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Retrait de l’âge pivot : le gouvernement face au risque de l’effet de ciseau dans l’opinion
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Trop ou pas assez ?

Si l’annonce du gouvernement sur le retrait provisoire de l'âge pivot peut rassurer ceux qui attendent l'apaisement et le respect des corps intermédiaires, elle pourrait décevoir ceux qui attendaient de la fermeté ou la prise en compte plus profonde de la crise de défiance qui fracture le pays.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : Puisque le gouvernement semble considérer que l’électorat LREM est très attaché à ce qu’Emmanuel Macron fasse des réformes et que l’électorat de droite serait très attaché aux équilibres budgétaires, ce retrait de l’âge pivot peut-il avoir un impact électoral négatif ? Cet effet sera-t-il visible maintenant au regard des élections municipales ou en 2022 ?

Chloé Morin : De fait, les électorats LREM et LR sont les deux seules sensibilités politiques à exprimer - avant que le Premier ministre n’annonce le retrait de l’âge pivot de la réforme - une opinion positive majoritaire à l’égard du projet de réforme du gouvernement. 88% des LREM et 64% des sympathisants LR, selon un sondage IPSOS pour France 2 publié il y a trois jours, estiment ainsi que la réforme aboutira à un système plus juste qu’actuellement.

Cette idée repose en grande partie sur l’idée que le gouvernement va mettre fin aux régimes spéciaux - un bouc émissaire favori de la droite, de longue date, bien qu’elle ne les ait pas supprimés lorsqu’elle a exercé les responsabilités -, mais aussi que des mesures conséquentes seront prises pour assurer l’équilibre budgétaire et donc la pérennité financière du régime. 

L’idée d’âge d’équilibre ou « âge pivot » était, dans ce même sondage, considéré comme « une bonne chose car il est nécessaire de travailler plus longtemps pour garantir l’équilibre financier des retraites » par 73% des sympathisants LREM, et 56% des sympathisants LR. Là encore, ils sont les seuls sensibilités politiques à exprimer un avis positif majoritaire à l’égard de cette réforme. 

Mais je crois important de souligner que cette mesure symbolique, « ligne rouge » des syndicats réformistes, n’est pas purement et simplement supprimée puisque le principe d’équilibre reste au coeur de la réforme. Le gouvernement se réserve même la possibilité de procéder par ordonnances afin de prendre les mesures nécessaires au maintient de l’équilibre. La question est donc : est ce que ce qui sera entendu, ce sera avant tout la suppression d’un symbole, ou bien la conservation du principe d’équilibre budgétaire? Le risque, comme toujours en communication politique, est que chacun ne voie que les signaux négatifs : la droite pourrait y voir un recul face à la rue et un renoncement sur la responsabilité financières, et l’opposition à la réforme - du moins sa partie radicale, CGT en tête, réclamant le retrait du projet - pourrait y voir un recul insuffisant, voire un encouragement à poursuivre la mobilisation, pour obtenir davantage…

Dès lors, il est beaucoup trop tôt pour connaitre les conséquences politiques, et encore moins électorales, de ce retrait. Les jours qui viennent nous diront si la grille de lecture majoritaire sera plutôt « un signal d’ouverture au dialogue bienvenu », ou bien « un recul devant la rue, et un renoncement sur le principe de responsabilité budgétaire ». 

Et à l’inverse, le gouvernement n’est-il pas aveugle au fait que les électeurs LREM comme de droite souhaitent certes des réformes ou qu’on ne cède pas automatiquement tout aux syndicats, grévistes, Gilets jaunes etc... ? Mais les électeurs LREM et ceux de droite ne souhaitent pas pour autant la guerre civile... Or, le gouvernement a tendance à ne pas mesurer la profondeur de la crise de défiance puisqu’il pense s’être sorti relativement -et contre toute attente- « indemne » de la crise des Gilets jaunes. Sauf que la violence est bien là et qu’elle s’exprime à chaque manifestation comme cet après-midi encore à Bastille...

L’électorat de droite - mais aussi une partie de l’électorat LREM, qui tel qu’il est aujourd’hui vient en grande partie de la droite - est très sensible à la thématique de l’ordre. L’autorité est une valeur cardinale pour la droite, une valeur sûre sur laquelle Emmanuel Macron a su s’appuyer à certains moments cruciaux ou symboliques de son mandat - on se souvient par exemple de la fermeté de la poignée de main avec Trump, qui voulait trancher avec un prédécesseur considéré comme « trop mou » et manquant d’autorité. C’est en partie sur ce créneau, en campant une posture inflexible face aux violences de la rue, qu’Emmanuel Macron avait réussi à sortir de l’impasse dans laquelle les Gilets Jaunes l’avaient mis, au début de l’année 2019. 

