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2019, ce grand cru sur le front des découvertes archéologiques
©ABDELHAK SENNA / AFP

Bilan 2019

L’année 2019 a été riche en découvertes et en publications dans le domaine de la paléoanthropologie. Certaines découvertes sont le résultat d'années, sinon de décennies, de recherches concertées de la part d'experts. D'autres sont le fruit du hasard.

Antoine Balzeau

Antoine Balzeau

 Chercheur CNRS au Muséum national d'Histoire naturelle, et travaille au Musée de l'Homme.

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Atlantico : Quelles ont été les découvertes les plus révolutionnaires ou les plus fascinantes dans le domaine de la préhistoire ou de la paléoanthropologie en 2019 ?

Antoine Balzeau : 

  • "Des fouilles dans une grotte de l’île de Luçon ont permis de mettre la main sur des os de pied et de main et des dents vieux d'au moins 50 000 ans, ayant appartenu à trois individus d'une espèce humaine de petite taille et contemporains d'Homo sapiens". ARTICLE DE LIBERATION – avril 2019

Une découverte importante en paléoanthropologie c’est les fossiles de Luçon sur l’île de Luçon aux Philippines. Cela a amené à créer une nouvelle espèce « Homo luzonensis ». C’est une nouvelle espèce qui est justifiée. Il y a des restes humains qui sont différents de ce que l’on connaît. C’est vraiment quelque chose de particulier. C’est une humanité très récente. Les fossiles ont autour de 60.000 ans et sont donc différents des espèces contemporaines en particulier d’Homo sapiens. C’est une nouvelle forme miniature d’espèce humaine, un peu comme dans le cadre de l’homme de Florès. Là nous avons un nouvel homme qui lui aussi est petit. On ne sait pas tout de lui. Il n’y a qu’un petit nombre de restes qui ont été trouvés (des dents, deux, trois bouts d’os, un bout de mâchoire, une phalange), mais ça permet quand même de se rendre compte que c’était un homme de petite taille. Cela va dans le sens que des hommes dans des environnements très restreints se sont transformés pour s’adapter à leur environnement et ont subi ce que l’on appelle le nanisme insulaire. Il s’agissait là de la « nouvelle espèce de l’année ». Différents chercheurs du monde entier ont travaillé sur ce dossier dont des chercheurs français, le premier auteur est Français.    

  • Les Dénisoviens ont atteint les sommets du plateau tibétain

"Une mâchoire de Dénisovien vieille d’au moins 160 000 ans, découverte par Jean-Jacques Hublin (Institut Max Planck et Collège de France) dans une grotte du plateau tibétain, apporte la preuve que cet hominidé s’est adapté à la haute altitude bien avant l’arrivée d’Homo sapiens". ARTICLE DE LA CROIX – mai 2019

Grâce aux analyses par ZooMS, on a réussi à identifier une mandibule de nisovienne qui vient du plateau tibétain, qui vient d’une assez haute altitude.  Les Dénisoviens c’est une espèce qui jusque-là était connue uniquement à partir de leur patrimoine génétique. Là, sur cette mandibule découverte, ils ont réussi à identifier des protéines. Le ZooMS permet d’étudier ça les protéines. Ils arrivent à reconnaître des caractéristiques différentes entre sapiens entre Néandertal et puis maintenant Dénisova. Ils sont capables juste à partir d’une protéine trouvée dans les os de dire à quelle espèce c’était. Il s’agit-là d’une avancée importante car techniquement, même à une époque il n’y avait plus d’ADN, 160.000 ans, cette mandibule-là ils n’ont pas trouvé d’ADN, on peut quand même utiliser les protéines à l’intérieur des fossiles qui se conservent mieux et plus longtemps pour identifier. Cela permettait de donner une image aux Dénisoviens. Pour le moment, les Dénisoviens c’était quelques dents et des bouts d’os trouvés dans la grotte de Denisova. On ne savait pas trop à quoi cela ressemblait. Là il y a une mandibule. C’est un peu plus parlant et cela ouvre des perspectives intéressantes justement sur les possibilités d’en reconnaître d’autres maintenant. J’imagine que cela va être leur objectif de l’année 2020 et essayer de faire des analyses des protéines de tous les fossiles asiatiques connus qui ne sont pas très bien, datés, connus, contextualisés ou dont on ne sait pas trop à quelle espèce ils appartiennent pour essayer de voir s’ils ne sont pas des Dénisoviens.

