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Jusqu’à quand une poignée de parlementaires britanniques s’opposera-t-elle à l’inéluctable - le Brexit ?
©Paul ELLIS / AFP

Bras de fer politique

Le Premier ministre Boris Johnson s’est conformé à son obligation légale de demander un nouveau délai aux Européens dans le cadre du Brexit. Il a néanmoins rappelé son hostilité à cette démarche et a réaffirmé son souhait d’un maintien du calendrier prévu.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Frustrant...

Ce devait être un retour à la raison, hier soir, à Westminster. Boris Johnson avait, sur le papier 320 votes. Il ne restait plus qu’à voter. Sauf que le député conservateur Oliver Letwin a fait tourner les choses autrement: il a proposé un amendement indiquant que l’accord négocié par Boris Johnson ne pourrait entrer en vigueur que lorsque le Parlement aurait préalablement voté la loi garantissant son entrée en vigueur ! Autant dire que Calamity Oliver a été fidèle à sa réputation (c’est lui qui avait conseillé à Margaret Thatcher dans les années 1980 la désastreuse Poll Tax). Le soutien à Boris Johnson étant ricrac, il ne fallait pas perdre l’équilibre en arrêtant le vélo ! On a trouvé, évidemment, quelques conservateurs « rebelles », quelques députés du Labour pour soutenir Oliver Letwin. Et l’amendement est passé par 322 voix contre 306 (il y a fort à parier que cela aurait été à peu de choses près le résultat d’un vote sur le texte proposé par Boris Johnson).

Insoutenable légèreté de quelques parlementaires britanniques? On peut le dire, en voyant par exemple comment le DUP nord-irlandais, qui refuse de voter le deal de Johnson, a voté l’amendement Letwin pour gagner du temps, pensent-ils, dans leurs négociations avec le Premier ministre. Et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’Oliver Letwin est un « idiot utile »: il s’est allié au désastreux Jeremy Corbyn (dont plus personne ne comprend la ligne politique) et à Jo Swinson (un chef de parti en plein conflit d’intérêts puisque son mari a reçu des subventions de l’Union Européenne pour son ONG) pour faire passer un amendement qui ne peut que réjouir les Remainers. Les 500 000 personnes qui étaient venues manifester à Londres pour un nouveau référendum ont exulté lors de l’annonce du vote de l’amendement. Sir Oliver Letwin a été ovationné quand il a quitté le Parlement; tandis qu’il a fallu une escorte de police pour Michael Gove, pour Andrea Leadsom et pour Jacob Rees-Mogg et son fils, conspués et menacés par des têtes chaudes au sein d’une foule qui dit se battre pour la démocratie.

...mais c’est l’état de droit !

Etonnante Grande-Bretagne ! Boris Johnson a réagi au vote de l’amendement en annonçant qu’il ne demanderait aucun report du Brexit ! Le soir, un courrier en trois morceaux est parti à Bruxelles. Formellement, le vote du « Benn Act », que Boris Johnson appelle le « Surrender Act », obligeait le Premier ministre à écrire à Bruxelles ce 31 octobre, ce qu’il a fait en envoyant une lettre non signée qui n’est que la formule juridique recommandée par le Parlement et une lettre signée dans laquelle il explique qu’il ne demande pas de report. On peut parier que Gina Miller et autres financeurs des poursuites du gouvernement en justice vont poursuivre le Premier ministre pour non application de la loi à partir de la semaine prochaine. Pendant ce temps, Boris Johnson s’apprête à faire voter son texte. Peut-être lundi, mais cela dépend de la bonne volonté de John Bercow, le Speaker, qui ne se cache plus d’être opposé au Brexit, contre toutes les exigences de neutralité de sa fonction, et qui, certainement, fera tout pour mettre des bâtons dans les roues du Premier ministre, avant de quitter son poste le 31 octobre. Sans doute mardi, donc. Etonnante Grande-Bretagne car l’état de droit y est à la fois tordu par les Remainers et respecté par les Brexiteers. Mais il tient bon, malgré trois ans de débats souvent stériles. L’économie britannique aussi, tient bon. Boris Johnson également.

