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Système de santé en France : les dérives de la gestion administrative et du manque d’engagement et de courage du pouvoir politique
©LOIC VENANCE / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Carles Grelier publie "Nous nous sommes tant trompés" aux éditions du Rocher. Depuis 25 ans, l'absence de vision et d'imagination des gouvernements successifs a conduit notre système de santé au bord de l'abîme. Extrait 2/2.

Jean-Carles Grelier

Jean-Carles Grelier

Jean-Carles Grelier est Député (LR) de la Sarthe. Il est également porte-parole sur les questions de santé et Orateur du Groupe sur le PLFSS. 

 
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Pour qu’il n’y ait aucune méprise sur mes propos, je n’ai aucune aversion particulière pour l’administration. Et même un profond respect pour les fonctionnaires qui travaillent dans un environnement de plus en plus complexe avec une vraie foi dans le service public et ses vertus. 

Le reproche que je veux faire – parce que, oui, c’en est un – s’adresse au pouvoir politique qui, faute de donner des consignes claires à l’administration, faute de pouvoir inscrire son action dans la durée et faute de disposer de l’autorité nécessaire pour le faire, a abandonné à l’administration dans son ensemble et à la haute administration en particulier le soin d’administrer notre pays, ce qui est sa vocation première, et désormais de le diriger, ce qui constitue un évident excès de pouvoir. En somme, faute d’être effectivement gouverné, notre pays est administré. 

Le dire ainsi c’est faire, avec regret, un amer constat. C’est tout autre chose que de sombrer dans le simplisme idéo- logique du populisme. C’est vouloir précisément revenir ou aller vers un temps où une démocratie digne de ce nom produit des représentants qui ont, outre la confiance, le respect de ceux qui les ont élus. C’est vouloir aller vers une société de nouveau bâtie sur la confiance, davantage sur le contrat que sur la loi. J’aurai l’occasion d’y revenir. 

Parce que depuis vingt-cinq ans, à l’exception de Xavier Bertrand, tous les ministres de la Santé à s’être succédé ne furent que des intermittents, l’administration, le bunker de l’Avenue de Ségur, a pris un poids et surtout un pouvoir désormais exorbitants. Mon anecdote élyséenne n’en est qu’une triste illustration. Illustration aussi de la fatalité avec laquelle les politiques ont accepté cette situation, car qui s’en est étonné et qui a réagi ?

Ajoutons que le ministère de la Santé présente en plus, aux yeux de nombre de politiques, le défaut d’être particulièrement à risque. Il ne fait pas de doute que l’affaire du sang contaminé et la mise en cause du Premier ministre d’alors, celle de la canicule de 2003 mal anticipée et pas ou peu gérée ou l’épisode de la grippe H1N1 sous Roselyne Bachelot, ne favorisent guère les conversions. Le technicien nommé Avenue de Ségur est réputé mieux armé que d’autres contre ces risques et présente, en outre, l’avantage de protéger Matignon et l’Élysée. Pour petit qu’il soit, l’argument reste malheureusement entendable et entendu. 

Il faut dire que, de surcroît, au prétexte de bons sentiments ou d’un certain symbolisme politique, nos dirigeants se tirent parfois eux-mêmes une balle dans le pied. Au mois de mai 2017, Mme Agnès Buzyn est nommée à la tête de ce grand ministère qui comprend certes la santé, mais également tout le secteur social joliment dénommé solidarité. Un département ministériel immense, doté d’une administration colossale. 

Or, au nom d’économies budgétaires artificielles, le président de la République a décidé de réduire à dix le nombre des collaborateurs des cabinets ministériels, là où précédemment ils pouvaient être entre vingt et trente. Économies artificielles, car la plupart des membres des cabinets sont de hauts fonctionnaires qui, lorsqu’ils rejoignent le premier cercle ministériel, continuent d’être rémunérés par leur administration d’origine. En revanche, il s’agit d’un véritable abandon du pouvoir politique puisque, faute de disposer de collaborateurs en nombre suffisant, la ministre est contrainte de s’appuyer plus encore que ses prédécesseurs sur les directions de son administration centrale. Au total, le budget de l’État n’aura fait que de très marginales économies et le politique aura été livré en guenille à l’administration. L’exact inverse de la promesse présidentielle. 