La mandibule a été trouvée en très haute altitude (3.280 mètres). Cela donne une nouvelle indication. Des hommes sont allés sur ces altitudes. Il faut néanmoins un peu relativiser car on ne cherchait pas d’habitude sur des sites aussi hauts. C’est vraiment une découverte faite par hasard il y a longtemps. C’est aussi pour ça que l’on ne trouvait pas. Des zones d’altitude sur terre il y en a beaucoup et qu’on étudie assez peu. Cette année, il y a eu aussi l’annonce d’Homo sapiens assez anciens en Afrique à plus de 3.000 mètres. C’est très intéressant parce que cela montre bien que l’homme est allé partout mais cela montre un peu les limites des recherches. C’est un petit peu comme le long débat qui a existé sur l’East side story, l’Homme est en Afrique de l’Est, c’est là qu’on va trouver tous les hommes… C’est par ce que l’on ne cherchait pas non plus ailleurs. Le jour où l’on a cherché ailleurs, on en a trouvé. Là c’est un peu du même acabit. Cela paraît incroyable et pourtant il y a des hommes qui sont retrouvés.

On s’étonne à chaque fois de la plasticité de l’homme. Quand c’est Homo sapiens, c’est déjà une surprise mais quand c’est une espèce plus ancienne, c’est encore plus étonnant. Ils ont vécu dans une telle diversité de milieu que de les trouver en altitude c’est une belle découverte mais cela montre que l’on a surement plein de sites à aller découvrir en altitude.

  • La plus ancienne scène de chasse découverte dans une grotte en Indonésie

"Des archéologues ont découvert des peintures rupestres âgées de 44.000 ans, représentant des créatures mi-humaines mi-animales chassant des bêtes sauvages, sur l'île indonésienne de Sulawesi". Lien vers l’article de Futura Sciences, décembre 2019.

Ce sont des scènes qui sont intéressantes. Ce qui est nouveau c’est le fait de pouvoir dater cela. On a aussi énormément progressé dans ces méthodes de datation. Il existait une vision assez européano-centrée de l’histoire de l’Homme. On disait que l’art et les comportements complexes apparaissaient en Europe. C’est vrai qu’en Europe il y a quelque chose de très particulier. On a ces industries aurignaciennes, gravettiennes, magdaléniennes, ces choses ou des hommes vont se mettre à faire des tâches très complexes que l’on ne retrouve pas ailleurs sur Terre. En Afrique ou en Asie, l’outillage reste moins diversifié. Les Hommes ne s’ennuient pas à faire des outillages très standardisés et pour lesquels aujourd’hui on se rend compte qu’il s’agit plus de choses culturelles que techniques. A certains moments, les hommes ont fait des micros burins, des choses particulières et hyper standardisées. Finalement cela n’avait pas une finalité fonctionnelle incroyable. C’était surtout aussi des choix humains et probablement des choix culturels. On avait cette vision biaisée qui était le culturel nous semble plus complexe en Europe qu’ailleurs, c’est là que les choses se sont faites. Alors que là nous avons des dates de peintures dans des grottes très loin et qui sont plus anciennes que les dates de peinture par exemple des grottes en Europe.

Il y a beaucoup de grottes avec des peintures en Europe ou il y avait des hommes mais c’est aussi parce que justement il y a pas mal de grottes et donc ils y ont peint et donc ce sont les hommes qui ont fait ces outillages si bizarres et si particuliers. Dans plein de régions du monde, il y a beaucoup moins de cavités qui permettent de conserver ces peintures-là. Et donc les rares où l’on arrive à en trouver maintenant par exemple sur cette île en Asie du Sud-Est, on voit bien qu’elles sont aussi anciennes, voire plus anciennes que celles qu’on trouve en Europe.

  • Polémique autour de peintures rupestres annoncées comme néandertaliennes

"Neandertal pouvait-il peindre? Ce vieux débat de la paléoanthropologie connait depuis une année un regain d’intérêt avec la découverte en 2018 de trois peintures rupestres espagnoles datées de 64’800 ans. Un âge où l’homme moderne n’était pas encore présent en Europe. Or plusieurs réponses et critiques ont été publiées depuis par d’autres chercheurs, remettant en cause cette datation. La dernière en date a été publié dans Journal of Human Evolution par une quarantaine d’auteurs. Mais, comme le détaille New Scientist, cette critique fait à son tour l’objet d’une controverse".   ARTICLE DE HEIDI NEWS