Theresa May a bien résumé ce que pense l’opinion britannique

On comprend bien le petit jeu des Remainers, plus ou moins déguisés, qui siègent à Westminster. Ils espèrent finir par réussir à faire passer le principe d’un second référendum. Je ne crois pas qu’il faille être plus effrayé que cela par leur petit jeu. Au-delà d’un milieu londonien très autocentré, tous les observateurs savent qu’un nouveau référendum amènerait une nouvelle victoire du Brexit, plus marquée que la précédente. A chaque retard, chaque délai, la popularité de Boris Johnson remonte. Ce que l’opinion publique a retenu de la face d’hier, c’est que le Parlement, une nouvelle fois, a failli à sa fonction. Theresa May est intervenue avec force, dans le débat d’hier pour exprimer la voix de l’opinion: si vraiment les députés, a-t-elle dit, avaient menti au peuple dans leur engagement à mettre en oeuvre le résultat du référendum, lors des élections de 2017, ils auraient failli à leur mission et trahi les institutions.

Est-il possible d’avoir une interprétation moins pessimiste de ce qui s’est passé hier? Ne faut-il pas comprendre qu’un député britannique ne puisse pas, devant sa conscience, prendre le risque d’un « No Deal ». Or ne subsiste-t-il pas un risque dans la procédure actuelle? C’est en effet ce que se racontent quelques députés dont, sans doute Oliver Letwin. Mais cela en dit long sur la manière dont ils sont coupés du monde. Ils appartiennent à une classe sociale qui n’a aucun souci à se faire en termes financiers - Brexit ou non. Leur insoutenable légèreté est en fait le fruit d’un désintérêt total pour leurs concitoyens moins aisés.

Il faut voir la vie politique britannique comme en avance sur le continent : une partie des élites cherche à renouer avec les classes populaires

Nous sommes bien au coeur de la crise actuelle de la démocratie. C’est elle que Boris Johnson essaie de surmonter. Le Premier ministre cherche les termes de ce « compromis conservateur » entre les « Anywheres » et les « Somewheres », entre les nomades et les sédentaires, recommandé par David Goodhart dans « The Road to Somewhere ». Et, heureusement, il n’est pas isolé, dans la classe politique britannique ! Il n’y aurait pas eu le référendum du Brexit, il n’y aurait pas actuellement de débat s’il n’y avait pas une part non négligeable de l’élite prête à dessiner le compromis entre les élites et les classes populaires, par intelligence politique et sociale. C’est une grande différence avec la France ou l’Allemagne, où s’affronte un parti des « anywheres » (LREM, la CDU d’Angela Merkel) apparemment indéboulonnable et un parti des « somewheres » (le Rassemblement National, l’AfD) qui semble incapable d’arriver au pouvoir.

La Grande-Bretagne, si Boris Johnson échouait, pourrait basculer dans un schéma de ce type: on assisterait à l’effondrement du Labour, la montée en puissance et l’installation à Downing Street des Libéraux-démocrates et, de l’autre côté de l’échiquier, l’effondrement des conservateurs et la prépondérance à droite du Brexit Party. Ce serait une régression vers un « état continental » de la politique britannique. Au fond, les Remainers, lorsqu’ils veulent rester dans l’Union Européenne, veulent aussi ramener la politique britannique à l’état où elle se trouve sur le continent. Le combat de Boris Johnson et des Brexiteers est une lutte pour le retour de la politique, de la démocratie, de la liberté pour tous, pas simplement pour les nomades de la mondialisation. 

Au fond, les Remainers étaient effrayés à l’idée de voir Johnson gagner. L’homme qui a rédigé l’amendement Letwin s’appelle d’ailleurs Lord Pannick ! Ils ont tiré une de leurs dernières cartouches. car à moins de penser que la Grande-Bretagne va s’enfoncer dans une guerre civile, on imagine mal que les Remainers puissent indéfiniment repousser l’inéluctable.

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