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Les Pays-Bas sont-ils devenus un narco-Etat ?
©Robin van Lonkhuijsen / ANP / AFP

Cartels dans les champs de tulipe

59% des néerlandais croient désormais que l'économie de leur pays dépendrait de celle de la drogue, de par ses lois permissives et sa proximité avec des marchés lucratifs, en attirant les contrebandiers de toute la planète.

Stéphane Quéré

Stéphane Quéré

Diplômé de l'Institut de Criminologie et d'Analyse en Menaces Criminelles Contemporaines à Paris II, Master II "Sécurité Intérieure" - Université de Nice. Animateur du site spécialisé crimorg.com. Derniers livres parus : "La 'Ndrangheta" et "Planète mafia" à La Manufacture de Livre / "La Peau de l'Ours" (avec Sylvain Auffret, sur le trafic d'animaux, aux Editions du Nouveau Monde)

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L'assassinat de Derk Wiersum révèle une réalité sombre de la capitale néerlandaise. Cet avocat de 44 ans, père de deux enfants, protégeait alors un témoin lié à la Couronne. Son meurtre, commis en plein jour devant sa femme, dans un quartier tranquille d'Amsterdam, a été perçu comme une atteinte des cartels à la société civile. 59% des néerlandais croient désormais que l'économie de leur pays dépendrait de celle de la drogue, de par ses lois permissives et sa proximité avec des marchés lucratifs, en attirant les contrebandiers de toute la planète. Corruption dans les docks, menaces contre les avocats et violences contre les journalistes, sans parler des meurtres, deviennent notoires depuis quelques années.

Atlantico : Que révèle cet attentat de la présence des « cartels » de la drogue aux Pays-Bas ?

Stéphane Quéré : A ma connaissance c'était la première fois qu'un avocat était abattu aux Pays-Bas. Le pays est "habitué" aux règlements de comptes touchant les criminels ; il y avait même eu des intimidations contre des maires qui s'opposaient notamment au commerce (illégal mais aussi légal...) du cannabis dans leurs communes. Jamais un meurtre n'avait touché un membre si important de la société civile.

D'autres avocats ont déjà été assassinés ces dernières années en Grèce, en Afrique du Sud, en Serbie, en Australie, en Albanie,... et en Corse ! Les attaques venaient toujours du crime organisé, sans que l'on sache vraiment s'il s'agissait de règlements de comptes ou d'attaques contre le système judiciaire dans son ensemble. Pour le cas de Wiersum, c'est plus clair : il s'agissait d'un meurtre ciblant indirectement un "collaborateur de justice" (on dirait repenti en Italie...), dont Wiersum assurait la défense. Plus largement, il s'agit d'une attaque contre le système judiciaire et une mise en garde contre ceux qui seraient tenté de collaborer. En 2018, le frère du témoin avait également été tué et plusieurs membres de sa famille ont été rapidement relogés et mis sous protection.

Ce témoin a révélé des nombreuses informations concernant le principal caïd de la pègre néerlandaise (plus exactement de la "mocro-maffia", le nom donné à la pègre composée principalement de personnes d'origine marocaine) : Ridouan Taghi, impliqué dans le trafic de stupéfiants et plusieurs affaires de règlements de comptes, notamment aux Pays-Bas, en Belgique et au Maroc. Taghi a récemment été arrêté à Dubaï et il est désormais incarcéré aux Pays-Bas. Son procès sera sans doute un moment clé dans la lutte contre le crime organisé aux Pays-Bas.

Peut-on alors parler de « narco-Etat » ?

Difficile de parler de "narco-État" pour les Pays-Bas. On a pu utiliser cette expression pour des pays comme le Panama alors dirigé par le Général Noriega, aux ordres des cartels colombiens, du Surinam de Desi Bouterse (protégeant les cargaisons de cocaïne à destination des États-Unis ou de l'Europe, justement notamment vers les Pays-Bas, dont le Surinam est une ancienne colonie), ou de la Guinée-Équatoriale dont la corruption jusqu'aux plus hautes sphères de l'État a facilité l'implantation des cartels sud-américain, ou encore du Kosovo, où les liens ne sont plus à démontrer entre la mafia albanophone et l'UCK, la guérilla indépendantiste. Non les Pays-Bas sont un pays solide, au coeur de l'Europe, avec un système non corrompu et des dirigeants politiques globalement (restons prudents...) honnêtes. Mais ce pays est clairement "sous tension" du fait de la forte présence du crime organisé sur son sol (la mocro-mafia, la pègre traditionnelle, les gangs de motards, les mafias turques, chinoises, italiennes, albanaises ou russes...). Cela s'explique par une politique disons laxiste en matière de drogues dites douce qui a attiré et fait prospérer de nombreux criminels (ou des hippies rêveurs qui se sont tranformés en d'impitoyables criminels capitalistes) dès les années 1970. Mais le plus évident est bien sur la place stratégique des ports de cette partie centrale de l'Europe : en premier lieu Rotterdam aux Pays-Bas ou Anvers en Belgique et, dans une moindre mesure mais en développement, les ports allemands et celui du Havre, en France. Les Pays-Bas "bénéficient" aussi de la présence de leurs territoires aux Antilles (Antilles néerlandaises) ou de leur ancienne colonie de la Guyane Hollandaise, le Surinam, zone de transit de la cocaïne, tout comme la Guyane française pour la France...