Quelle meilleure illustration que celle qui va suivre. Le 16 octobre 2018, le président de la République a procédé à un remaniement de son gouvernement. À cette occasion, une secrétaire d’État a été nommée auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé. Curieusement, le décret présidentiel ne mentionne pas d’attribution particulière pour ce nouveau poste. Au fil du temps on a découvert qu’elle n’interviendrait pas en matière de santé, mais plutôt dans la mise en œuvre du plan pauvreté. Dont acte. Mais, dès lors, comment expliquer qu’elle ne dispose pas d’un directeur de cabinet ni d’un chef de cabinet en propre, ces fonctions étant exercées par le cabinet de la ministre ? Et comment expliquer, encore, que soit nommé auprès de la secrétaire d’État, qui n’est donc pas en charge de la santé, un conseiller technique chargé de la relation avec le monde médical ? 

Une fois encore l’administration a eu le dernier mot et le cabinet de la ministre a profité de la nomination de la secrétaire d’État pour étoffer les effectifs d’un cabinet manifestement sous-dimensionné. Je ne peux m’empêcher de penser que l’absence de contours nets aux attributions de la secrétaire d’État est peut-être liée au fait que le cabinet d’Agnès Buzyn avait plus besoin de collaborateurs supplémentaires que le gouvernement n’avait besoin d’un membre de plus. Mais on ne peut, sous l’ère Macron, obtenir les uns sans avoir l’autre. Je suis incorrigible d’impertinence et vous m’en voyez désolé. Qu’il me soit beaucoup pardonné pour tant de mauvais esprit. 

Comment dès lors s’étonner que les mesures annoncées à grand renfort de convictions par le chef de l’État aient totalement disparu de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 censée les financer ? Comment continuer d’accepter que le budget, une fois passé au crible de la direction de la Sécurité sociale du ministère, ne porte plus aucune des ambitions présidentielles ? Qu’il soit finalement le même que tous ceux qui l’ont précédé depuis vingt-cinq ans, à savoir un budget en forme d’entonnoir dans lequel il faudra bien que finisse par entrer l’ensemble de notre système de santé ? Comment mieux mesurer qu’au travers de cet exercice budgétaire le poids ou plutôt la pesanteur de la technostructure et notamment celle de l’Assurance maladie n’ont jamais été aussi forts ? 

Le philosophe allemand Peter Sloterdijk, francophile s’il en est, a posé sur le président de la République ce jugement sans appel :

Il est une pure production du césarisme français. Néanmoins, il a promis pendant sa campagne de libérer sa nation du fléau d’une politique qui se confondrait avec de la gestion administrative. C’est cette promesse qui a motivé sa victoire. Souvenez-vous, il voulait remoraliser la politique, repolitiser l’espace public […]. Jusqu’à présent, presque personne n’a compris l’envergure de sa politique nationale et européenne.

Tout est dit. 

C’est dans cet esprit que le Président avait, dès son élection, annoncé qu’il demandait à ses ministres de dresser la liste des 240 plus hauts fonctionnaires, toutes administrations confondues, qui devraient rendre des comptes sur la mise en œuvre, par les services placés sous leur autorité, de la politique nouvelle voulue par le gouvernement et sa majorité. L’évaluation serait faite tous les six mois et la sanction impitoyable puisque le fonctionnaire pris en défaut était menacé d’être relevé de ses fonctions. 

J’aimais beaucoup cette idée qui, malheureusement, n’a jamais dépassé le stade de l’annonce. Elle s’inspirait directement du spoil system américain qui veut que chaque nouveau Président arrive au pouvoir avec les 4 500 plus hauts fonctionnaires de son administration. Il dispose ainsi d’une garde rapprochée parfaitement opérationnelle et chargée de traduire, dans les meilleures conditions, les décisions présidentielles en actes. Ils quittent le pouvoir en même temps que le Président et ne tirent leur légitimité que de lui. 

