Roman : "Je te suivrai en Sibérie", un livre époustouflant qui parle d'amour avec un grand A<!-- --> | Atlantico.fr
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"Je te suivrai en Sibérie"
"Je te suivrai en Sibérie"
©Capture d'écran Iceland

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JE TE SUIVRAI EN SIBÉRIE

De Irène Frain

Editions : Paulsen

INFORMATIONS 

De Saint-Pétersbourg au lac Baïkal, l'Amour soulève les montagnes. Immense et bouleversant. Le roman possède 469 pages.

RECOMMANDATION

Excellent

THEME

Pauline, jeune cousette lorraine, vit à la fin du 1er Empire sous le joug d'une mère très toxique. Mais elle n'a pas froid aux yeux, ne s'en laisse pas conter et entend bien s'en sortir quel qu'en soit le prix. Intrépide, elle s'embarque au début de la Restauration dans les bagages "d'une maison de commerce "à la conquête de la Russie tsariste ; avec Je te suivrai en Sibérie, nous suivons et vivons sa destinée hors du commun. Mais attention, l'histoire de cette  "aventure", romanesque certes, n'est pas un roman. Tirée de faits réels extraits des mémoires de Pauline, elle n'en deviendra pas moins légendaire. C'est une page de l'histoire russe en même tant qu'un morceau de bravoure : statues, articles, poèmes, chansons, célébrations officielles, témoignent de la vivacité des sentiments qui unissaient Pauline Geuble (nom de guerre Pauline Paul), modeste dentelière, et son noble et richissime amant, Ivan Annenkov, et du culte voué aux Décembristes par les démocrates et futurs révolutionnaires.

L'auteure, s'inspirant du brouillon des mémoires de la jeune Pauline, amoureuse endiablée, nous conte son voyage insensé qui va la conduire dans les geôles d'un goulag sibérien juste après la funeste journée du 14 décembre 1825 qui vit le carnage de dizaines de "Décembristes", devant le Sénat, à Saint Pétersbourg. Ces aristocrates pré-révolutionnaires, menés par le prince Troubetskoï, démocrates idéalistes admirateurs des philosophes des Lumières, furent massacrés au canon sur ordre du grand duc Nicolas 1er. C'est le point de départ d'une longue épopée pour les survivants, dont Ivan, déportés dans un vieux fortin aux confins de la Chine et de la Sibérie.

Ces malheureux seraient tombés dans l'oubli si 8 femmes, 7 épouses et la maîtresse de l'un d'entre eux, Pauline précisément, n'avaient à leur tour, à bord de mauvais traîneaux, pris les routes défoncées vers l'est, franchi l'Oural, contourné le lac Baïkal, traversé les montagnes de la Sibérie pour échouer au milieu de quelques soudards et Cosaques goguenards aux portes du fort où les bannis étaient tenus prisonniers ; après avoir fondé une sorte de mini-république inspirée par la France révolutionnaire et soutenus par l'amour de ces femmes d'un extraordinaire courage, les survivants ne seront graciés que 30 ans plus tard par le tsar Alexandre II.

POINTS FORTS

- Le style, haletant : une plume alerte, un style vif et tranchant, le ton du reportage, les mots et images de l'aventure. On voyage loin avec Pauline sans ménager son souffle.

- Le thème, classique et moderne à la fois : la plus grande preuve d'amour donnée par l'âme romantique et l'énergie indomptable d'une femme, un grand exemple du combat mené au nom de la condition féminine pour la liberté . 

- Une étude politique et sociologique qui nous renseigne sur les mœurs et les aspirations de l'époque, dans le prolongement de la Révolution française et de son rayonnement bien au delà de nos frontières. La France déjà, c'est la mode, la langue, la culture et un certain art de vivre aux yeux du monde.

POINTS FAIBLES

- Le démarrage un peu lent relatant la vie mouvementée de la jeune Pauline, et décrivant le  caractère odieux de sa mère et les difficultés de leurs relations.

