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Nicolas Sarkozy présente ses voeux, c’est l’occasion de se repencher sur son mandat ou le dernier mandat présidentiel "tranquille"
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Souvenirs, souvenirs

Nicolas Sarkozy déchaînait les passions des élites mais son quinquennat n’a été marqué par aucun conflit social majeur. François Hollande ou Emmanuel Macron rassur(ai)ent les élites mais leurs quinquennats sont agités par une violence politique.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Alors qu'il était au pouvoir et, plus tard lorsqu'il s'est présenté aux primaires LR, Nicolas Sarkozy a été toujours considéré comme un Président extrêmement clivant. Pourtant si certains le qualifiaient, à l'instar de François Bayrou, de "clivant, violent, injurieux", finalement ne l'était-il pas bien moins que ses prédécesseurs qui ont tous deux eu affaire à de larges mouvement protestataires ? Déplaisait-il davantage aux "intellectuels" qu'au peuple ?

Maxime Tandonnet : Oui, l’histoire du quinquennat de Nicolas Sarkozy n’a pas été marqué par de profondes secousses de la société française contrairement aux trois autres quinquennats de Chirac, Hollande et Macron. Il y a eu quelques poussées de fièvre et des mouvements sociaux durs, notamment lors de la réforme des retraites en 2010 mais qui n’ont jamais paralysé le pays et n’ont pas duré au-delà de quelques jours. Sous son mandat, il n’y a rien eu qui ressemble à l’explosion des banlieues d’octobre-novembre 2005 ou à la révolte étudiante du contrat premier emploi, un an plus tard, sous Jacques Chirac. Rien non plus qui ressemble aux rassemblements monstres de 2013 contre le « mariage pour tous » sous François Hollande. Et puis évidemment, rien de comparable à la violence chronique qui s’est emparée de la France depuis le début de la crise des gilets jaunes en novembre, au blocage de 45 jours des transports publics. Pourtant, Sarkozy a subi un matraquage haineux et quotidien du monde médiatique qui le détestait bien plus qu’il n’a détesté les autres présidents de l’histoire. Souvenons-nous des Unes « Sarko est-il fou ? », « Le voyou de la République » et de la guerre hostile que menaient contre lui les radios et la télévision. 

Edouard Husson : Nicolas Sarkozy est un homme paradoxal. Il agaçait, vu de loin, par le côté « bling bling », les formules à l’emporte-pièce, la difficulté à entrer dans la solennité de la fonction. Mais dès qu’on le voyait travailler au quotidien, on était impressionné par la force de travail, la maîtrise des dossiers, le sens politique aussi. L’anecdote est connue: lorsqu’Alain Juppé et Michel Rocard ont remis leur rapport au président Sarkozy sur les « investissements d’avenir », ce qu’on appelle communément le « Grand Emprunt », ils ont recommandé « un certain effort » pour l’enseignement supérieur et la recherche. En bons technos, ils avaient en tête 20 ou 25% de l’enveloppe. Sarkozy a décidé que l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation bénéficieraient des deux tiers de l’enveloppe. Non seulement il a permis, ainsi, à la recherche française de rester (provisoirement) dans la course mais il faisait preuve d’un sens politique aigu: la réforme des universités a vraiment pris son essor à partir du «grand emprunt » car le pays a pu créer quelques grandes universités de recherche (Sorbonne Université, Paris-Sciences et Lettres, l’Université de Paris, Saclay, Strasbourg, Grenoble). On est d’ailleurs dans l’un des paradoxes du sarkozysme: Valérie Pécresse a été un ministre de l’Enseignement Supérieur estimé des universitaires. Nicolas Sarkozy vivait entouré de personnalités du monde de la culture. Et il en est venu à négliger les trois sujets qui l’avaient fait élire: sécurité; immigration; identité nationale. 

Comment expliquer que le Président à qui on doit notamment le célèbre "on va nettoyer au Karcher la cité" et un débat pour le moins houleux sur l'identité nationale ait finalement moins divisé la population ? Est-ce une question de conjoncture plus que d'idées ? En d'autres termes, plus qu'un président ou l'autre est-ce que ce qui pousse les Français à sortir dans la rue aujourd'hui ce n'est l'accumulation de toutes les réformes et mesures passées, un "raz-le-bol" général en quelque sorte ? 

Maxime Tandonnet : En 2010, les sondages donnaient, pour Sarkozy comme aujourd’hui pour Macron, une cote de confiance d’environ 25 à 30%. Cependant, les causes de cette impopularité n’étaient pas du tout de même nature. Sarkozy subissait de plein fouet les conséquences de la crise des subprimes et de l’explosion du chômage. Sa gouaille, de ses provocations ou maladresses lui étaient vivement reprochées. Cependant, il n’était pas perçu comme distant, arrogant et méprisant envers le peuple ce qui est la tare fondamentale du quinquennat actuel. 

