Les secrets avouables (et les autres) de l’excellence scolaire des jeunes élèves d’origine asiatique<!-- --> | Atlantico.fr
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L'excellence est de mise

Une étude de la sociologue du Cnam Yaël Brinbaum, parue en décembre 2019, révèle que les jeunes filles asiatiques sont très bonnes élèves. Alors quels sont les secrets de leur réussite ? Barthélémy Courmont et Laurent Alexandre nous en disent plus sur ce sujet intéressant.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico : Selon une étude de la sociologue du Cnam Yaël Brinbaum parue en décembre 2019, les enfants d’origine asiatique, et plus particulièrement les filles, se démarquent en France par leur surréussite scolaire. Comment l'expliquer? 

Barthelemy Courmont :Les résultats de cette étude qui a analysé les trajectoires de 30 000 enfants scolarisés sur une décennie sont spectaculaires en ce qu'ils indiquent que les enfants d'origine asiatique réussissent mieux que tous les autres groupes ethniques en milieu scolaire. Les filles comme les garçons asiatiques atteignent ainsi des taux de réussite au bac très élevés (92% et 88%), qui dépassent même les Français d’origine (nous entendons ici ceux qui sont Français depuis au moins trois générations) et les autres enfants appartenant à la deuxième génération de l'immigration. Idem sur le taux de redoublement, très faible, et dans les orientations vers des bacs généraux à très forte majorité. Cette étude n'offre cependant pas de précision sur les origines de ces "asiatiques", l'Asie étant une entité aussi vaste que diversifiée. Gageons que les cas les plus étudiés sont des enfants qui appartiennent à la deuxième génération d'une immigration en provenance de Chine et du Vietnam en majorité, de pays comme la Corée ou le Japon ensuite. Il s'agit de pays de culture confucéenne, où l'éducation est mise en avant. On constate par exemple dans ces sociétés que le "savant" celui qui détient des diplômes ou exerce des fonctions dans l'éducation, est un personnage important et respecté, comme par exemple le Lao shi (professeur) chinois. Dans ces sociétés, le rythme scolaire est très soutenu et les jeunes suivent de nombreux enseignements en plus des heures de classe, pour conforter leurs connaissances ou apprendre de nouvelles matières, de la musique, du dessin, des langues étrangères, etc. Bien sûr, ces habitudes changent au contact de la société française, mais les habitudes demeurent et restent très présentes en particulier dès lors que les parents de ces enfants scolarisés en France ont reçu une éducation confucéenne.

Laurent Alexandre : On a un début de réponse. On retrouve chez les Asiatiques de l’est de très bons scores aux tests de QI. Le quotient intellectuel (QI) moyen en Asie de l’Est est très élevé : à Singapour et à Hongkong par exemple il serait 10 points au-dessus de celui constaté en France ou aux USA (108 contre 98).
L’admission dans les grandes universités américaines utilisant systématiquement le test de mesure cognitive SAT qui est très fortement corrélé au test de QI, il est logique que les Asiatiques prennent beaucoup de places dans les grandes universités. Dans le classement PISA des élèves par pays, la Chine est désormais numéro 1 mondial. Les autres pays d’Asie de l’Est sont également très bien placés. Par ailleurs, il existe une forte pression exercée par les parents. Et les professeurs sont  respectés… Les parents asiatiques veulent que leurs enfants gagnent la guerre des intelligences.

Quelle que soit l’origine, les filles dépassent les garçons, sauf chez les descendants asiatiques où les deux sexes frôlent l'excellence. Pourquoi ?

