Malik Bezouh : « Le fondamentalisme musulman ne sera pas défait à coups de proclamations de morales creuses »<!-- --> | Atlantico.fr
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Au nom de l'islam

Malik Bezouh a publié un ouvrage " Ils ont trahi Allah" aux Editions de l'Observatoire. Son livre explique les tabous que rencontre actuellement l'islam.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Vous publiez aux Éditions de l’Observatoire « Ils ont trahi Allah ». Vous évoquez une « théologique islamique de la libération » face à la puissance du tabou sur la religion et sur le débat sur l'Islam. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce constat et sur le postulat qui vous a conduit et poussé à écrire cet ouvrage ? Qui aurait trahi Allah ?

Malik Bezouh : Les victimes des interprétations mortifères des sources canoniques de l’islam sont nombreuses à travers le monde. Pourtant, le message du Prophète Mohamed, replacé dans son contexte propre, se voulait progressiste. Car sur de nombreux sujets, et relativement aux normes de l’époque, son discours fut libérateur, voire révolutionnaire. D’ailleurs, n’attira-t-il point sur lui la colère des chefs polythéistes et misogynes de La Mecque qui, jurant sa perte, ourdirent maintes intrigues contre sa personne. En cause, ses positions avant-gardistes sur des thématiques sociétales. Ainsi, avant la venue de l’islam, les femmes de la Péninsule arabique n’avaient droit à aucun héritage. Soucieux de réparer cette injustice, il décrèta que ces dernières devront elles aussi hériter. Incroyable évolution lorsque l’on sait que des familles arabes enterraient, vivants dans le sable, leurs bébés de sexe féminin. Une coutume monstrueuse que Mohamed s’empressa d’interdire, et qui en dit long, du reste, sur les mentalités bédouines de l’époque. Nul doute possible : le Prophète de l’islam fut un homme de « gauche » en ce sens qu’il n’eut de cesse de se dresser contre les forces bourgeoises et conservatrices de La Mecque vomissant ses idées d’égalité entre les êtres, de liberté pour les femmes relativement à leur statut plus que précaire de l’époque, de respect de la condition animale, etc. Et ce moteur progressiste, inclut dans le logiciel de l’islam, ambitionnait l’amorçage d’une dynamique qui balayerait l’injustice, l’iniquité, la tyrannie. Ce fut le cas aux premiers temps de la Révélation. Puis, peu à peu, l’Homme étant ce qu’il est, et les vicissitudes du monde islamique aidant, la machine, fatiguée, va s’enrayer et stopper net. Aujourd’hui, de progressisme il n’en est plus question. La machine, détériorée, à bout, tournant à vide, ne produit rien ; ou presque. Contrôlée par des théologiens rigoristes, des wahhâbis et autres islamistes, ayant égaré le mode d’emploi, elle est juste bonne à imprimer de pâles copies des jurisprudences religieuses dont la date de péremption est atteinte depuis plus d’un millénaire. Avec le temps, celles-ci, accumulant une charge anachronique de plus en plus élevée, sont devenues explosives au contact de la modernité occidentale. Ceux qui ont donc trahi Allah sont les tenants de l’islamisme, du wahhâbo-salafisme et de l’ultra-conservatisme religieux. Des individus, qui faisant main basse sur l’islam, prétendent détenir les seules et uniques clés de l’interprétation du Coran et de la Sunna. Et Malheur à ceux qui auraient l’outrecuidance de s’éloigner de leur lecture sclérosée de l’islam…

La vocation de la théologie islamique de la libération est de proposer une vision de la religion musulmane plus humaine, plus juste, car délestée de sa gangue conservatrice qui la nécrose. Cette théologie-là, qui rejette le concept d’un Dieu colère et punisseur - concept favorisant la survenue de névroses profondes – appelle les masses musulmanes à se détourner de ceux qui ont mis l’islam sous séquestre pour son plus grand malheur. Pour ce faire, elle s’appuie, entre autres, sur les données scientifiques contemporaines qui montrent combien les avis religieux élaborés, naguère, par les écoles traditionnelles de l’islam puis défendus, bec et ongles, aujourd’hui par ces fondamentalistes, sont des plus inconsistants.

Dans votre ouvrage vous indiquez que l'Islam est à la croisée des chemins. Soit le culte entame un profond examen de conscience, soit il est condamné à périr. L'agonie aurait déjà débuté au regard de la montée de l'athéisme en terre musulmane. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette réalité et par quel biais pourrait passer le processus de revivification ?