Elu en 2007, avec 54% des voix dans le cadre d’une élection relativement sereine, sa légitimité n’était contestée par personne. L’élection de M. Macron en 2017, à l’occasion du gigantesque séisme autour de François Fillon, puis contre Mme le Pen au second tour dont chacun savait qu’elle n’avait aucune chance, s’est déroulée dans des conditions chaotiques qui ont laissé un goût d’inachèvement démocratique. 

Mais surtout, à l’époque, la France croyait encore un peu en la démocratie. Toutes les réformes de Sarkozy donnaient lieu à un débat parlementaire approfondi. Lui-même y veillait personnellement. Il avait parfaitement conscience que si la discussion, même houleuse, n’avait pas lieu devant le Parlement entre une majorité et une opposition, elle se traduirait par la violence dans la rue. Il n’a d’ailleurs jamais eu recours aux ordonnances. Sous l’ère Macron, l’affaiblissement de la démocratie parlementaire, la disparition du débat droite-gauche ou majorité/opposition, l’anéantissement du rôle de l’Assemblée nationale, sont une cause essentielle de la généralisation de la violence politique dans la rue. 

Edouard Husson : D’abord, le président Sarkozy a pu avoir des altercations individuelles mais il n’a jamais insulté des catégories entières de Français, comme se l’est permis Emmanuel Macron. Ensuite, Nicolas Sarkozy a su s’entourer d’énarques compétents mais son exemple confirme qu’il ne faut pas confondre la haute fonction publique et la politique. Il avait un sens du réel qui fait complètement défaut à Emmanuel Macron. Rappelez-vous que Nicolas Sarkozy a fait passer une réforme des retraites: il avait chargé un homme expérimenté, rusé et rompu aux relations avec les partenaires sociaux, Raymond Soubie, pour négocier, dans une atmosphère d’estime mutuelle, avec les syndicats. Enfin, le Président Sarkozy avait les qualités de ses défauts: il centralisait certes exagérément la décision mais ensuite il se désintéressait de l’exécution. Ce qui fait que Matignon, le gouvernement, les directions centrales des ministères étaient vraiment en charge. L’Elysée ou les cabinets ministériels jouaient leur rôle: imposer le respect des délais de mise en oeuvre. Evidemment, le relatif manque de leadership de Nicolas Sarkozy (un bon chef doit se faire rendre compte à mi-parcours et en fin d’exécution) lui a coûté cher dans les domaines (insécurité, immigration) où les exécutants ont été structurellement déloyaux. Pour une grande partie de l’UMP et des membres du gouvernements, il s’était agi de slogans de campagne et il fallait « garder le président de ses démons ». Le mauvais côté du sarkozysme, c’est par exemple l’obstination de Claude Guéant à vouloir réguler de manière tatillonne les titres de séjour des étudiants étrangers, sujet facile, au lieu de lutter efficacement contre l’immigration clandestine. 

Le Président Sarkozy reste très largement populaire à droite (81% de bonnes opinions parmi les sympathisants de droite), il a semblé moins diviser que ses successeurs et pourtant il a échoué lors des primaires de 2017. Comment expliquer ce paradoxe ? 

Maxime Tandonnet : Quand on a été à la tête de l’Etat pendant cinq ans, il est sans doute difficile de revenir surtout après avoir été désavoué une première fois en 2012. Valéry Giscard d’Estaing avait connu le même sort après sa défaite de 1981 : il n’a jamais pu retrouver sa place au premier plan. En outre, le climat des « affaires » pesait sur l’image de l’ex-président.  Les électeurs ressentaient le besoin de ne pas retourner en arrière et de passer à autre chose. Peut-être en 2014-2016 a-t-il commis l’erreur de banaliser son image en redevenant chef de parti. Depuis cet échec, le président Sarkozy a pris une toute autre dimension que celle d’un chef de parti. Il a choisi de se situer au-dessus de la mêlée et de ne pas parler de politique politicienne mais des grands enjeux de civilisation. C’est sans doute à cela qu’il doit son spectaculaire regain de popularité aujourd’hui.  

Edouard Husson : Tout d’abord, la Vè République nous enseigne qu’un président non réélu ne réussit pas à revenir plus tard. Valéry Giscard d’Estaing a été objectivement un bien meilleur président que Mitterrand et Chirac. mais il ne s’est jamais remis de la défaite de 1981. Quand les sympathisants LR ont eu le choix, ils ont choisi, somme toute, celui qui n’avait pas encore été président et qui avait été un bon Premier ministre. C’est le syndrome de Pompidou. Ajoutons qu’il y avait contradiction, de la part d’un ancien président, à se soumettre au jeu des primaires. Mais le problème est plus profond. Nicolas Sarkozy avait été élu par un large rassemblement d’électeurs de l’UMP et du Front National. Il avait, dans les urnes, reconstitué la droite divisée par Chirac sur injonction mitterrandienne ! A partir du moment où il n’a pas tenu sa parole sur les sujets qui avaient attiré 50% de l’électorat FN sur son nom, sa crédibilité était atteinte, quelles que fussent ses immenses qualités: goût de la réforme, lutte contre la crise, remise en mouvement d’un Etat endormi par les années Chirac. 

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