (car une cellule est capable de réparer certaines altérations génomiques). Elle est devenue monstrueuse, tant sur le plan morphologique que comportemental : elle est ainsi boulimique (se nourrissant de sucre et d'oxygène), agressive, envahissante, destructrice, incontrôlable et plus ou moins pérenne. Elle n'est plus reconnue comme faisant partie du soi, c'est un redoutable tueur perçu comme étranger. Notre corps a donc créé un monstre qui vient de l'intérieur. Or, on sait que cette création est largement favorisée par de très nombreux agents toxiques ou pathogènes, parmi lesquels certains microorganismes (virus, bactéries…).
Le génome d'une cellule cancéreuse est donc une version corrompue de celui de nos propres cellules saines : de mutation en mutation, un ADN cellulaire se modifie jusqu'à ce qu'il ait les caractéristiques d'un génome de monstre irréversible.

Le consortium « Pan-cancer analysis of whole genomes » a analysé l'ensemble du génome de 2 658 cancers

Le nom du consortium « Pan-cancer analysis of whole genomes » signifie : analyse pan-cancéreuse de génomes entiers. Il s'agit d'une étude titanesque. Ce consortium, c'est la fédération de plus d'un millier de scientifiques qui ont entièrement analysé le génome d'un nombre colossal de cellules cancéreuses, ce qui n'avait encore jamais été réalisé jusqu'alors.

Ce travail phénoménal est parti du principe que si l'on ne réussissait pas à progresser plus vite en matière de cancérologie, c'était probablement lié à des conceptions scientifiques dépassées et pourtant figées.

La conception classique du génome et des gènes énonce que les gènes vraiment importants sont ceux qui codent pour la synthèse de protéines. Les protéines sont les molécules nobles, reines, du monde vivant. Les glucides et les lipides n'étant considérées que comme des molécules moins nobles, principalement utiles au métabolisme énergétique. On distingue les protéines de structure et les protéines enzymes, très schématiquement. En biochimie (chimie du vivant), on admet que la grande majorité des réactions chimiques ne peut s'effectuer correctement qu'en présence d'une ou de plusieurs enzymes.

Ainsi, un gène qui code pour une enzyme permet l'accomplissement d'une réaction biochimique.

On s'était surtout intéressé jusqu'alors aux gènes codant pour des protéines. Or, près de 99 % de nos gènes ne codent pas pour des protéines et on les considérait comme sans grande importance. C'est à ces 99 % de gènes négligés que cette étude s'est attaquée. Ce qui a permis à ce consortium d'apprendre que ces gènes oubliés étaient importants en cancérogénèse.

Le Dr Lincoln Stein de l'Institut ontarien (l'Ontario : province du Centre-Est du Canada, en bordure des Grands lacs et des États-Unis, dont la capitale est Toronto) de recherche sur le cancer a déclaré : en ne s'étant intéressé jusqu'à présent qu'aux gènes codant pour des protéines, on s'était focalisé sur 1 % du génome des cellules (cancéreuses).

Il a fallu le travail d'équipes dans 37 pays et pendant plus d'une décennie, pour commencer à comprendre le rôle des 99 % de gènes négligés. Ce travail a conclu au fait que nous avions une vision trop simplifiée de la cancérogénèse, alors qu'elle était un processus infiniment complexe, avec des milliers de combinaisons différentes de mutations capables de générer un cancer.

Une synthèse époustouflante de leurs études a été publiée récemment dans la revue « Nature » : un article de 50 pages qui dresse un tableau génomique presque complet de tous les cancers connus. Il regorge véritablement de données et graphes d'une extrême richesse.

Les grands traits des principales découvertes de cette immense étude sur les cancers

On a ainsi découvert qu'un cancer comportait en moyenne entre quatre et cinq mutations majeures, hyper critiques et de nature à initier le développement d'un clone cancéreux. Ces mutations hyper critiques portent, comme on s'en doute, sur différents points faibles du génome qui ont donc été découverts. La connaissance de ces points faibles génomiques devrait pouvoir être exploitée en thérapeutique, mais aussi pour le diagnostic. Toute mutation qui porte sur l'une de ces régions hyper critiques du génome est par conséquent considérée comme une mutation initiatrice ou promotrice de cancer.

Cependant, 5 % des cancers semblent ne présenter aucune mutation hyper critique, ce qui montre qu'il reste encore bien des progrès à accomplir.

« En fin de compte, ce que nous envisageons, c'est d'utiliser ces découvertes pour traiter chaque patient au cas par cas. On devrait réussir à mettre au point un traitement spécifique, adapté à la tumeur unique de chaque patient », a déclaré le Dr Peter Campbell, du Wellcome Sanger Institute (Cancer, vieillissement et mutations, établi à Cambridge).

Grâce aux méthodes modernes de « datation au carbone » appliquées aux modifications génomiques, les scientifiques ont réussi à estimer le temps de préparation (sorte d'incubation) d'un cancer : « Nous avons pu mettre au point les premières estimations chronologiques des mutations génomiques sur l'ensemble de tous les types de cancer », a annoncé le Dr Peter Van Loo de l'Institut Francis Crick (il est chef d'équipe de ce laboratoire de génomique du cancer établi à Londres).

C'est ainsi que l'on a pu montrer que plus d'un cancer sur cinq (plus de 20 %) pouvait se préparer (donc par des mutations successives) pendant des années, voire des décennies, avant qu'il ne commence véritablement à se développer.

Il devrait ainsi être possible de développer de nouveaux tests diagnostiques qui détecteraient les cancers beaucoup plus tôt. Il restera tout de même à bien faire la différence entre les mutations non critiques, qui pourront être ignorées sans danger, et celles qui sont au contraire hyper critiques et qu'il ne faudra pas manquer de détecter.

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