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Ré-élection de Tsai Ing-wen: Taïwan doit-elle avoir peur de la Chine ?
©Sam YEH / AFP

Invasion

Selon des informations de Reuters, la présidente taiwanaise sortante Tsai Ing-wen, qui brigue un second mandat, serait en tête du scrutin organisé samedi sur fond de tensions avec la Chine et de contestation à Hong-Kong. La Chine n'exclut pas de recourir à la force si l'île proclame formellement son indépendance.

Hugo Tierny

Hugo Tierny

Hugo Tierny est doctorant en cotutelle à l’Institut Catholique de Paris (ICP) et l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Ayant vécu quatre années à Taipei (Taïwan), il s’intéresse aux questions d’influence politique chinoise et aux relations entre Taïwan et la Chine. 

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Atlantico.fr : Tsai Ing-wen, candidate progressiste qui pourrait potentiellement l'emporter, est en train de conquérir petit à petit le cœur de la jeunesse (9 % des votants sont pour la première fois en âge de voter). Elle incarne une résistance face à Pékin et son élection peut tout faire basculer. 

D'après des informations de Reuters, la présidente taiwanaise sortante Tsai Ing-wen, qui brigue un second mandat, est en tête du scrutin organisé samedi sur fond de tensions avec la Chine et de contestation à Hong-Kong. Une heure après la fermeture des bureaux de vote, les trois grandes chaînes de télévision locales la créditait de 500.000 voix d'avance sur Han Kuo-yu, chef de file du Kuomintang et de l'opposition. Tsai Ing-wen a dramatisé l'enjeu des élections présidentielle et législatives, qui se résument selon elle à un vote pour ou contre la démocratie et la défense de la souveraineté de l'île. La Chine considère Taiwan comme partie intégrante de son territoire et n'exclut pas de recourir à la force si l'île proclame formellement son indépendance.

Quels seraient les conséquences de la réélection de Tsai Ing-wen ? 

Hugo Tierny : Tsai Ing-wen, présidente du parti démocrate progressif (DPP), candidate à sa réélection et largement perçue comme la candidate la mieux à même de protéger la souveraineté de Taïwan, a terminé la course très en avance dans les sondages. Son compétiteur du Kuomintang (KMT), Han Guo-yu, candidat populiste et ouvertement préféré par Pékin, avait pourtant débuté la campagne sous les meilleurs auspices. 
Mais en profitant de dynamiques favorables, Tsai a opéré une remontée fulgurante. Han souhaitait s’attirer les bonnes faveurs de Pékin pour favoriser la prospérité économique de l’Île, mais est resté incapable de préciser les contours d’un programme sérieux. Et ses allers-retours en Chine en pleine campagne électorale ont renforcé l’ambigüité qui entoure sa relation, et celle de son parti, avec Pékin. Ensuite, la Chine est venue rappeler aux électeurs indécis la nature de son objectif. En janvier 2019 Xi Jinping exposait de façon martiale son refus de renoncer à la force pour unifier Taïwan et le continent. Tsai avait répondu aux menaces avec fermeté, ce qui a véritablement relancé sa popularité. L’expérience hongkongaise de la formule « un pays deux systèmes » que Pékin entend imposer à Taïwan a simplement nourri la dynamique. 
Les élections législatives tenues le même jour sont également importantes car il n’est pas certain que le DPP de Tsai maintienne sa majorité au parlement. Si le DPP perd sa majorité au parlement au profit du KMT, Tsai n’aura plus les mains libres pour mener à bien sa politique chinoise. Le KMT s’est refait une santé lors des élections locales de 2018 et son ancrage territorial reste fort. Mais ici aussi le parti centenaire a fait des faux pas avec par l’exemple l’inscription sur ses listes de personnalités pro-Chine à la loyauté douteuse. Jusqu’à la dernière minute, les paris resteront ouverts. 

En quoi cela peut-il gêner les intérêts stratégiques chinois dans la région ?

Une réélection de Tsai Ing-wen et la consolidation au pouvoir du DPP sera naturellement mal reçue par Pékin. Voir Taïwan s’éloigner de la Chine d’année en année nourrit un sentiment d’insécurité en Chine, alors que le parti communiste a longtemps construit un récit national faisant de Taïwan une part inaliénable de son territoire et de son retour à la « mère patrie » un objectif presque sacré (même si la république populaire n’a jamais gouverné l’Île). Le Parti Communiste est ainsi tiraillé entre sa promesse de « reprendre » Taïwan et la réalité de l’éloignement de l’Île. 