Malik Bezouh : La montée de l’athéisme en terre d’islam est une réalité. Tout simplement parce que l’athéisme est une fait anthropologique. Penser l’endiguer à l’aide d’un arsenal répressif barbare, comme c’est le cas en Arabie saoudite, est aussi absurde qu’obscurantiste. D’ailleurs, des études récentes attestent de cette montée en puissance de l’athéisme en terre d’islam. Ainsi, un sondage réalisé par l’organisme Arab Barometer, entre fin 2018 et le printemps 2019, à la demande de la BBC, sur un échantillon représentatif « […] de plus de 25 000 habitants [de] 10 pays […] Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen […] plus les territoires palestiniens », met à nu « la progression du pourcentage de personnes se disant “non-religieuses”, qui passe de 8 % en 2013 à 13 % aujourd’hui, et même 18 % parmi les moins de 30 ans ». Tandis qu’en Tunisie, « 46 % des jeunes […] se disent “non religieux” ». Ce phénomène frappe aussi les pays où l’islam est minoritaire comme l’a montré, dans le cas de la France, le sociologue Houssame Bentabet qui a étudié en détail « l’abandon de l’islam » chez les Français issus de familles musulmanes. Pour ma part, j’appelle les personnes qui ont perdu la foi islamique à sortir de leur silence par une sorte de « coming-athe ». Car la foi ne se commande pas. Elle est avant tout cette petite bougie, terrée au fond des cœurs, qu’allume le feu de la connaissance et de la méditation. Voilà l’essence de la foi qui pour briller de mille feux doit être libre et sans contrainte aucune. Qui peut raisonnablement faire sienne la thèse selon laquelle des moyens coercitifs usités par des pays, où l’islam est religion d’État, ou par des mouvances islamistes, sont capables de produire l’étincelle séraphique en l’être humain ! Peut-on astreindre untel à croire ? Évidemment non. Plus grave. L’institutionnalisation de la foi, par les régimes autoritaires ou despotiques, sa politisation, par l’islamisme, et sa radicalisation par le wahhâbo-salafisme, sont les trois forces qui concourent à la destruction de la spiritualité musulmane et, partant, à « tuer Allah ». Au surplus, faut-il que ceux qui professent cette religion aient si peu confiance en elle qu’il faille nécessairement faire appel à l’État, ou à la violence, pour éteindre le feu de la contestation religieuse ? N’est-ce pas là un terrible aveu de faiblesse ? Craint-on un « tsunami d’athéisme » en terre d’islam ? Mais c’est justement en inoculant ces trois venins mortels, ceux de l’étatisation, de la politisation et de la wahhâbisation, que l’on prépare le lit de la terrible réaction à venir. Une réaction telle qu’il n’est pas exclue qu’elle emporte tout sur son passage au point de faire de l’islam une religion minoritaire en son propre fief. Oui ; en effet ; Allah peut mourir ! Aussi, l’Orient musulman devrait porter une attention toute particulière aux propos de Nietzsche qui, au XIXe siècle et dans un contexte européen il est vrai, a annoncé la « mort de Dieu ». 

Quant au sursaut, il ne viendra que de l’intérieur du monde musulman. D’où l’obligation impérieuse d’entamer, sans plus attendre, une réflexion concernant le rapport aux textes sacrés et à la Transcendance en terre d’islam. Mais pour que ladite réflexion soit possible, encore faut-il qu’une parole libre et citoyenne puisse s’exprimer. Or ; dans beaucoup de pays arabo-musulmans, pour cause de despotisme, les espaces de liberté sont inexistants ou réduits à leur portion congrue. Plus grave ! Ce despotisme, porteur de très graves injustices et de corruption systémique, favorise l’extrémisme au nom de Dieu.  Le chemin est donc tracé : en finir avec ce despotisme afin que les forces réformistes, à travers des débats publics contradictoires, pluralistes, déconstruisent les arguments des fondamentalistes musulmans, qu’ils soient d’obédience islamiste ou non. 

