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Quand certains médicaments changent drastiquement nos personnalités dans l’indifférence totale de l’industrie pharmaceutique et des autorités sanitaires
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Drames sanitaires

D'après une nouvelle étude menée par des chercheurs américains de l'Université de Californie à San Diego, un grand nombre de médicaments que l'on utilise quotidiennement seraient plus dangereux qu'on ne le pense.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico.fr : Les médicaments contre l'excès de cholestérol, les antidépresseurs ou même le paracétamol, autant de médicaments qui seraient bien plus dangereux qu'on ne le pense. Certains de ces médicaments iraient même jusqu'à altérer complètement notre personnalité.  De quels types de changements de comportement parle-t-on ?  Concrètement comment se traduisent ces altérations ?

Guy-André Pelouze : La BBC produit une série passionnante qui s'appelle BBC Future. Les sujets scientifiques y abondent et particulièrement les sujets médicaux. La devise de l'émission est: “Nous croyons à la vérité, aux faits et à la science. Nous prenons le temps de réfléchir. Et nous n'acceptons pas - nous demandons pourquoi.” Une devise exigeante.

L’article sur les modifications du comportement humain après la prise de médicaments aussi largement prescrits que les statines, le paracétamol ou les psychotropes relance le débat sur ces effets secondaires. Les médicaments quel que soit leur molécule, leur dose ou la durée de la prise ont des actions pléiotropes. Qu'est-ce à dire ? Il s'agit de comprendre que la prise par exemple orale ou l'injection d’un médicament fait que cette molécule va diffuser dans tout l'organisme. Dès lors un certain nombre d'actions sont attendues d'autres sont moins bien connues ou plus rares. L'action attendue est celle qui est l'objet de la mise sur le marché du médicament. Les autres constituent des effets secondaires. Il peut s'agir d'une action de la molécule sur certaines cellules de l'organisme qui n'était pas identifiées au départ, il peut s'agir de la conséquence de l'effet principal du médicament, par exemple la baisse du LDL cholestérol pour les statines, enfin il peut s'agir d’un effet qui est spécifique à certains individus en raison de leur génétique. Cela représente un nombre considérable d’effets qui ne peuvent être documentés dans les études initiales puisque la plupart du temps on ne mesure que certains paramètres comme par exemple la mortalité, les accidents cardio-vasculaires majeurs ou bien des constantes biologiques comme les différentes particules lipidiques du sang. Ces effets secondaires comportementaux sont rares. Néanmoins ils s’agit d’observations très concordantes car elles ont fait, pour une certain nombre, l’objet d'expériences répétées d’arrêt et de réintroduction du médicament ce qui représente une preuve de causalité.

Les effets comportementaux sont très divers, de modifications subtiles que l’individu perçoit ou bien son entourage à des changements critiques comme celui du comportement violent au volant ou bien un suicide. Leur mécanisme physiopathologique est très incertain à l'heure actuelle mais par exemple on suspecte que la diminution des particules de LDL cholestérol dans le sang, sous traitement par statine, peut influer sur le fonctionnement cérébral car le cholestérol est un constituant essentiel de toutes les membranes. Son manque pourrait interférer dans la fonction essentielle du cerveau qui est la communication entre les neurones.

Il n'y a pas que les médicaments, la prise d'hormones contraceptives, modifie le comportement du cerveau car ce dernier est très sensible aux hormones sexuelles et aux hormones synthétiques. C'est souvent parfaitement méconnu y compris des soignants et l'essentiel des constatations concerne la perception émotionnelle des événements qui est modifiée chez certaines femmes par la pilule.

L'impact de ces "effets secondaires" varient : les médicaments contre l'excès de cholestérol pourraient changer notre comportement du tout au tout, alors que les effets du paracétamol ne dureraient que quelques heures. Alors que certains médicaments rendent plus impulsifs, nous font perdre le contrôle de nous-même est-ce à dire, comme l'on fait certains criminels, qu'ils peuvent nous pousser à commettre des actes voire des crimes que l'on ne commettrai jamais en temps normal ? Comment distinguer ce qui est dû au médicament de ce qui est de la responsabilité de la personne elle-même ? 

La prise de médicament, de drogue ou d’alcool ne supprime pas la responsabilité de la personne, l’invoquer conduit à inciter les individus violents à consommer ces drogues pour justement augmenter leur potentiel criminel. En effet cette prise est volontaire. Le seul cas qui est à discuter est celui de maladies mentales graves (les psychoses par exemple) préexistantes et traitées par des médicaments psychotropes à condition qu’il soit établi que ces médicaments altèrent profondément le discernement. Il n’y a pas lieu de poser la question de la part médicamenteuse dans le comportement criminel de l’individu non atteint d’une maladie mentale grave, car tout simplement aucun expert ne peut répondre à cette question sur des bases scientifiques.

Peut-on lutter contre ces effets ? Les contrôler ?