Barthelemy Courmont : Dans les sociétés confucéennes, la réussite du garçon est primordiale. Il y a encore quelques décennies, on sacrifiait l'éducation des filles dans de nombreuses sociétés asiatiques au profit des garçons, quand les ressources familiales étaient limitées, parce que c'est le garçon qui va fonder un foyer, perpétuer le nom, et donc la famille, tandis que la fille quitte la famille au moment du mariage. La réussite des filles est donc secondaire. Cette approche traditionnelle, aujourd'hui confrontée à l'interculturalité et au développement, autant qu'à un accès plus facile à l'éducation, n'en demeure pas moins une réalité culturelle. La pression sociale reste ainsi très forte sur les garçons qui doivent réussir et, pour y parvenir, atteindre des performances scolaires. Ils sont ainsi poussés par leur famille. C'est sans doute ce qui explique que les garçons asiatiques réussissent aussi bien que les filles, contrairement à d'autres groupes ethniques, en tout cas pour ce qui est des personnes originaires de cultures confucéennes (Asie du nord-est surtout). Là encore, il serait intéressant de voir si les enfants originaires d'Asie du sud-est (hors péninsule indochinoise) ou d'Asie du sud (Inde surtout) offrent les mêmes résultats.

Laurent Alexandre : On observe que les filles sont plus appliquées que les garçons. Mais cet écart est nettement moins prononcé chez les Asiatiques. Il n’y a pas d’explications claires à ce phénomène.

Les enfants d'origine asiatique sont sureprésentés dans les filières scientifiques. Il y a-t-il un rapport au prestige plus important dans la culture asiatique que dans la culture occidentale?

Barthelemy Courmont : C'est à la fois le point fort et la limite de la pensée confucéenne appliquée au monde de l'éducation, comme le montrent très nettement des pays comme la Corée du Sud, le Japon et, de plus en plus, la Chine. Le système éducatif y est très dur, et les performances spectaculaires (la Corée du Sud se hisse régulièrement en tête des pays offrant les meilleurs résultats scolaires), mais les méthodes d'apprentissage privilégient souvent le bachotage plus que la réflexion. Cela s'avère utile pour les sciences de la nature, moins pour les sciences humaines, où la réussite de étudiants asiatiques est nettement plus faible. Ce n'est donc, à mon sens, pas tant une question de prestige que de technique d'éducation. Il est par exemple troublant de voir des jeunes chinois être capables de réciter par cœur des poèmes anciens, parfois très longs. Mais ils n'ont pas pour autant une bonne connaissance de la littérature, ni un goût prononcé pour les lettres. Ce qui était autrefois gage de réussite et de connaissance l'est moins désormais, a fortiori dans les sociétés occidentales où on apprend aux jeunes à réfléchir plus qu'à retenir, dans les sciences humaines en particulier. Notons par ailleurs que dans certains pays asiatiques, la Corée du Sud en particulier encore, les jeunes sont tellement poussés lors de leur enseignement primaire et secondaire qu'ils perdent l'envie d'apprendre une fois à l'université. Les sciences humaines, basées, sur l'envie d'apprendre, ne leur conviennent que rarement. Bien sûr, ces remarques doivent être nuancées, d'autant qu'elles concernent le système éducatif dans les sociétés asiatiques, et non la communauté asiatique de France. Mais là encore, cela ne saurait être sous-estimé. Imaginez une famille dont les deux parents ont été formés à "l'école coréenne ou japonaise". Même s'ils en gardent un souvenir amer, il y a de grandes chances qu'ils reproduiront à une certaine échelle ce modèle sur leurs enfants.

Laurent Alexandre : Les descendants d’immigrés asiatiques sont effectivement surreprésentés parmi les bacheliers scientifiques (36% des filles, 42% des garçons) contre seulement un quart des Français d’origine. Les pays d’Asie de l’Est comme la Chine, où règne un spectaculaire consensus sur les modifications génétiques, la manipulation cérébrale et le déploiement de l’IA sont ultra favorables à la science. L’impérialisme technologique chinois est saisissant. La Chine est devenue la première puissance transhumaniste, loin devant les États-Unis, et ne trouve aucun obstacle sur sa route. La science est reine en Asie de l’est. A l’inverse, les sciences sont désormais méprisées en France. L’écologie a diabolisé le nucléaire, l’ingénierie, l’aviation…

Le phénomène semble mondialisé. Peut-on supposer un facteur génétique ?

