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La réforme protestante : les christologies de Martin Luther
©Martin Luther par Lucas Cranach l'Ancien / DR / Wikipedia

Bonnes feuilles

Michel Fédou publie "Jésus Christ au fil des siècles" aux éditions du Cerf. Qui est Jésus ? Dieu ? Homme ? Messie ? Sauveur ? Sage ? Ce livre dresse un panorama historique du cheminement des hommes qui cherchent à dire Dieu et récapitule les mille et une représentations de Jésus dans l'histoire. Extrait 2/2.

Michel Fédou

Michel Fédou

Membre de la Compagnie de Jésus, Michel Fédou est professeur de patristique et de théologie dogmatique au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris. Il a publié aux Éditions du Cerf : La voie du Christ (3 vol.).

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Martin Luther (1483-1546), qui était entré en 1505 dans le couvent des Augustins à Erfurt, enseigna par la suite dans la ville de Wittenberg, et c’est là que furent affichées, le 31 octobre 1517, les fameuses thèses sur les indulgences– épisode qui est traditionnellement reconnu comme le point de départ de la Réforme protestante. Nous n’avons pas à retracer ici les péripéties qui entraînèrent la rupture avec le pape de l’époque. Il importe, en revanche, de souligner l’expérience décisive qui marqua Luther dans les années précédant cette rupture: la découverte de la justification par la foi seule, telle qu’elle est formulée dans les épîtres pauliniennes.

«Solus Christus»

Luther ne cesse d’y insister: ce n’est pas par nos propres œuvres que nous pouvons obtenir la «justice», c’est Dieu seul qui nous «justifie» moyennant notre foi. C’est là, écrit-il, «l’article principal de notre doctrine», celui dont dépend le maintien ou la perte de l’Église:

Ce seul article conserve l’Église du Christ; là où cet article est perdu, le Christ ainsi que l’Église sont perdus, et ni la connaissance des doctrines ni l’Esprit ne demeurent. Il est le soleil, le jour, la lumière de l’Église.
C’est toujours de là qu’il faut partir lorsqu’on aborde la pensée de Luther – et donc, entre autres, sa christologie. De fait, la doctrine de la justification «par la foi seule» (solafide) est elle-même, comme l’écrit M. Lienhard, «une certaine manière d’exprimer le “solus Christus”», car «proclamer que Jésus-Christ seul nous sauve, qu’il est notre seule justice devant Dieu, c’est écarter les œuvres propres de l’homme comme possibilité de se justifier devant Dieu». Jésus-Christ est le seul Sauveur, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, la seule tête de l’Église, et il est donc radicalement distinct des saints qui ne sont d’aucune manière source du salut mais qui, eux-mêmes, vivent de la grâce offerte par le Christ. 

Les lignes précédentes laissent déjà entendre combien la christologie est centrale dans la perspective de Luther. Encore faut-il préciser que, pour lui, Jésus-Christ n’est pas d’abord objet de réflexion théologique mais doit être avant tout attesté, proclamé, prêché – et cela à partir de la «seule Écriture» (sola Scriptura). Cette conviction n’empêche pas Luther, comme on le verra, de prendre position sur les questions traditionnelles de la doctrine christologique, et il est lui-même bien informé des controverses du Ve siècle ainsi que des conciles d’Éphèse et de Chalcédoine. Néanmoins, sa préoccupation centrale est de rendre témoignage à Jésus-Christ sur le fondement de l’Écriture, et cela d’une manière telle que l’auditeur de la Parole puisse se laisser atteindre et qu’il confesse en vérité sa foi en l’unique Sauveur. Il est d’ailleurs significatif que, jusqu’à son conflit avec Zwingli (dont nous parlerons plus loin), Luther ait écrit peu de textes doctrinaux sur l’Incarnation ou sur les deux natures du Christ. En revanche, à la faveur de ses commentaires bibliques et de ses prédications, il évoque la vie de Jésus, sa mort et sa résurrection, avec le souci d’en manifester le sens pour la vie des croyants. 

Il serait ainsi possible de présenter, sur la base de ces écrits, et aussi des cantiques composés par Luther au long de son existence, toute une série de méditations sur la venue du Christ et les divers moments de sa vie. Quelques exemples peuvent être retenus, et tout d’abord ces vers d’un cantique sur l’envoi du Fils de Dieu parmi les hommes : 

Alors Dieu dans l’éternité eut pitié de mon extrême misère, 

il se souvint de sa miséricorde, 

il voulut me venir en aide. 

