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Deux porte-avions pour faire la guerre
©FELIX GOLESI / POOL / AFP

Succession du Charles de Gaulle

Le chef de l'Etat Emmanuel Macron doit se prononcer dans les mois à venir sur la pertinence du programme Porte-Avions de Nouvelle Génération pour la succession du Charles de Gaulle.

Thibault  Lamidel

Thibault Lamidel

Ancien V.O.A. de la Marine Nationale, Thibault Lamidel est analyste indépendant, spécialiste du fait naval et animateur du blog Le Fauteuil de Colbert, premier blog consacré à l'actualité maritime et navale de France.

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Le Président de la République se prononcera à la fin du premier semestre 2020, grâce à quatre études, sur la pertinence du programme Porte-Avions de Nouvelle Génération (PANG) dont l'objet est la succession du Charles de Gaulle.

Auparavant, la France bénéficiait de la permanence aéronavale grâce aux porte-avions modernes, les Clemenceau (1959 – 1997) et Foch (1963 – 2000). Pendant 34 ans un porte-avions était disponible pour prendre la mer sous 72 heures ou était d'ores et déjà en navigation. Depuis le désarmement du Foch en 2000, la permanence aéronavale est perdue et la présence en mer du groupe aéronaval devenue intermittente, malgré l'admission au service actif du porte-avions Charles de Gaulle en 2001.

Surveiller le trafic d’Orly depuis Lorient

Pourquoi est-il important sur le plan militaire de posséder la permanence aéronavale ? Pour le célèbre théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, la guerre est la capacité à imposer sa volonté à l'ennemi pour le soumettre. Sur mer, cela s'exprime selon l'Amiral Castex (le père de la synthèse des écoles de stratégie navale) par le contrôle de la « surface » afin qu'un groupe aéronaval puisse influencer le sort de la décision dans les combats à terre. Et donc « qui tient les hauts, tient les bas » : la force militaire apte à engager le combat au-dessus de la mer bénéficie d'un facteur de supériorité car aucun système d'arme ne possède une allonge plus grande que celle combinant un avion de combat et un missile de croisière ou anti-navire.

Pour affronter l'un des quatre scénarios arrêtés par le chef d'état-major des armées, le général d'armée François Lecointre, c'est-à-dire la gestion d'une crise, l'affrontement dissymétrique, la politique du fait accompli ou la guerre symétrique, dit « classique », il s'agit de pouvoir projeter puissances et hommes, souvent, si ce n'est toujours par-delà les mers. La « verticale du combat naval » impose de maîtriser le volume sous-marin et l'espace aérien afin que nous puissions faire sentir l'influence du groupe aéronaval à terre aussi longtemps que possible.

Dans la pratique, l'influence opérationnelle d'un groupe aéronaval peut se mesurer de la sorte : la frégate de défense aérienne au large de Lorient voit le trafic de l'aéroport d'Orly. Un avion de guet aérien E-2C Hawkeye volant au large de Toulon peut suivre les mouvements de l'aéroport Roissy- Charles de Gaulle.

Cette bulle d'environ 800 km de rayon peut durer longtemps à la mer quand son assise est de deux porte-avions : l'opération Prométhée (1987 – 1988) voyait les Clemenceau et Foch se relayer pendant 14 mois.

Aussi, les porte-avions français emportent l'arme nucléaire depuis 1985. Une permanence aéronavale combinée à la Force AéroNavale nucléaire (FANu) recèle une influence stratégique considérable, complémentaire des Forces Aériennes Stratégiques et de la Force Océanique Stratégique.

Anticiper le retrait du service actif du porte-avions Charles de Gaulle

Le temps moyen, pour les trois derniers porte-avions construits en France, entre la commande et la mise en service est de 10 ans. Ce délai contraint les pouvoirs publics à un exercice d’anticipation bien connu du milieu militaire. C'est pourquoi la ministre des Armées, Mme Florence Parly, annonçait lors du salon Euronaval 2018 la création d'une ligne budgétaire de 36 millions d'euros.