Cela mettra aussi en évidence les difficultés éprouvées par la Chine pour capter la loyauté des taïwanais et inverser la tendance identitaire à Taïwan. De toute évidence, Pékin a perdu la jeunesse taïwanaise, majoritairement opposée à un rapprochement avec la Chine. L’identité de cette jeunesse est profondément taïwanaise, proche de ses valeurs démocratiques et fière de sa culture. Ainsi les préférences de la jeunesse taïwanaise, force politique de demain, constituent un vrai défi stratégique pour Pékin. 

Au-delà, la réélection de Tsai et le possible maintien d’une majorité DPP au parlement favorisera la marge de manœuvre de Taïwan à la fois au niveau domestique et international. Au niveau domestique, le gouvernement aura les mains libres pour, par exemple, limiter l’influence de Pékin et accélérer le murissement de son industrie de défense.

Au niveau international, cela favorisera le rapprochement stratégique que Tsai veut entreprendre avec les partenaires démocratiques de Taïwan (Etats-Unis, Europe, Japon, Inde entre autres). Depuis l’arrivée au pouvoir du DPP en 2016, Taïwan a mis en avant un caractère de nation sentinelle, assise sur la ligne de front d’un combat idéologique entre régimes démocratiques et autoritaires. En termes de visibilité internationale, cette forme de communication est payante. 

Le resserrement des liens entre Taïwan et les démocraties mondiales alimentera sûrement les inquiétudes chinoises de progressivement voir s’élever devant elle une forme de coalition. Les lignes d’approvisionnement de la Chine et l’espace de manœuvre de son armée sont surveillés depuis le détroit de Malacca jusqu’au Japon, le long d’une chaîne d’île, pour la plupart des Etats alliés aux Etats-Unis. Taïwan est un maillon clef au centre de cette chaîne et la réélection de Tsai le solidifiera. 

Taiwan doit-elle avoir peur de la Chine ? 

Il ne faut pas dramatiser l’enjeu. La Chine est perçue en partie comme une menace sécuritaire par Taïwan, mais les relations entre les deux rives sont riches en termes économiques et culturels. 

En effet, la Chine ne renonce pas à la force pour prendre contrôle, un jour, de Taïwan. Mais ce discours est autant dirigé à l’international qu’à l’interne. Il est payant politiquement à Pékin de rappeler régulièrement l’engagement presque sacré à « reprendre » Taïwan, terre perdue par l’empire mandchou au Japon en 1895, durant ce que les chinois appellent le « siècle d’humiliation ». Et Pékin craint un effet domino auprès des autres minorités ethniques de Chine (Tibétains, Ouïgours) s’il fait une concession à Taïwan. Surtout, une aventure militaire contre l’Île aujourd’hui serait plus que risquée pour pléthore de raisons. Mais même si cette menace est en quelque sorte de l’ordre de la posture, elle maintient malgré tout une pression dangereuse sur Taïwan. 

Ces difficultés mènent la Chine à recourir à d’autres moyens pour influencer Taïwan, avec l’utilisation de moyens non-conventionnels tels que des pressions diplomatiques et économiques, des intimidations militaires et psychologiques, l’usage intensif des médias et des moyens digitaux (cyber, intelligence artificielle) à des fins de désinformation. Pour bien des analystes, Taiwan sert de terrain d’essai pour les tactiques d’influence chinoises et les plus efficaces d’entre-elles pourraient plus tard viser d’autres sociétés démocratiques. 

En attendant, Taïwan adopte des contremesures, la dernière en date est l’adoption d’une loi « anti-infiltration » destinée à empêcher l’interférence de « puissances hostiles » dans son système électoral. On devine que le texte vise surtout la Chine. Le KMT, parti soupçonné de recevoir un soutien tangible de Pékin, a promptement dénoncé le texte et a crié au retour de la dictature. C’est en soi une forme de désinformation, et c’est peut-être ce que Taïwan craint le plus aujourd’hui. 

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