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Mais qu’est ce qui fera marcher (ou pas) les Français le 5 décembre ?
©REUTERS/Benoit Tessier

Mobilisation sociale

D'après une récente étude de BVA, une majorité de Français considèrent que le Président agit au jour le jour. Une absence de lisibilité qui, maximisant les mécontentements, l’angoisse et l’inquiétude, pourrait conduire à une mobilisation importante le 5 décembre prochain.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Atlantico : Une étude de BVA montre qu'une majorité de Français estime qu'Emmanuel Macron agit au jour le jour. Dans quelle mesure les mobilisations massives du 5 décembre illustrent-elle un mécontentent lié à l'absence de représentation politique satisfaisante ?

Bruno Cautres : nquête de BVA est un baromètre mensuel de la popularité de l’exécutif. Depuis le mois d’octobre cette enquête comporte deux indicateurs d’opinion sur l’Acte II du mandat d’Emmanuel Macron. Il est tout d’abord demandé aux Français leur opinion sur la manière dont Emmanuel Macron aborde la seconde partie de son quinquennat : en novembre, 38% déclarent qu’il « sait là où il va » et 61% déclarent qu’il « agit au jour le jour ». Les deux seules catégories de l’électorat pour lesquelles le pourcentage de ceux qui déclarent qu’Emmanuel Macron « sait où il va » sont les cadres et les sympathisants de LaREM. Chez les ouvriers et employés, les sympathisants LR le pourcentage de ceux qui déclarent qu’il « agit au jour le jour » approche 70% et chez les sympathisants RN il approche 80%. La seconde question posée aux Français concerne leur opinion sur les résultats de l’exécutif vis-à-vis de son objectif de réforme du pays : en novembre, 14% déclarent que l’exécutif y travaille et obtient déjà des résultats, 29% qu’il y travaille et obtiendra des résultats d’ici la fin du quinquennat et 57% qu’il n’obtiendra pas de résultats d’ici la fin du quinquennat. A nouveau c’est au sein des catégories populaires que le doute est le plus fort sur les résultats du programme de réformes, mais aussi chez les 50-64 ans, les sympathisants de la LFI et du RN.

Le doute sur la capacité réformatrice de l’exécutif s’est donc installé, mais plus particulièrement au sein de certains électorats. On voit que l’on a une mosaïque sociale et politique d’électorats qui expriment ces doutes, mais avec des catégories plus encore que d’autres dans le doute. On sait par ailleurs que dans plusieurs secteurs professionnels, la mobilisation pour le 5 décembre est partie de la base. Il y a donc à la fois une sorte de « front uni » de catégories différentes, mais avec des points de ressemblance (les catégories populaires, les oppositions les plus radicales) et des différences dans les motivations de la mobilisation.  En termes d’absence de représentation politique satisfaisante, il faut aussi dire que cette mobilisation arrive à un moment donné où la popularité d’Emmanuel Macron est à nouveau en légère baisse, avec un phénomène de progressive érosion, y compris de son socle électoral.

Maxime Tandonnet : Cette mobilisation correspond à un climat général de mécontentement. « En ce moment notre pays, je trouve, est trop négatif » a reconnu le chef de l’Etat lui-même devant les étudiants à Amiens. Ce propos est particulièrement révélateur d’un état de révolte qui fermente. Le niveau de confiance dans le pouvoir politique est au plus bas. 28% selon Elabe le 7 novembre et encore plus faible pour le Premier ministre (26%). 

De fait, l’actuel mandat présidentiel marque l’apothéose d’une dérive de la vie politique française qui remonte à l’adoption du quinquennat. Un président de la République devrait en principe personnifier l’autorité, la permanence des institutions, l’unité nationale. Or bien au contraire, par sa posture quotidienne, il incarne en fait les soubresauts de l’actualité jour après jour : Whirlpool, les étudiants, la lutte contre la pédo-criminalité, les retraites, la chasse, les violences conjugales, la banlieue, l’Amazonie, l’immigration, la laïcité, etc.

Sa présence médiatique permanente, sa parole intarissable, produisent une violente accélération de l’usure du pouvoir. La profusion des mots et des apparitions est perçue comme le voile d’une déconnexion des réalités et du renoncement à traiter les problèmes de fond. Et puis, à travers cette débauche de communication, il donne lieu au soupçon de préparer avant tout sa réélection. Le plus étrange est qu’il ne paraisse pas avoir conscience de cet effet délétère. Or, une réforme difficile, contre les syndicats, ne peut réussir qu’avec l’appui de l’opinion publique. La crise de confiance actuelle ne se prête pas à une épreuve de force.

Un peu moins de la majorité des Français est opposée aux régimes spéciaux des retraites (sondage Ifop); pour autant, ils seront nombreux à soutenir la manifestation du 5 décembre. Il y a donc véritablement un mouvement de fond. Par quoi est-il alimenté ?

Bruno Cautres :  Il s’agit d’un phénomène d’opinion assez complexe. On peut être en faveur d’une réforme des retraites sur certains aspects mais pas tous. On peut aussi être opposé aux régimes spéciaux, tout en reconnaissant que certains métiers méritent un traitement à part en matière de retraite. Mais surtout, derrière la réforme des retraites, se pose la question de l’ampleur des réformes que le gouvernement souhaite mettre en œuvre sur d’autres dossiers ou qu’il a déjà mise en œuvre : l’enchaînement réforme des retraites, réformes de l’indemnisation chômage, cela commence à inquiéter des milieux et des catégories de Français différentes mais nombreuses. L’inquiétude sociale est forte dans le pays et il ne suffit pas d’en appeler à arrêter les « pleurnicheries » comme l’a dit Richard Ferrand hier au JDD. Les inégalités sociales sont réelles.