Elle permet le financement de quatre études pendant 18 mois dont les objets sont le choix des technologies, le choix de la propulsion, les besoins capacitaires de la Marine nationale, les menaces militaires actuelles et futures et le nombre de porte-avions. Cela se traduit par un ensemble d' « esquisses » et un dossier qui seront présentés au Président de la République pour prendre sa décision à la fin du premier semestre.

Ces quatre études doivent proposer de prendre des décisions sur des points bloquants.

Le premier est celui du choix de l'avion dimensionnant les caractéristiques générales du futur bâtiment. Il s'agira du Next Generation Fighter (NGF), l'élément le plus visible du programme de Système Aérien de Combat Futur (SCAF) mené avec l'Allemagne. D'une masse maximale au décollage devant être comprise entre 30 et 32 tonnes, cela implique plusieurs conséquences architecturales sur le PANG : la « garde à l'arrondi », c'est-à-dire l'angle formé par le pont d'envol et la trajectoire du NGF en phase d'appontage. Il en découle la longueur de la piste oblique qui devrait être d'environ 240 mètres (contre 199 sur le Charles de Gaulle) et son angle par rapport à l'axe du bâtiment. Il ne manquera plus que d'arrêter le nombre de catapultes (entre deux et trois selon les esquisses publiées à ce jour). Le reste du pont d'envol s'organisera selon le nombre d'ascenseurs et la place de l' « îlot », c'est-à-dire la structure portant la passerelle de navigation et la passerelle aviation.

Pont d’envol agrandi et catapultes électromagnétiques

De tout ceci, pour opérer des aéronefs de 30 à 32 tonnes, il en ressort un PANG dont la longueur serait d'environ 300 mètres pour un déplacement à pleine charge d'environ 70 000 tonnes, selon le choix retenu pour la propulsion. Les catapultes seront « électromagnétiques », des EMALS déjà retenues par l’US Navy pour ses futurs porte-avions. Elles permettent un plus grand nombre de catapultages et ont une masse deux fois moindre que leurs devancières à vapeur. Parallèlement, la diversité d’aéronefs propulsables sera plus grande, comme le montre les tests de certification à la mer récemment engagés sur le porte-avions américain, le CVN-78 Gerald R Ford. La France aurait pu développer pareille installation, et cela avait été imaginé dès les années 1980 pour le porte-avions Charles de Gaulle. Mais le coût d'un tel programme n'est pas en rapport avec son utilité.

En ce qui concerne la propulsion, le PANG devra affronter un premier défi technique : le développement d'une propulsion électrique intégrée. Ce ne sont plus des turbines ou des moteurs qui engagent directement l'arbre portant l'hélice mais des moteurs électriques. Les machines ne servent plus qu'à produire de l'énergie convertie en électricité. Il en découle une simplification de l'architecture du bâtiment autour d'un seul type d'énergie.

Le choix de la propulsion est à replacer dans le cadre de la préservation des compétences au service de la propulsion navale nucléaire des bâtiments français, dont les sous-marins de la dissuasion : le cœur de la Marine. Les réacteurs d'un PANG à propulsion nucléaire assureraient ainsi « le tuilage » avec les futurs Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engin de 3ème Génération (SN3G). Raison pour laquelle la DGA, le CEA et la Marine nationale ont une préférence pour la propulsion nucléaire, quitte à ne posséder toujours qu'un seul porte-avions.

Le dilemme de la propulsion

Mais le choix du réacteur nucléaire est compliqué. La « filière » des réacteurs K15, utilisés sur le Charles de Gaulle et les SNLE,  arrive en butée de son potentiel d'évolution. Développer un modèle de réacteurs pour un porte-avions d'environ 70 000 tonnes oblige à créer un modèle plus puissant, baptisé « K220 ». Il est aussi possible de retenir trois réacteurs embarqués, mais cela augmenterait les coûts de rechargement des cœurs des réacteurs. Développer une nouvelle filière pour remplacer le K15 et en extrapoler, au moins, deux modèles pour les PANG et SN3G oblige à replacer pareille décision dans le cadre des décisions structurantes touchant au nucléaire civil.

