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Ces passeports maltais devenus le Graal des super-riches de la planète
©STRINGER / AFP

Daphne Caruana Galizia

Depuis 2013, l’île de Malte permettrait à de riches étrangers d’acheter un passeport maltais en échange d'un peu plus de un million d’euros. Ce dispositif controversé fait planer des soupçons de corruption. La journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, assassinée en octobre 2017, avait tenté d'en dénoncer les failles.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Depuis quelques semaines Malte est au cœur d'un scandale politique. En cause ? L'implication de son Premier ministre Joseph Muscat dans l'assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia. A cela vient de s'ajouter une nouvelle affaire : celle de l'achat de passeports maltais par de grosses fortunes étrangères. 

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cet achat ? Pourquoi les fortunés achètent-ils des passeports maltais en particulier ?

Christophe Bouillaud : En fait c’est une pratique qui s’est développé dans le monde entier depuis quelques années : au nom de l’attractivité d’un pays auprès des investisseurs, supposés créer de la richesse et de l’activité  par leur présence, ce dernier garantit à un investisseur disposé à mettre tout ou partie de son argent dans des investissements faits dans le pays, soit un statut légal de résident dans le pays, soit la nationalité de ce pays. En quelque sorte, au nom de la croissance économique et de l’emploi des locaux,  les investisseurs « achètent » leur droit de résidence, ou bien même leur nationalité. On parle de « golden visa » (visas dorés) pour désigner cette pratique, où la nationalité devient un pur attribut vendu sur un  « marché ». Cette évolution traduit le fait désormais bien connu qu’un passeport ne donne évidemment pas le même droit de circuler entre les pays du monde, des firmes de consultants calculent d’ailleurs la valeur en terme de mobilité de telle ou telle nationalité (un passeport sud-soudanais ne vaut pas d’évidence de ce point de vue un passeport suisse) : des investisseurs peuvent ainsi être intéressés par un passeport d’un pays européen, parce qu’il permet de se déplacer facilement dans la plupart des pays du monde, et parce que certains passeports peuvent offrir en plus une protection consulaire ou autre à son porteur plus grande que d’autres nationalités.

Poussé par les diverses informations que ces « passeports dorés » servaient aussi à assurer la mobilité des délinquants financiers ou de membres d’organisations criminelles entre les pays, la Commission européenne a publié le 23 janvier 2019 un premier rapport sur ce sujet (Investor Citizenship and Residence Schemes in the European Union).  Elle y pointe le fait que pas moins de 20 Etats de l’Union – dont la France - ont de tels dispositifs. La résidence dans un pays de l’Union permet ensuite de voyager librement au sein de cette dernière et dans des pays tiers liés à celle-ci par des accords, et, à terme, d’acquérir la nationalité du pays concerné. Cependant, seuls trois Etats (la Bulgarie, Chypre et Malte) vont aussi jusqu’à donner directement leur nationalité, et donc celle de l’Union européenne, à des investisseurs. La Commission européenne insiste sur la faille de sécurité que cela représente pour l’espace Schengen, la lutte anti-corruption, la lutte contre la fraude fiscale, les dispositifs anti-blanchiment, et sur le fait que cela permet éventuellement de circonvenir les règles européennes en matière d’immigration. Les « fortunés », pour reprendre votre terme, qui souhaitent ainsi s’acheter un passeport de complaisance, le font donc pour une bonne part d’entre eux pour des motifs que la morale réprouve. 

A la lecture de ce rapport, il est facile de comprendre que Malte fait partie des pays membres qui devraient réviser leurs pratiques. C’est dit de manière fort bureaucratique en parlant d’un certain manque de transparence, mais cela désigne bien cet Etat comme l’un de ceux qui abusent de cette pratique. 

Y a-t-il un risque pour l'Union européenne ? 

La Commission pointe à juste titre les risques en matière de sécurité. Même si elle reconnait que chaque Etat membre reste entièrement libre d’accorder sa propre nationalité à qui elle le juge digne de l’avoir et même si elle ne met pas en cause du tout l’accueil d’investisseurs étrangers, elle pointe le fait que certaines procédures, dont celle de Malte, sont en dessous des critères de sécurité requis et qu’elles ignorent totalement l’idée même de lien physique avec le pays de la nouvelle nationalité. Cette dématérialisation de la nationalité ne correspond sans doute pas à l’idée ordinaire de la nationalité en Europe. De fait, pourquoi en tant que citoyen français, que je sois né français ou que je sois nationalisé après un long parcours de résidence en France,  reconnaitrai-je alors comme mon concitoyen européen un néo-maltais d’origine kazakhe ayant pour seule vertu par rapport aux autres citoyens du Kazakhstan d’avoir versé sa dime de 650.000 euros au Fonds d’investissement maltais, d’avoir investi au minimum 150000  euros, et de posséder à Malte un bien immobilier de 350.000 euros minimum ?  Cela ressemble fort aux indulgences de l’Eglise catholique permettant de passer de l’enfer au paradis qui indignèrent tant Luther en son temps. Cela met en question une valeur qui fonde l’Union européenne : les communautés nationales qu’il faut respecter.

De plus, à force d’avoir quelques pays membres qui font commerce de leur nationalité à des personnes éventuellement peu recommandables aux yeux de la morale commune des nations, c’est toute la valeur d’un Passeport européen, dont le passeport français bien sûr, qui va diminuer. Les autres pays vont se méfier de tous les porteurs d’un tel passeport. 

Comment y remédier ? Les autres pays de l'UE peuvent-ils s'opposer à cette démarche ?

La Commission européenne rappelle à juste titre que chaque Etat est libre d’accorder sa nationalité à qui bon lui chaut. Ni l’Union ni un autre pays membre  de l’Union ne peut forcer un Etat membre à changer ses règles en la matière. 

Cependant, le fait d’accorder la résidence dans un pays européen dépend largement de règles communautarisées. Pour prendre un simple exemple, au nom de la lutte contre le terrorisme, il est bien évident que tous les Etats européens doivent déjà s’interroger sérieusement avant de donner un permis de résidence à quelqu’un venant d’un pays tiers sur leur territoire. Malte exclut d’ailleurs, prudemment, selon le rapport de la Commission, les Afghans, les Iraniens et les Coréens du nord  de la possibilité d’obtenir sa propre nationalité via un investissement. L’angle de la sécurité permet en réalité de demander aux Etats membres laxiste en la matière de renforcer leurs procédures. Dans le cadre de la négociation permanente entre Etats membres, cela veut dire qu’un jour ou l’autre, un Etat « laxiste » devra céder aux injonctions de ses partenaires, parce que ces derniers feront pression sur lui par ailleurs. Malte, surtout avec l’implication probable de son propre Premier Ministre dans l’assassinat d’une journaliste, devra obligatoirement montrer de la bonne volonté à ses partenaires.

Sur le fond, la solution consiste en deux aspects. Il faut à revenir, d’une part, à la définition raisonnable, commune à tous les Etats européens, issue de l’histoire longue, de la nationalité : une nationalité ne peut donc pas en aucun cas se vendre, elle s’hérite, ou elle se mérite pour des motifs substantiels de service rendu au pays d’accueil, elle suppose aussi un lien effectif avec la communauté nationale d’accueil. Il faut offrir, d’autre part, aux Etats tentés par ces pratiques un modèle de développement économique différent : faire commerce de sa seule souveraineté  -ou plus exactement des abus de cette dernière - ne doit pas être un modèle de développement au sein de l’Union européenne.  

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