Physique quantique : comment la France est en train de perdre l’avance qu’elle avait<!-- --> | Atlantico.fr
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Le prix Nobel de physique Serge Haroche.
Le prix Nobel de physique Serge Haroche.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Gâchis

La France dispose de chercheurs très brillants en physique et mathématiques, mais n'a pas les moyens financiers nécessaires pour passer à l’étape appliquée et industrielle.

Jocelin Morisson

Jocelin Morisson

Jocelin Morisson est journaliste scientifique, auteur et traducteur. Depuis plus de vingt ans, il s’intéresse aux états modifiés de conscience, à la physique quantique et ses implications philosophiques, ainsi qu'aux liens entre science, culture et spiritualité de façon générale. Son dernier ouvrage, co-écrit avec l’ethnobotaniste Romuald Leterrier, s'intitule Se Souvenir du Futur

 

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Atlantico : Alors que le Français Serge Haroche a obtenu un prix Nobel de physique en 2012 pour ses découvertes sur la superposition quantique, la  France reste à la traîne sur le secteur des ordinateurs quantiques. En parallèle Google a annoncé avoir atteint la "suprématie quantique". En quoi est-ce que ces découvertes sont majeures pour l'avenir de l'informatique ?

Jocelin Morisson : L’informatique quantique est une « nouvelle frontière technologique », comme l’a qualifiée le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, lors de sa nomination. C’est une technologie qui repose non plus sur l’utilisation de bits d’information classiques, qui peuvent prendre la valeur de 0 ou de 1, mais sur l’utilisation de qubits, ou bits quantiques, qui peuvent prendre les deux valeurs en même temps, selon le principe de la superposition quantique. Ceci permet de démultiplier la puissance de calcul des ordinateurs, notamment en effectuant des opérations en parallèle. Les difficultés reposent aujourd’hui sur les processus de corrections d’erreurs. La notion de « suprématie quantique » désigne un seuil de puissance d’un ordinateur quantique (en nombre de qubits) au-delà duquel un superordinateur classique n’a plus les capacités techniques de rivaliser. C’est pourquoi Google a affirmé avoir atteint ce niveau avec un calcul effectué en 200 secondes là où un superordinateur aurait besoin de 10 000 ans. Mais cette affirmation tient plus de l’opération de communication car IBM l’a immédiatement contestée en disant que le calcul en question prendrait 2,5 jours à un ordinateur classique  grâce à une technique alternative. D’autres chercheurs estiment également que Google a atteint une étape intermédiaire décisive mais qu’il ne s’agit pas encore de la véritable « suprématie quantique ». Ces questions donnent lieu à des déclarations qui sont à la frontière du scientifique et de la communication économique et financière car les enjeux sont énormes puisque l’intelligence artificielle de demain reposera sur cette puissance de calcul des algorithmes.

Comment expliquer que, malgré son Nobel, la France soit incapable de tenir la cadence par rapport aux multinationales ? Pourquoi ce retard ?

C’est le fossé classique entre la recherche fondamentale et la science appliquée. La France dispose de chercheurs très brillants en physique et mathématiques, notamment, mais passer à l’étape appliquée et industrielle demande des moyens colossaux qu’un Etat ne peut pas avoir en comparaison d’entreprises comme Google, IBM ou Intel. Une structure comme le CNRS offre à ses chercheurs une liberté qui permet la créativité, mais pendant longtemps il était difficile à un chercheur de créer une entreprise (spin-off) à partir de ses découvertes ou de contracter avec des entreprises existantes en vue de développer des concepts démontrés en laboratoire. Des mesures ont permis de faciliter les choses en ce domaine mais le retard accumulé vient de là, et cette recherche publique reste par définition très administrée. La recherche privée effectuée dans les laboratoires des grandes multinationales dispose d’un cadre plus souple et de moyens beaucoup plus grands.

Quelles pistes la France doit-elle explorer pour développer une vraie stratégie d'avenir sur le secteur ? Est-il seulement possible rattraper de ce retard accumulé ? 

En l’absence d’entreprise poids lourd du secteur, la France nomme des secrétaires d’Etat et crée des commissions parlementaires, mais une stratégie d’avenir efficace dans ce domaine ne peut se faire qu’au niveau européen, pour disposer d’une puissance de feu comparable à celles des multinationales américaines. On voit qu’un consortium comme Airbus est devenu capable de rivaliser avec une entreprise comme Boeing. En matière d’informatique quantique, la Commission Européenne a lancé une telle initiative en octobre 2018 (Quantum Flagship), et les chercheurs français comme Serge Haroche ou Alain Aspect jouent un rôle important dans des projets qui associent des acteurs publics comme le CEA et des acteurs privés comme l’entreprise Atos. On note que l’actuel Pdg de cette dernière, Thierry Breton, est candidat au poste de Commissaire européen, et cette « superposition » constante de l’économique et du politique, du privé et du public, est peut-être plus un frein qu’un avantage. L’avenir dira si l’Europe peut revenir dans la course comme elle l’a fait dans l’aéronautique, d’autant que la Chine est également présente dans ce secteur.

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