A contrario, une propulsion classique à savoir diesel-électrique, si elle ne résoudrait pas les problématiques de la propulsion navale nucléaire, diminuerait drastiquement l'enveloppe du programme PANG et, partant de là, ouvrirait la voie à la commande de deux porte-avions. C'est le deuxième choix de la Marine. Une propulsion électrique intégrée fonctionnera aussi bien avec des réacteurs nucléaires qu'avec des turbines à gaz et des moteurs diesels.

Sur le plan opérationnel, la propulsion nucléaire conserve l'avantage d'une autonomie quasi-illimitée alors que la propulsion classique oblige à un ravitaillement ponctuel, de l'ordre de la semaine. Le porte- avions à propulsion nucléaire s'y astreint pourtant puisque les opérations aériennes et le ravitaillement en vivres de l'équipage l’y obligent, dans les faits.

Enfin, le Charles de Gaulle a montré une certaine rigidité quant à sa disponibilité stratégique car les arrêts techniques majeurs obligent donc à un calendrier presque figé au nom des contraintes de sûreté nucléaire. Mais le choix du même combustible que les centrales EDF laissent augurer d'un rechargement des cœurs tous les 10 ans, contre 7 ans au début du service de l'actuel porte-avions.

De même, les réacteurs nucléaires embarqués obligent à un certain nombre de mesures, notamment sur les munitions, ce qui renchérit leur coût. Aussi, certains États n'acceptent pas l'escale d'un bâtiment à propulsion atomique, ce qui pèse sur l'efficacité et la portée de la diplomatie navale. Néanmoins, les derniers développements juridiques montrent que la contrainte pèsera également sur les bâtiments à propulsion classique car leurs différentes émissions sont et seront encore plus contraintes par les impératifs écologiques.

Une chance pour Saint-Nazaire ?

Le choix du chantier portera inévitablement sur le couple formé par les Chantiers de l'Atlantique (coque) et Naval group (armement). Les deux sociétés de construction navale sont aptes à la construction d'un porte-avions mais seuls les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire possèdent les capacités industrielles pour. D'où l'accord noué entre les deux grands protagonistes de la navale française en 2003 pour les bâtiments de plus de 10 000 tonnes. Entre 2007 et 2010, les Chantiers de l'Atlantique affirmaient pouvoir lancer la coque propulsée en 18 mois pour 1103 millions d'euros (données 2010 corrigées de l'inflation 2019). La construction du porte-avions Charles de Gaulle avait été ralentie pour des économies budgétaires à quatre reprises.

Ce qui amène à la question du calendrier. Il est très probable que le Président de la République décide en faveur de la succession du porte-avions Charles de Gaulle. La Marine demande, au plus tard, un porte-avions aux essais en 2036 afin qu'il soit paré pour le service en 2038. Mais l'excellence de l'outil industriel des Chantiers de l'Atlantique pourrait faire tomber les 7 ans entre la commande et l'admission au service actif du Clemenceau. Les Chantiers de l'Atlantique maîtrisent la propulsion électrique intégrée et les commandes nombreuses de navires de croisière les obligent à tenir les délais. En cas de commande du PANG après l'élection présidentielle de 2022, il n'est pas interdit d'espérer une admission au service actif à l'orée du prochain arrêt technique majeur du Charles de Gaulle (2027 – 2028) et de retrouver la permanence aéronavale à l'échéance 2028 et non pas 2040. La deuxième unité, quelle que soit l'échéance, coûterait un tiers de moins que la première. Des économies d’échelle non négligeables que les pouvoirs publics seraient bien inspirés de prendre en compte.

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