à lire aussi sur Atlantico : extraits du livre "Ils ont trahi Allah" de Malik Bezouh : https://www.atlantico.fr/decryptage/3586016/quand-la-religion-sert-de-justification-a-la-violence-contre-les-femmes--pour-en-finir-avec-la-gynepathie-islam-ahmed-el-tayeb-al-azhar-malik-bezouh-

https://www.atlantico.fr/decryptage/3586045/comment-le-dieu-social-s-est-installe-dans-l-inconscient-des-musulmans-islam-religion-jeune-ramadan-ils-ont-trahi-allah-malik-bezouh-

Alors que la manifestation contre l’islamophobie avait fait resurgir un débat vif au sein de la société française il y a quelques mois avec l’utilisation de ce terme, vous avez créé des mots dans votre dernier ouvrage comme « islamopathie » (rapport névrosé d’un musulman à l’Islam, à Dieu et à la modernité), « gynépathie » (rapport pathologique de domination de homme sur la femme) ou bien encore « théreur » (enseigner, diffuser l’Islam par la peur névrotique de Dieu). Pouvez-vous revenir sur ce débat sur l’islamophobie, le poids des mots et sur certains de ces concepts originaux développés et créés dans votre dernier ouvrage ?  

Malik Bezouh : J’ai aussi créé cette expression dont j’ai parlé plus haut : faire son « coming-athe » ; un acte que je considère comme relever de la résistance en terre d’islam tant les pressions religieuse, sociale mais aussi pénale, poussent les individus, qui ne croient plus en Dieu, à taire leur athéisme. L’islamopathie, dont vous rappelez la définition, est le signe flagrant d’une foi malade. Lorsqu’on croit en une vie future, on devrait avoir le cœur rempli d’espérance. Pourquoi faire couler le sang, détruire, dévaster, commettre des attentats ignominieux déchiquetant les corps des civils en Irak, en Algérie, en Syrie, en France et ailleurs, alors que la croyance en l’immortalité de l’âme devrait nous aider à relativiser la réalité, à l’adoucir jusqu’à la rendre légère au possible. Où est donc passée la désinvolture irradiante résultant de cette intime conviction que la félicité nous attend ? Nulle joie ! Nulle sérénité ! Bien au contraire ! Devant nous, une armée d’inquisiteurs zélés, fébriles, autoritaires, imprécatoires, jetant l’anathème et excommuniant à tour de bras. Oui ! L’islamisme et le wahhâbo-salafisme produisent de l’islamopathie en ce sens que la foi n’est pas compatible avec un projet collectif ou politique. La foi est intime tout comme la sexualité. Imagine-t-on un parti politique dont le programme serait axé sur la sexualité ? À l’évidence non. C’est pourtant ce que proposent ces organisations. Aux musulmanes et aux musulmans donc d’affirmer que la foi est un jardin secret et que toute tentative d’y pénétrer, par la contrainte, est un viol qui ne dit pas son nom. Mais là encore, l’absence de démocratie dans nombre de pays musulmans constitue un frein majeur à la libre expression, pourtant indispensable pour enclencher un processus profond de réformation théologique. Car ce n’est pas avec des formules creuses, moralisantes, prononcées sur des plateaux de télévision que l’on va défaire le fondamentalisme musulman. C’est en descendant dans l’arène théologique, armé de connaissances scientifiques en biologie, en neurosciences, en génétique, en psychologie sociale, etc., que l’on réussira à défaire les arguments de ceux qui ont vitrifié l’islam, relativement à des sujets sensibles tels que l’athéisme, l’apostasie, l’homosexualité, le blasphème, etc. Quant au débat sur l’islamophobie, il en dit long sur la crispation de notre société qui a un rapport particulier à l’islam du fait de son histoire. Rappelons que la France, en l’espace de dix siècles est passée du statut de « Fille ainée de l’Église » à celui de Fille ainée de la Raison. Aujourd’hui, nous sommes dans le temps de la « collision ». C’est la première fois, en effet, depuis les croisades, que la France abrite en son sein une communauté musulmane ; la plus importante d’Europe de surcroit. Rien d’étonnant à ce que des crispations, entretenues par les convulsions d’un Moyen-Orient n’en finissant pas de guerroyer, par les préjugés accumulés durant la longue histoire de France vis-à-vis de cet autre, le Musulman, et surtout par les traumatismes causés par les attentats terroristes qui ont ensanglanté la France, apparaissent au grand jour. Ces crispations, lorsque l’on prend un peu de recul, sont le gage que le processus d’intégration est enclenché. Certes, celui-ci est parsemé de difficultés, d’embuches, de frictions même. Mais il est naturel - la gestion de l’altérité n’étant point une chose aisée - et surtout irréversible. Qui peut en douter ? Ce n’est qu’une question de temps. A nous de faire en sorte que ce "temps", celui de la collision, ne perdure pas. Passé ce temps, viendra alors le temps de l’indifférence. Un temps pérenne où, les craintes dissipées, les passions éteintes, l’intelligence citoyenne déployée, l’islam, en France, sera définitivement un non-sujet. Les musulmans de France seront devenus alors des « cathos » comme les autres.   