Il tourna vers moi son cœur de père, 

il ne voulait point badiner, 

il livra ce qu’il avait de plus cher. 

Il parla à son Fils bien-aimé: 

Le temps est à présent à la compassion, 

pars, chère couronne de mon cœur, 

et sois pour le pauvre le salut, 

délivre-le de la détresse du péché, 

étouffe pour lui la mort amère, 

et fais-le vivre avec toi […] 

Le Fils obéit à son Père, 

il vint à moi sur terre.

D’autres cantiques chantent la nativité de Jésus:

On trouve à présent dans la crèche

l’unique enfant du Père éternel, 

le bien éternel a revêtu 

notre pauvre chair et notre pauvre sang […] 

Celui que l’univers n’a jamais pu contenir 

repose sur les genoux de Marie, 

il est devenu un tout petit enfant 

lui qui seul maintient toute chose.

Le baptême de Jésus retient particulièrement Luther, en raison de son importance pour le salut; c’est à ce moment, en effet, que commence le ministère de Jésus en faveur de l’humanité:

Christ notre Seigneur vint au Jourdain 

conformément à la volonté de son Père, 

de saint Jean il reçut le baptême, 

pour accomplir son œuvre et son ministère. 

Il voulut pour nous instituer un bain 

pour nous laver du péché 

et noyer la vie amère 

par son propre sang et ses propres plaies. 

Cela signifiait une vie nouvelle.

Bien d’autres textes seraient à citer, par exemple à propos de la prédication de Jésus ou de ses miracles, mais on attirera surtout l’attention sur ce que dit Luther à propos de la croix : le Christ ne s’est pas seulement senti abandonné par le Père, mais il a ressenti la colère du jugement de Dieu. Nous touchons ici une question difficile, qui est liée à toute la conception luthérienne du péché et de la justice divine; nous y reviendrons plus loin en présentant la sotériologie de Luther, mais il importe de relever dès maintenant la radicalité des propos tenus par le Réformateur:

Les coups par lesquels Dieu frappe à cause des péchés, ce n’est pas seulement la peine de mort, mais aussi la crainte et la frayeur d’une conscience troublée qui sent la colère éternelle et se comporte comme si elle était abandonnée éternellement et rejetée de la face de Dieu. 

Le Christ suspendu à la croix n’a pas senti la divinité. Il a souffert comme un pur homme. 

Il a senti dans sa conscience qu’il était maudit de Dieu.

La pensée de Luther est en fait que le Christ, par amour pour nous, s’est identifié au péché des hommes, et que par cette voie même la justice de Dieu nous a été offerte:

Par un admirable échange, nos péchés ne sont plus nôtres, mais ceux du Christ et la justice n’est plus sienne, mais nôtre. Car il s’est vidé pour nous revêtir nous-mêmes et nous emplir. Et il nous a remplis pour nous vider de nous-mêmes.

La passion, en tout cas, doit être envisagée avec l’autre face du mystère pascal qu’est la résurrection. Cela mérite d’être souligné: contrairement à ce que l’on a souvent retenu par la suite, Luther ne met pas seulement l’accent sur la croix mais insiste sur l’importance centrale de Pâques:

L’article de la résurrection est le plus éminent. C’est sur lui que repose en dernière instance notre salut et notre béatitude. Sans lui les autres [articles] seraient vains et sans fruit. 

La puissance la plus grande se trouve dans cet article. Car s’il n’y avait pas eu de résurrection, nous n’aurions acquis ni réconfort ni espérance, et tout ce que le Christ a accompli et souffert par ailleurs aurait été vain.

Mais on voit bien que, là encore, la résurrection est elle-même pensée en rapport avec le salut: c’est pour nous que le Christ a remporté la victoire sur les puissances de la mort. Ainsi, depuis la nativité jusqu’à l’événement pascal, la préoccupation de Luther est toujours de présenter Jésus-Christ comme «seul Sauveur». Il faut donc s’arrêter plus directement sur cette orientation d’abord sotériologique de la pensée luthérienne.

Extrait du livre de Michel Fédou, "Jésus-Christ au fil des siècles", publié aux éditions du Cerf

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