- Le côté feuilletonesque du début lors de la prime jeunesse de Pauline un tout petit peu midinette. L'auteur donne libre cours à son imagination (et à ses propres motivations féministes) en marge de faits dont l'authenticité reste dans l'ombre ou sans fondements.

- Une certaine complaisance politique. Irène Frain n'est pas une historienne au sens propre du terme. Passant sous silence les (mé)faits des "Décabristes" (dits ainsi à la russe) elle a tôt fait de faire des personnages héroïques de ces francs maçons qui visaient en fait l'assassinat du grand duc Nicolas. Le futur Nicolas 1er fut en réalité un tsar réformiste et moderne essayant de bâtir un empire sur le chaos.

EN DEUX MOTS ...

Je te suivrai en Sibérie est avant tout une biographie de l'Amour, une ode à la passion. C'est aussi une superbe épopée littéraire où l'âme russe s'exprime avec fierté, courage, sensibilité et où l'on croise Chateaubriand, Dostoïevski, Alexandre Dumas, sur fond d'un drame, la conjuration des Décembristes, annonciateur des malheurs qui vont s'abattre sur  le dernier des Romanov et sa famille en 1917.

Sous la plume de Pauline, l'héroïne, puis de celle de l'auteur Irène Frain, c'est une page de l'imaginaire russe qui s'écrit ; une histoire méconnue et passionnante où la vie dépasse le roman, une histoire d'amour exalté capable de renverser les montagnes.

UN EXTRAIT

(Premières retrouvailles au pénitencier de Sibérie)
"...Le serviteur aperçoit Annenkov" 

"Elle jaillit de la maison, se poste en haut du perron C'est bien Ivan. Blême, les joues creuses, affaibli, affaissé, la nuque frêle, comme cassé, perdu dans une pelisse élimée à la doublure en lambeaux. L'ombre de l'homme qu'il était du temps qu'il était Lui. Il la voit à son tour. Il voudrait la toucher. Au mépris des soldats qui le talonnent, il s'approche. Dans son français d'un autre temps, il s'impatiente : "Pauline, descends plus vite, donne moi la main...". A l'instant précis où les amants vont s'étreindre, se rejoindre selon les termes de leur serment, un soldat ceinture Ivan enchaîné, le repousse. Ce monde est décidément trop brutal pour l'amour. Pauline s'évanouit. En un quart de seconde, après quatre cents jours de séparation, la réalité pulvérise les fantasmes de leurs retrouvailles tant attendues."

L'AUTEUR

Irène Frain aime les destins singuliers, les parcours littéraires et les voyages

"Sorti(e) de rien", sinon de son très modeste milieu rural dénué de tout, comme le raconte un de ses livres, elle est agrégée de lettres classiques et a enseigné la littérature latine à la Sorbonne.

Depuis  Quand les Bretons peuplaient les mers,  son premier livre écrit en 1979 à la gloire de son berceau natal, la Bretagne maritime (elle est née à L'Orient (!), il y a 69 ans), elle a produit 40 ouvrages, un par an !  

Elle a écrit notamment Le Nabab, biographie de René Madec, petit mousse breton devenu nabab en Inde, qui connut un immense succès, Les Naufragés de l'Île Tromelin, Beauvoir in love, Marie Curie prend un amant...  Elle continuera à s'illustrer dans certaines biographies comme celles de Cléopâtre ou de Gandhi, mais Irène Frain a surtout la Bretagne chevillée au corps et au cœur : Julien Gracq et la Bretagne, La Côte d'amour, La Maison de la source tout en cultivant sa passion pour l'Orient et l'Inde en particulier avec Quai des Indes, Pour que refleurisse le monde... autant d'hymnes à l'amour et au combat féministe.

Aujourd'hui Irène Frain collabore au nouvel hebdomadaire d'Eric Fottorino, "Le 1".

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