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La bombe démographique européenne : à partir de 2021, la population diminuera
©CESAR MANSO / AFP

Basculement

Avec un taux de fécondité bas et un vieillissement important de sa population, l'Europe fait face à des bouleversements démographiques qui auront un impact sur sa croissance et sur les finances publiques.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : On parle d'une crise démographique européenne imminente, avec une baisse de la démographie européenne dès 2021, mais la découvre-t-on seulement maintenant ?

Laurent Chalard : Ce qui fait prendre conscience aujourd’hui aux élites dirigeantes de la crise démographique européenne qui s’annonce est que selon les projections de l’ONU, dont s’est fait récemment l’écho le Financial Times sous la plume de Valentina Romei, la population devrait diminuer sur l’ensemble du continent européen à partir de l’année prochaine et plus juste uniquement dans quelques pays, du fait d’un déficit naturel, c’est-à-dire d’un excès des décès sur les naissances, qui ne serait plus totalement compensé par l’immigration provenant d’autres continents, principalement d’Afrique et d’Asie. Pourtant, étant donné les tendances démographiques à l’œuvre en Europe depuis les années 1970, cette situation était largement anticipée par les experts, qui, d’ailleurs, pensaient que cette baisse de la population serait arrivée plus tôt, ayant sous-estimé le volume de l’immigration récente vers l’Europe, beaucoup plus élevé ces dernières années que par le passé, proche de celui constaté vers les Etats-Unis. En effet, la fécondité européenne étant constamment inférieure au seuil de remplacement des générations depuis les années 1980, cela sous-entendait qu’à long terme, le niveau des naissances finirait par devenir insuffisant pour soutenir une croissance naturelle. Mais, le temps court des politiques n’est pas le temps long de la démographie !

Qu'est ce qui a changé aujourd'hui pour qu'elle paraisse à ce point inévitable ?

Laurent Chalard : Dans les prochaines années, sauf flux migratoires massifs, la situation de déclin démographique du continent européen est inéluctable pour deux raisons, qui conduisent à la détérioration de son solde naturel. La première raison concerne la natalité, où deux facteurs jouent à la baisse. Le premier, comme nous l’avons vu précédemment, est le maintien d’une fécondité constamment inférieure au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme) depuis plusieurs décennies, avec environ 1,6 enfant par femme à l’heure actuelle, c’est-à-dire que les générations ne se renouvellent que de l’ordre des 3/4. Pour donner une idée plus parlante, chaque année, pour une moyenne de 100 individus en âge de procréer, il n’y a que 75 naissances.  Le deuxième facteur est que les générations qui arrivent aujourd’hui en âge de procréer sont les premières générations creuses des années 1990, en particulier en Europe de l’Est et du Sud, ce qui accentue le phénomène de diminution des naissances, puisque dans un premier temps l’abaissement de la fécondité concernait des générations nombreuses, celles du baby-boom. La seconde raison concerne la mortalité, où un unique facteur joue à la hausse. En effet, étant donné l’héritage du baby-boom post-seconde guerre mondiale qui a concerné l’ensemble du continent, même si son ampleur et sa durée ont été variables selon les pays, désormais commencent à arriver aux grands âges des générations très nombreuses, ce qui va conduire mécaniquement à l’augmentation du nombre de décès. A l’arrivée, cette dernière combinée à la baisse des naissances va entraîner l’accentuation du déficit naturel du continent.

La population vieillit, l'âge moyen en Europe serait actuellement de 43 ans soit 12 ans de plus que dans le reste du monde, comment expliquer cette différence ?