Tout cela fait de la zone Pays-Bas+Flandres belges un "narco-Hub" européen : production d'herbe de cannabis (avec une exportation de la technique, notamment en Espagne), importation de résine de cannabis (grâce aux criminels de la "mocro-maffia" profitant de la forte communauté immigrée marocaine du pays), production de drogues  de synthèse (aux Pays-Bas et en Belgique, avec des risques environnementaux forts), importation d'héroïne (du fait de la présence de la mafia turque),... Tout cela entraîne une infiltration dans l'économie légale ou dans le sport, avec une pression sur les médias : attaque à la roquette contre l'hebdomadaire Panorama, voiture bélier projetée puis incendiée contre le siège du journal "De Telegraaf", les deux affaires en juin 2018.

Les thuriféraires du cannabis ont toujours défendu la thèse assurant que la légalisation entrainerait la fin des trafics baisserai la criminalité : peut-on dire que les faits démentent leur thèse ? Observe-t-on des effets similaires dans d’autres états ayant légalisés la consommation de drogues « douces ?

Précisions d'abord que le cannabis (sous toutes ses formes : herbe, résine ou huile) n'est pas "légalisé" mais réglementé aux Pays-Bas. Les coffee-shops qui peuvent en vendre doivent obtenir une licence spéciale et la possession est tolérée jusqu'à quelques grammes. La consommation est légale mais la également réglementée, notamment pour protéger les mineurs. Certains maires, conscients des excès de cette règlementation, tentent de prendre des arrêtés pour limiter au maximum cette politique, notamment la venue de "touristes de la drogue" étrangers, souvent fauteurs de troubles et parfois acheteurs d'autres produits (cocaïne, amphétamines,...). Dans les faits, on peut constater que la criminalité n'a pas disparu aux Pays-Bas, malgré cette tolérance. Même chose dans le Danemark voisin où depuis 1971 où la vente de cannabis est toléré dans le quartier de Christiania de Copenhague, une cité autogérée regroupant un millier d’habitants sur 34 hectares mais où l'influence du gang criminel des Hells Angels est désormais prépondérante, au grand dam des "hippies" historiques du quartier...

Le 17 octobre 2018, le Canada a légalisé le cannabis récréatif, une légalisation trop récente pour en tirer des enseignements définitifs. Mais le marché noir garde encore une part importante du marché, peut être dû aux difficultés d'approvisionnement des commerces légaux et à la mauvaise qualité des produits proposés. Mais au fil de cette année de légalisation, cette part s'est progressivement réduite. On a constaté une augmentation de la consommation mais on ignore encore s'il s'agit d'une tendance de fonds ou d'un phénomène de "essayer pour voir" de fumer une substance autrefois illégale. Dans les États américains où la consommation de cannabis a été légalisée, des études relèvent que la consommation reste stable, sauf la "consommation problématique" (accoutumance accrue, tentatives de contrôler ou d'arrêter, abandon d'autres activités "sociales",...), notamment chez les jeunes. Les policiers appellent également à une meilleure vigilance sur les sociétés proposant légalement du cannabis : leur actionnariat est parfois dissimulé par des montages financiers dans les paradis fiscaux et certaines sociétés seraient en lien avec des personnes identifiées comme proches des Hells Angels ou de la Mafia.

Plus largement, les organisations criminelles diversifient leurs offres de cannabis en proposant un packaging "sympa" mais aussi des produits au taux de THC (la principale puissance active du cannabis) plus fort (la moyenne européenne est entre 9 et 12% pour l'herbe et entre 14 à 21% pour la résine, en progression constante chaque année...).

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