Alors que l’année 2020 commémore les cinq ans des attentats de Charlie Hebdo et du 13 Novembre 2015, vous aviez évoqué le fait que les caricatures étaient une chance pour l’Islam ? Est-il possible d’avoir un débat apaisé et serein sur ces questions et sur la religion ?

Malik Bezouh : Oui. Les caricatures du Prophète de l’islam sont une chance pour l’islam de France car elles constituent un premier jalon sur le chemin de l'intégration de cette religion à la culture française qui ne peut se penser sans cette inclination, profondément ancrée, à l'irrévérence religieuse. L’on est même en droit d’affirmer que ces dessins satiriques contribuent à la désacralisation de l'islam de France et, par ricochet, à son arrimage à la culture française, dont l’un des piliers est l’esprit voltairien. Les catholiques, confrontés à la très anticléricale Troisième République l’ont appris à leurs dépens. On se souvient – pas tous peut-être – de l’exil forcé ces « 30 000 moines et sœurs » opposés à la laïcisation, à marche forcée, de la société française. Aux Français musulmans d’accomplir, aujourd’hui, leur chemin de croix, si je puis dire. Mais pour qu’il se réalise dans de bonnes conditions, il est primordial d’élever le débat, de sortir de ces discussions creuses dominées trop souvent, hélas, par la recherche du sensationnel au détriment du fond. Pourtant, c’est là un sujet majeur pour la France car il en va de son unité. Il est donc important de renouer avec la profondeur afin de rappeler, dans un esprit de rassemblement, l’histoire de notre pays et, notamment, son évolution, complexe puis conflictuelle, par rapport au fait religieux. 

Après l’attentat à la Préfecture de police de Paris, Emmanuel Macron avait fait un grand discours sur la lutte contre la radicalisation, le terrorisme et "l’hydre islamiste". Le chef de l’Etat pourrait s’exprimer à nouveau dans les prochains mois sur ces questions avec un grand discours. Pensez-vous que la parole politique puisse apaiser le débat au sein de la société française sur les questions de l’islam, de religion ou de la lutte contre la radicalisation ?

Malik Bezouh : Je l’ai dit : le mal est fait. Et tristement fait. Depuis de longues années, nous avons soutenu l’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de wahhâbisme à travers le monde et antre du jihadisme planétaire des décennies durant. L’interventionnisme désastreux, tantôt soviétique en Afghanistan, tantôt américain en Irak, le despotisme politique des pays arabo-musulmans et l’islamisme – spontanée ou induit - sont les autres ingrédients de cette catastrophe que l’on appelle le jihadisme. Tel un cancer, il a produit des métastases affectant de nombreuses régions du monde. La parole politique peut apaiser le débat si, tout d’abord, elle fait le bon constat à savoir la réalité de l’ampleur du mal. Comment le circonscrire ? C’est un problème quasi-civilisationnel. Le monde musulman et, en particulier, sa composante arabe, traversent une terrible crise de conscience. À l’instar de la fameuse crise de civilisation qui fit passer l’Europe d’une ère théocentrique à une ère ouvrant la voie à l’anthropocentrisme et, finalement, à la modernité. L’islamisme et, plus généralement, le fondamentalisme islamique, sont symptomatiques de cette terrible crise de conscience arabo-musulmane. A-t-elle un remède ? Oui : la démocratie, dont les peuples arabes ont trop longtemps été privés. Elle permettra à la culture démocratique de se répandre, de se renforcer, de se cultiver, pour devenir, au gré des alternances politiques, cette sève ardente et civilisatrice qui infuse dans toute la société l’acceptation de l’altérité qu’elle soit politique, philosophique ou religieuse. Alors, tel un marais que l’on aurait cessé d’irriguer, l’islamisme et le wahhâbo-salafisme s’assécheront et mourront de leur belle mort ou se marginaliseront. Si la parole politique arrive à développer un discours permettant cette compréhension-là des choses, alors oui, nous avancerons vers l’apaisement car nous serons mieux armés pour comprendre les ressorts de la dynamique jiahdiste. En prenons-nous le chemin ? J’en doute.

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