Laurent Chalard : La différence de vieillissement entre l’Europe et le reste du monde s’explique principalement par le fait que le continent européen a été le premier à achever sa transition démographique, c’est-à-dire le passage d’une situation de fortes natalité et mortalité à une situation de faibles natalité et mortalité. Il s’ensuit que, même si d’autres pays de la planète connaissent aujourd’hui des fécondités plus abaissées qu’en Europe, comme par exemple la Corée du Sud ou Taïwan, le caractère précurseur de la baisse de la fécondité européenne a pour l’instant un impact plus important qu’ailleurs, en gardant en tête que le reste de la planète sera aussi touché par le même processus, mais de manière décalée dans le temps.  C’est d’ailleurs le problème, l’Europe faisant fasse à une situation inédite dans l’histoire de l’humanité, elle va devoir envisager des solutions sans pouvoir s’inspirer de l’expérience de ce qui se serait éventuellement fait ailleurs. D’un certain côté, l’Europe constitue (avec le Japon à l’autre extrémité de l’Eurasie) le laboratoire mondial du vieillissement.

À quels impact économiques doit-on s’attendre ? Si cette japonisation de l’Europe paraît majoritairement négative économiquement parlant, n’y-a-t-il pas néanmoins un « silver lining » possible ?

Michel Ruimy : A priori, il est difficile de trouver des avantages au vieillissement de la population. Pourtant, nous devons changer nos mentalités pour envisager le vieillissement positivement plutôt que négativement. Si nous regardons l’Allemagne, qui est à un stade avancé de transition démographique (taux de fécondité actuel d’environ 1,4 et âge médian de 46,2 ans), certains enseignements du vieillissement de la population, pris en combinaison avec d’autres facteurs démographiques, peuvent être tirés.

Tout d’abord, une augmentation de la productivité. Alors que ce processus entraînera vraisemblablement une baisse de la population active, l’augmentation prévue dans les niveaux d’éducation des travailleurs peut, en partie, compenser cette baisse par une productivité plus élevée. On pourrait donc envisager un remplacement du personnel qualifié par des employés beaucoup mieux formés et en bonne santé.

Cette évolution pourrait ensuite être favorable à l’environnement. Le monde serait plus écologique. En effet, en raison d’une plus grande sédentarité, les changements dans la structure d’âge et la taille du déclin de la population sont associés à une consommation réduite de produits à forte intensité énergétique et à émissions de CO2. Selon certains chercheurs, le niveau d’émission recensé en 1950 pourrait même être atteint.

En termes de qualité de vie, le rapport entre travail, temps libre et travaux ménagers se modifierait progressivement pour favoriser et multiplier les temps libres. Autrement dit, le temps moyen de loisirs sera, en moyenne, plus long.

Donc, si le vieillissement global de la population mondiale est inquiétant sur bien des points, l’avenir n’est pas si sombre que l’on pense.

Quelles seraient les solutions pour parer à ces changements majeurs ?

Michel Ruimy : Pour avoir longtemps refusé certaines lectures pessimistes de l’avenir, de nombreux pays, dont la France, doivent désormais composer à la hâte avec un vieillissement démographique déterminant pour l’équilibre financier à long terme du système de protection sociale et l’évolution des rapports entre les groupes d’âges. Cette situation va nous pousser à faire des arbitrages difficiles dans les prochaines décennies. Notre contrat social doit être repensé à mesure que la solidarité intergénérationnelle trouve ses limites, au risque de creuser de nouveau la fracture sociale. Ce débat critique doit avoir lieu maintenant malgré la crainte des réponses qu’on y apportera.

Par exemple, dès lors que les personnes âgées convergent vers les centres-villes, quelle politique met-on en place pour conserver une mixité de population et un équilibre budgétaire tout en ajustant les équipements urbains au vieillissement ? Est-on certain qu’on aura assez de main-d’œuvre pour accompagner les personnes âgées dépendantes et isolées alors qu’il s’agit d’emplois difficiles, peu reconnus, mal rémunérés ? Tandis que l’âge moyen des votants ne cesse d’augmenter, le taux d’abstention progresse chez les jeunes. D’où la poussée conservatrice que l’on observe déjà dans beaucoup de pays et qui peut se traduire par la mise en place de politiques générationnelles : pour les personnes âgées par exemple, la sécurité est la première des attentes, devant l’écologie ou l’emploi. Pour les jeunes, c’est l’inverse. Certains arbitrages de société, comme notre système « 1 personne = 1 voix » est questionnable et mériterait d’être revisité à la lueur de notre pyramide des âges pour rester équitable avec toutes les générations.

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