Au fond, Emmanuel Macron propose aux Français de redéfinir le sens des mots « justice » et « égalité ». Certes, mais les inégalités sociales de « l’ancien monde » sont là et celles du « nouveau monde » s’annoncent aussi. Il y aura des perdants de la réforme des retraites et ces perdants n’étaient pas des « privilégiés ». Prenons l’exemple de nombreuses catégories de fonctionnaires, notamment les fonctionnaires à bon niveau de qualification et qui n’ont pas les débuts de carrière (en termes de rémunération) en phase avec leurs qualifications.

Maxime Tandonnet : Il est alimenté par un climat de défiance généralisé envers l’autorité politique nationale. Nous vivons dans un pays fragmenté comme le montre l’ouvrage de Jérôme Fourquet, l’Archipel français. Cependant, en ce moment, un sentiment de révolte, venu d’horizons multiples, semble prêt à transcender ces clivages et à embraser le pays : hôpital, cheminots, France profonde des ronds-points (gilets jaunes), étudiants et scolaires, syndicats, cités de banlieues. Le point commun de tous ces mouvements est la crise de l’autorité politique. 

Cela ne se limite pas à un mouvement de protestation contre l’actuel gouvernement. Le sentiment qui prévaut dans le pays est celui d’une carence de la démocratie. Une partie de la population ne croit plus en la possibilité de changer le destin du pays par la voie des urnes. 87% des Français pensent que les politiques ne tiennent aucun compte de leur avis (cevipof). Le taux d’abstention, lors des dernières législatives en juin 2017, a dépassé les 50% ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire. Aucune possibilité d’alternance crédible au pouvoir d’En Marche n’émerge aujourd’hui. Dès lors que la colère ne peut plus s’exprimer par les urnes ou à l’Assemblée, elle s’exprime par la grève, les manifestations et les émeutes violentes. 

Les mobilisations des Français sont différentes selon leur orientation politique. Comment expliquer que ce mouvement n'ait pas transcendé les logiques partisanes ?

Bruno Cautres : Tout d’abord nous n’en savons encore rien, il faut attendre de voir les dynamiques de mobilisation ou leur absence. Les mobilisations sont différemment soutenues selon les électorats, c’est vrai. Et la participation aux manifestations aussi. La thématique de la « convergence des luttes » est une drôle de thématique ; elle est très souvent évoquée par différents points de vue ayant des analyses opposées : pour certains, elle est un espoir d’une grande mobilisation qui fédère des intérêts différents ; pour d’autres, cette thématique est évoquée pour souligner qu’elle n’aura jamais lieu.

En fait, il ne faut tomber dans aucun de ces deux clichés. On peut avoir dans la rue des personnes réunies sur des objectifs en partie commun et en partie différents. Une mobilisation politique est une dynamique, un processus, rien n’est joué d’avance. Tous les acteurs politiques jouent de cette situation et de ces ambiguïtés et tout le monde joue à se faire peur avec « la convergence des luttes » ou son impossible réalité. Il n’empêche que les motivations de cette mobilisation du 5 décembre sont fortes et traduisent d’importants problèmes du pays.  L'ampleur des fractures sociales et territoriales est inquiétante, une fracture béante entre des parties du pays et d'autres est en train de s'affirmer.

Le pays a traversé une immense crise sociale et démocratique l'hiver dernier, les tensions sociales sont fortes, la réalité des inégalités dans le partage du gâteau est bien là. Nous n'en sommes peut-être qu'au tout début d'un processus de recomposition politique dont les effets ne seront peut-être apparents que dans quelques années. 

Maxime Tandonnet : Ce mouvement multiforme qui s’esquisse traduit aussi la fracture démocratique opposant une minorité urbaine des catégories socio-professionnelles élevées, à l’aise dans la modernité et la mondialisation, et la « France périphérique » de tous ceux qui se sentent exclus à un titre ou à un autre. Les premiers peuvent s’identifier aux courants politiques soucieux de leur respectabilité, République en Marche et les Républicains qui, se voulant « partis de gouvernement » rejettent ou prennent leur distance avec la protestation en cours. Les seconds se retrouvent nombreux dans les courants protestataires qui appuient les mouvements sociaux en cours même au risque de la démagogie : lepénisme et gauche radicale. 

Mais attention, le spectre d’un mouvement comparable à celui de novembre/décembre 1995 se profile dangereusement. Le détonateur est le même : les régimes spéciaux de retraite. La mobilisation syndicale est aussi forte. La menace d’un blocage généralisé du pays, sur une période comparable, la fin de l’année, semble se répéter. 

Les Français n’avaient pas pardonné à leur Premier ministre de l’époque, Alain Juppé d’avoir provoqué le blocage du pays pendant trois semaines, entraînant un véritable enfer pour les usagers des transports publics. Les conséquences politiques avaient été gravissimes : une impopularité vertigineuse, la dissolution de 1997 suivie d’une catastrophe électorale pour l’équipe au pouvoir. Aujourd’hui, le président de la République est personnellement en première ligne aux yeux de l’opinion. Un blocage durable du pays, accompagné de violences et probablement suivi d’une capitulation (comme pour la « taxe carbone »), achèverait de décrédibiliser la seconde partie du mandat et de compromettre ses chances de réélection.

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