Précisément tout ce qui fait cruellement défaut à notre administration française où les directeurs des administrations centrales demeurent quand les ministres changent et incarnent à eux seuls la continuité d’un service public qu’ils dirigent en lieu et place des membres du gouvernement, là où ils ne devraient qu’administrer. 

François Bayrou use souvent de cette fable vécue et particulièrement éclairante : quand un nouveau ministre prend ses fonctions, il réunit autour de lui les directeurs de son administration et leur expose ses projets. Avec toute la déférence courtoise dont ils sont capables, ces hauts fonctionnaires indiquent au ministre que ses projets sont particulièrement intéressants, mais totalement impossibles à mettre en œuvre pour, au mieux des raisons juridiques, au pire des raisons budgétaires. Alors le ministre, agacé et conscient de son nouveau positionnement hiérarchique, leur intime l’ordre de mettre à exécution lesdits projets. La semaine suivante, les mêmes se réunissent et expliquent avec autant de gentillesse qu’il est possible qu’après vérification les réformes que le ministre appelle de ses vœux existent déjà et que chacun veillera, comme le lait sur le feu, à ce qu’elles soient bien poursuivies. Évidemment rien n’est plus faux. Alors satisfait, le ministre lâchera prise et l’administration reprendra le cours des choses là où elle l’avait laissé avant cette incartade ministérielle.

Morale de cette fable, il n’y aura pas d’autres réformes que celles décidées par l’administration. 

La réalité est, sans doute, plus violente encore au ministère de la Santé. En effet, à l’exception de l’École des hautes études en santé publique qui forme les directeurs des hôpitaux, les cadres supérieurs de l’administration du ministère de la Santé sont le plus souvent issus de l’ENA. Pas dans la botte, plutôt dans le ventre mou qui forme le creuset des administrateurs civils. On entre donc au ministère de la Santé sans en avoir fait le choix et c’est au sein de cette administration qu’il faut se battre et progresser pour, in fine, obtenir les meilleurs postes. En lui-même ce mode de fonctionnement est assez classique, tout cadre du ministère de l’Intérieur ne se rêve-t-il pas un jour préfet ? 

Ce qui, à la Santé, est problématique, c’est que cette carrière va se faire dans un cadre administratif extrêmement limité. Le ministère de la Santé est donc aujourd’hui devenu une sorte d’entre-soi où, au gré des changements ministériels ou des prises de galons supplémentaires, on se partage les postes et les fonctions à quelques-uns. Chacun passera ainsi successivement à la direction générale de l’offre de soins, à la direction de la Sécurité sociale, parfois on s’évadera jusqu’à la Caisse nationale d’Assurance maladie, d’autres fois on ira s’encanailler en province en prenant la direction générale d’une Agence régionale de santé ou d’un CHU, et entre deux on fera immanquablement un petit passage en cabinet ministériel. Au fil de quelques années, ces fonctionnaires sont tous les prédécesseurs en même temps que les successeurs de leurs collègues. Ils sont surtout tous les obligés les uns des autres. 

Et il en va ainsi depuis des lustres. Le phénomène s’aggravant peut-être avec la baisse qualitative du recrutement des ministres. Si être issu de la « société civile » semble être devenu le sésame indispensable pour obtenir un portefeuille ministériel, je n’ai pas vu qu’il y avait là une quelconque garantie de compétence ni a fortiori les qualités nécessaires à la conduite politique d’un ministère. 

C’est ainsi, de directeur à directeur, que se transmet depuis des temps immémoriaux, la doctrine officielle du ministère de la Santé, souvent non dite et non écrite. Un peu comme se transmet de druide à druide le secret de la potion magique. Une doctrine qui vise, depuis vingt-cinq ans, à faire entrer notre système de santé dans un entonnoir budgétaire censé assurer son avenir et où tout est toujours de trop : trop de praticiens, trop de services de chirurgie, trop de maternités, trop de médicaments, trop d’hôpitaux, trop d’actes et finalement sans doute trop de patients.

Extrait du livre de Jean-Carles Grelier, "Nous nous sommes tant trompés, Plaidoyer pour l'avenir de la santé", publié aux éditions du Rocher

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