Laurent Alexandre : Il y a trois hypothèses. Soit, les asiatiques travaillent davantage. Soit, ils ont un meilleur patrimoine génétique. Soit, ils ont une culture qui pousse davantage à l’excellence. Aucune de ces explications n’est politiquement correcte. Cela revient à dire que les cultures ne sont égales face à l’école ou que certaines communautés sont moins courageuses ou bien encore ont de moins bonnes caractéristiques génétiques. Personnellement, je pense que quel que soit la cause de ces disparités il est nécessaire de les combattre. Cat derrière ces inégalités cognitives, il y a de grandes inégalités sociales : les polytechniciens gagnent mieux leur vie que les Bac moins 3. Cette supériorité intellectuelle des Asiatiques pose des problèmes politiques aux USA.

Les « Asian American » -les Américains d'origine asiatique- sont 14,7 millions soit 4,8 % de la population américaine. Dès 2014, la célèbre université de Harvard a été attaquée en justice par une organisation d'étudiants asiatiques, « Students for fair admissions », pour ses préférences accordées aux candidats de blancs, noirs et hispaniques, aux dépens d'étudiants asiatiques plus méritants : en raison de cette politique, les Asiatiques représentaient seulement 19% des étudiants admis, alors qu'ils atteindraient 43% sur les seuls critères intellectuels et académiques. Soit quasiment dix fois leur poids démographique ! 64 organisations asiatiques américaines reprochent désormais à Harvard et à d’autres prestigieuses universités de la Ivy League, de fixer des critères d’admission plus élevés pour leur communauté, via une discrimination inversée. À New York, le très prestigieux lycée Stuyvesant, qui sélectionne exclusivement sur test et ne pratique aucune discrimination en faveur des autres groupes ethniques, est ainsi asiatique à 72 %. Le sociologue Thomas Espenshade, de Princeton, a montré en 2009 que pour être accepté dans les meilleures universités, les Asiatiques devaient en moyenne obtenir (sur un total de 2 400 points) 140 points de plus que les étudiants blancs, 270 points de plus que les « hispaniques » et 450 points de plus que les « afro-américains » aux tests intellectuels SAT. La politique de discrimination positive a été pensée pendant les années 1960 pour aider les minorités raciales défavorisées. Elle affronte aujourd’hui une grave crise : les associations asiatiques sont convaincues que la politique de discrimination positive construite par les blancs pour aider les hispaniques et les noirs est devenue un instrument pour réduire la place des Asiatiques.

Aux Etats-Unis, les différences économiques entre communautés deviennent gigantesques. Les statistiques gouvernementales montrent que les familles Asiatiques gagnent 81.431 dollars par an contre 65.041 pour les « Blancs », 47.675 pour les « Hispaniques » et 39.490 dollars pour les « Noirs » (US Census Bureau, Current Population Survey). Les Asiatiques gagnent donc 2,06 fois plus que les noirs et nettement plus que les blancs.

Certains généticiens réputés jettent de l’huile sur le feu et implorent l’opinion de rouvrir un autre débat miné : le lien entre notre race, notre ADN et nos caractéristiques y compris intellectuelles. Dans le New York Times du 23 mars 2018, David Reich – généticien de réputation internationale à Harvard–  a défendu l’idée que nier les différences interraciales sera contre­productif et renforcera le racisme : « En tant que généticien, je sais aussi qu’il n’est (...) plus possible d’ignorer les différences génétiques moyennes entre les “races”. Il sera impossible – en fait, antiscientifique, stupide et absurde – de nier ces différences. » Je ne suis pas d’accord avec David Reich. J’ai expliqué dans « Le Monde » que je n’étais pas favorable à l’ouverture de ce débat.

En revanche, je suis favorable à une lutte déterminées contre les inégalités entre communautés.

La France connaît sans aucun doute également de grandes disparités d’accès aux grandes écoles et de revenus, mais l’interdiction des statistiques ethniques ne permet pas de les mesurer et d’y remédier : les sociologues et politiciens peuvent dormir sur leurs deux oreilles, ils ne seront jamais perturbés par les criantes inégalités intercommunautaires ! Personnellement, je suis favorable aux inégalités positives pour diminuer les écarts intercommunautaires et donc aux statistiques ethniques pour les monitorer.  Nous refusons de regarder en face les différences socio-économiques inter-communautaires. En croyant être bienveillants, nous nous empêchons en réalité de combattre les inégalités entre communautés.

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