Ces datations ont été extrêmement critiquées parce qu’elles remettent en question pas mal de choses. Ce qui est intéressant avec ce travail, c’est que ce sont des dates obtenues dans trois grottes différentes. Cela limite la possibilité de s’être trompé. Ces datations ont permis de montrer qu’il y avait des peintures anciennes mais également que les peintures réalisées dans ces grottes avaient été faites à plein d’époques différentes. C’est un raccourci que l’on a souvent. Certaines grottes comme Chauvet ou Lascaux, il y a une unité stylistique. Quand on fait des dates, elles sont assez proches. On suppose que les hommes l’ont fait en très peu de temps. Parfois on arrive à identifier deux ou trois périodes de peinture c’est assez clair. Mais finalement dès qu’on a une grotte qui a des taches ou des choses qui ne ressemblent à rien, on partait du principe que c’était peut être fait en une seule fois. Là sur ces grottes-là en Espagne, à côté de Bilbao, ils ont trouvé des dates complètement dispatchées dans le temps qui montrent qu’ils étaient repassés ou qu’ils mettaient un coup de rouge de temps en temps. Il y a même une forme de main qui est contemporaine des Néandertaliens.   

Le problème de toutes ces discussions sur les techniques, c’est qu’en effet si on date la calcite qui est au-dessus des peintures on ne date pas les peintures mais justement, elles ne peuvent être que plus anciennes que ce que montre la datation. S’il n’y a pas d’Homo sapiens à cette époque-là, il est probable que d’autres hommes l’aient fait.

Plusieurs chercheurs ont estimé que la technique pouvait faire une erreur mais le fait qu’il y aurait le même type d’erreur dans trois grottes différentes rend difficile à imaginer qu’ils se soient trompés dans toutes les grottes. Et même si dans l’absolu les dates ne sont pas très précises, le fait que Néandertal utilise des colorants, on le sait depuis très longtemps puisque l’on trouve énormément de matériaux colorants dans les sites néandertaliens. Il s’agit juste de retrouver les quelques taches laissées sur un mur. Evidemment, on n’est pas capable de dater avec précision le moment où cela a été fait. On n’a pas de représentation extrêmement figurative. On peut toujours discuter de ce qui est de l’art ou pas.  Mais le biais inverse a été pris. Certains ont pris par principe que puisque c’était Néandertal ce n’était pas possible, ce qui n’est finalement pas scientifique comme démarche et complètement réducteur. Ce n’est pas parce que l’on n’a jamais trouvé de taches rouges faites par Néandertal que lorsque l’on en trouve elles n’aient pas pu être faites par lui parce que l’on considère qu’il n’a jamais pu en faire.                            

 Une Vénus de 23 000 ans (et de quatre centimètres) découverte à Amiens

"C'est une trouvaille exceptionnelle dans le quartier Renancourt à Amiens dans la Somme. La statuette, très bien conservée, a été taillée dans un bloc de craie. Il en existe seulement une centaine en Europe". Lien vers l’article de France Inter https://www.franceinter.fr/culture/une-venus-de-23-000-ans-et-de-quatre-centimetres-decouverte-a-amiens

  • Vénus paléolithique découverte près d’Amiens

Lors d’une fouille de l’Inrap, une statuette autour de 23.000 ans, a été retrouvée. Il y a une quinzaine de statuettes dans cet endroit-là. Elles sont assez impressionnantes. C’est de la craie. Elles sont assez stylisées. Et elles ont des formes. C’est une jolie découverte avec un aspect assez artistique. Il y en a beaucoup. Une quinzaine dans le même endroit ce n’est pas fréquent. C’est une découverte récente qui a été effectuée au début du mois de décembre.

Nous avons la chance en France d’être une des rares disciplines qui ne rapporte pas d’argent mais qui a une visibilité importante. Nous avons cette chance en France d’être un pays ou la préhistoire et la paléoanthropologie sont très, très représentées parce que le système universitaire et le CNRS ont permis cela. On est parmi les pays les plus dynamiques sur ces disciplines au monde. On concurrence largement les Américains qui ont des moyens qui sont importants mais un mode de fonctionnement qui est différent. En Allemagne ou en Belgique, des paléoanthropologues, il n’y en a quasiment plus.       

Lorsque l’on fait toutes ces découvertes, que l’on trouve des Vénus, qu’une nouvelle espèce est découverte par des Français, il ne faut pas oublier que c’est possible par ce que l’on a ce dynamisme de ces domaines de recherches en France. Il faut espérer que l’on arrive à le préserver.

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