De même, le sentiment que le pouvoir est impuissant face à la violence, qu’elle émane de la rue ou qu’elle soit le fait de délinquants, qu’il s’agisse de manifestations ou de violences du quotidien, est toujours très nocif pour un gouvernement en place. Souvent, la grille de lecture qui s’impose dans l’opinion est celle du deux poids deux mesures, d’un pouvoir trop fort avec les faibles - sur le plan économique, social, régalien - et faible avec les forts. Cette idée est corrosive non seulement pour le pouvoir en place (mais soulignons qu’elle n’est nullement née sous ce quinquennat), mais plus généralement pour la démocratie, car elle nourrit la défiance envers les institutions.

Dans la situation présente, le risque d’opinion, pour le gouvernement, est d’être pris en tenailles entre d’une part, ceux qui lui reprochent d’être trop inflexible et fermé à la négociation sur la réforme (plutôt l’électorat de gauche), et ceux qui, d’autre part (plutôt la droite), peuvent lui reprocher une forme de laxisme face aux casseurs opérant aux marges des cortèges. Souvenons nous que lors de la réforme de la SNCF, l’électorat de droite s’était montré très sensible au fait que le gouvernement ait « tenu » face aux syndicats - souvent considérés le parti par excellence de l’immobilisme - et à la rue. Cette seule posture de fermeté avait sans doute compté autant sinon plus, aux yeux de l’opinion LREM et LR, que la réforme en elle-même, qui touchait finalement très peu de salariés, et dont la complexité la rendait difficilement compréhensible pour le commun des citoyens. 

Quel équilibre le gouvernement va-t-il devoir trouver pour tenter de continuer à réformer ?

Le « en même temps » est toujours un pari risqué : soit il permet de contenter tout le monde, en donnant des gages à chaque camp - car il faut rappeler que la réforme actuelle a réactivé de manière assez remarquable une forme de clivage gauche-droite, en sus du clivage inter-générationnel -, soit il conduit à mécontenter tout le monde, car chaque camp percevra avant tout les concessions faites à l’adversaire. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, la droite et les sympathisants LREM pourraient déplorer le fait que Edouard Philippe ait cédé sur l’âge pivot, et les manifestants et grévistes mobilisés depuis plus d’un mois pourraient y voir des concessions trop tardives et insuffisantes au regard de leurs revendications. Evidemment, il est trop tôt pour savoir si ce second scénario s’imposera, ou si le gouvernement retrouvera cette alchimie particulière du « en même temps ». Mais dans une période d’impopularité assez profonde, c’est sans doute le plus probable… 

Reste que ce signal d’ouverture du gouvernement, ainsi que la longueur du conflit, pourraient finir par conduire une partie de l’opinion non pas à l’acceptation de la réforme, mais à une forme de résignation, par lassitude et par fatigue face aux images quotidiennes des cortèges, des violences à leurs marges, mais aussi aux conséquences des grèves sur leur vie quotidienne. Pour le gouvernement, l’enjeu véritable est sans doute là : céder suffisamment pour faire basculer une partie de l’opinion dans la résignation, plutôt que chercher à convaincre une majorité que sa réforme est fondamentalement juste.

Une fois cette réforme menée à bien, quelle sera sa capacité de réforme? Deux thèses s’affrontent ici : celle qui prétend qu’une fois cette digue franchie, une fois les résistances syndicales vaincues, le gouvernement aura - à l’image d’une Thatcher ayant cassé les grèves - le Champ libre pour réformer ; et en face, celle consistant à dire que cette réforme pourrait laisser des fractures si profondes, que l’opinion sera devenue trop sensible pour mener d’autres réformes à caractère économique et social sans risquer d’anéantir toute chance de réélection d’Emmanuel Macron en 2022. Il est difficile d’arbitrer entre ces deux thèses, à ce stade. Je me contente d’observer que la réforme du droit du travail menée par le tandem Valls/Hollande en 2016 ont sans doute grandement contribué à ce qu’une majorité du socle socialiste déserte le candidat PS en 2017, preuve que cet espace électoral - qui constitua une majorité de l’électorat de premier tour de Macron - est très sensible à la fois à la justice sociale et au dialogue social. En outre, compte tenu de la défiance structurelle et de volatilité électorale qui caractérisent notre époque, risquer une impopularité trop profonde, c’est toujours s’exposer à voir son électorat déserter si une offre alternative nouvelle - nécessairement plus désirable parce que nouvelle - se présentait d’ici 2022. 

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