Ces effets secondaires sont comme les autres: leur fréquence est d’abord le résultat de l’utilisation massive des médicaments dans nos sociétés. Prenons l'exemple du paracétamol il s'agit d'un médicament antalgique dans l'utilisation est devenue tellement fréquente que l'automédication est un poison. Pour n'importe quel bobo, n'importe quelle entaille, n'importe quelle céphalée le recours aux médicaments est devenu chez certains une deuxième nature sans se poser la question essentielle de savoir si le risque est supérieur au bénéfice. Selon la classe du médicament on peut estimer que dans les sociétés développées la moitié voir les trois quarts de la consommation est inutile abusive ou dangereuse. Le résultat est devant nos yeux:

“La toxicité du paracétamol est la cause la plus fréquente d'insuffisance hépatique nécessitant une transplantation hépatique en Grande-Bretagne. Aux États-Unis, la toxicité du paracétamol a remplacé l'hépatite virale comme cause la plus fréquente d'insuffisance hépatique aiguë et est la deuxième cause d'insuffisance hépatique nécessitant une transplantation. La toxicité du paracétamol est particulièrement fréquente chez les enfants, mais les adultes ont représenté la plupart des cas graves et mortels. C'était en 2009, mais en 2016 un article dressait le bilan d’une intoxication mondiale: “L'hépatotoxicité du paracétamol reste un problème mondial; aux États-Unis, en particulier, il représente plus de 50% des insuffisances hépatiques aiguës liées à un surdosage et environ 20% des cas de transplantation hépatique.” C’est autrement plus grave que des troubles comportementaux, convenons en, et pourtant les citoyens n’en sont pas conscients.

Il en est de même des psychotropes. Dans ce domaine la situation en France reste très préoccupante. Depuis la mise en garde d’Édouard Zarifian, la surprescription ou les prescriptions inappropriées notamment dans les dépressions légères reste extrêmment fréquente. Les personnes âgées paient un très lourd tribut à cette surconsommation non pas en terme de troubles comportementaux mais en terme de chute et de mortalité. Dans ce cas aussi la prévention est une réduction drastique de la consommation de psychotropes.
C'est pourquoi il est inefficace de vouloir prévenir par une “lutte” les effets secondaires des médicaments. Il s’agit de modifier nos pratiques et d’influer sur la consommation par tous les moyens et en particulier le copaiement car la gratuité est une source de demande infinie.

Pourquoi ne s'en rend-t-on compte qu'aujourd'hui ? Pourquoi continuer de prescrire ces médicaments malgré les alertes répétées des chercheurs ?

Ces données sont présentes dans la litérature depuis plusieurs années, cet article  a été publié en 2004 ! Ce qui se passe c’est que la face cachée des médicaments (celle des effets secondaires) est souvent, pour ce qui n’est pas la mortalité ou des accidents aiguës graves de toxicité, découverte dans les études post marketing. Il s’agit de creuser les phénomènes cliniques observés dans des cas cliniques épars. De surcroît les changements comportementaux sont complexes à étudier car de multiples causes concurrentes peuvent les produire. Même avec les outils de l’imagerie fonctionnelle du cerveau ces études sont difficiles et coûtent cher.

D’autre part ces médicaments il faut le rappeler rendent des services utiles lorsqu'ils sont utilisés avec parcimonie et dans des indications appropriées. Le patient qui vient de faire un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde et qui n'a absolument pas pris la dimension des efforts d'hygiène de vie qu'il doit consentir pour prévenir la récidive bénéficie d'une statine au moins pour un certain nombre de mois ou d’années. Qu'il s'agisse de complications comme des douleurs musculaires ou des troubles comportementaux, c'est le suivi de la prescription qui doit permettre de les caractériser, de modifier cette dernière, de l'adapter ou de choisir un autre médicament.

Dans ce domaine aussi l'intelligence artificielle va modifier le rapport entre le médicament, son prescripteur et le patient. Tout d'abord le temps approche où, sur des bases rationnelles, un certain nombre de prescriptions notamment celles qui sont multiples ne seront plus délivrées. C'est en effet la cause principale de multiplication des effets secondaires. Plus le patient prend de molécules médicamenteuses plus les risques d'effets secondaires et d’interactions médicamenteuses sont élevés. Aujourd'hui cette situation désastreuse notamment chez les personnes âgées ne fait l'objet d'aucune évolution technologique pour en diminuer les conséquences souvent gravissimes. Dans le même temps l'intelligence artificielle va pouvoir, compte tenu de l'extrême complexité des données et de leur nombre difficilement accessible au cerveau humain, d’identifier rapidement les liens entre un phénomène clinique qui apparaît comme inopiné et une molécule médicamenteuse.

Le médicament est utile car il sauve des vies. Son usage de convenance ou son abus sont très dangereux car il n’y a pas de molécule neutre. Elles ont toutes des effets multiples.

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