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L'amélioration des conditions de travail de la police passera par la restauration de l'autorité de l'Etat et par une modernisation en profondeur
©Valery HACHE / AFP

Bonnes feuilles

Frédéric Péchenard publie "Lettre à un jeune flic" aux éditions Tallandier. La police va mal, accablée par le manque de moyens, le surmenage et les suicides. L’ex-directeur de la Police nationale, Frédéric Péchenard, fait le point sur sa passion pour ce métier et les mesures à prendre d’urgence. Extrait 2/2.

Fréderic Péchenard

Fréderic Péchenard

Frédéric Péchenard. Ancien Directeur général de la Police nationale, il est actuellement Vice - Président LR de la Région Ile - de - France en charge des questions de sécurité. Depuis septembre 2018, il est également maître de conférences à Sciences-Po au sein du master Affaires publiques, spécialité « Sécurité et défense ». Il a publié un récit de son parcours de flic Gardien de la Paix (2007).

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Le choix que vous vous apprêtez à faire, réfléchissez-le car les conditions de travail des flics, plus particulièrement celles de ceux qui sont au bas de l’échelle, n’ont jamais été aussi dures qu’aujourd’hui : des heures supplémentaires qui s’accumulent sans être payées, des locaux parfois insalubres – ils nécessitent plus qu’« un petit coup de peinture qui va bien », comme l’a déclaré avec condescendance, en octobre 2017, l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb –, un grave défaut de matériel, des véhicules bons pour la casse et des salaires trop bas ! Je sais qu’en écrivant ces lignes, je ne plaide pas en faveur de la grande maison. Mais il serait malhonnête de vous cacher une situation qui est bel et bien une réalité.

Premier défi : restaurer l’autorité de l’État

Cela fait des années que nous assistons à la déliquescence générale de l’État, avec des services publics qui ne peuvent plus aller dans certains endroits, dans ce qu’il est convenu d’appeler les « quartiers chauds » des cités. On en a des exemples tous les jours. Il est absolument anormal que des policiers se fassent insulter et frapper, ou même qu’un commissariat soit attaqué, comme ce fut le cas au mois de juin 2019, au Val-de-Reuil-Louviers, près de Rouen, par une quinzaine de jeunes encagoulés, aux cris d’« Allah akbar »… Signe ultime de cette déliquescence – malgré l’évidence des images de vidéosurveillance où l’on voit des policiers contenir avec difficulté les assaillants sous une pluie de pavés et d’engins pyrotechniques –, la mairie, dans un communiqué prudent, n’a rien trouvé de mieux que d’évoquer un incident « amplifié et utilisé pour témoigner de la grande misère de la police d’une des quatre grandes villes de l’Eure » !

De même, il est inacceptable qu’un magistrat, en l’occurrence la présidente de la cour d’assises de Versailles, soit agressé et blessé par un tir de flash-ball, à son domicile, ou que des hommes politiques soient attaqués dans leurs permanences. 

Restaurer l’autorité de l’État ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Il faut évidemment que cette volonté soit politiquement portée ; c’est au président de la République, et à son ministre de l’Intérieur, de l’incarner. On ne doit plus reculer devant les voyous et tous ceux qui enfreignent la loi. On ne doit plus reculer devant le communautarisme qui, selon moi, est de loin la plus grande menace qui guette la République et ses fondements. L’État doit montrer une volonté sans faille ; la loi politique doit toujours primer, sans aucun état d’âme, sur la loi religieuse. À ce titre, les provocations de l’islam radical sont révélatrices de cette volonté de fracturer notre société. Mais elles démontrent aussi, malheureusement, l’impuissance des autorités. Le port du voile intégral dans nos rues en est l’un des exemples le plus frappant.

Il ne faut pas s’embarrasser de fausse pudeur, oser affirmer que cette reconquête ne se fera pas sans accepter d’appliquer une tolérance zéro. Tolérance zéro, cela signifie que les peines doivent être appliquées, qu’il s’agisse de peines de prison ou du recouvrement des amendes. Et c’est à vous, jeunes flics, que l’on demandera de monter en première ligne.

De l’exécution des peines

Dans l’imaginaire collectif, les policiers arrêtent et les magistrats relâchent. C’est faux. Loin de moi l’idée d’affirmer que tous les magistrats sont parfaits. Comme cela vous arrivera certainement au cours de votre carrière, il m’est arrivé de m’interroger sur certaines décisions – quelques-unes sur les centaines que rendent chaque année les tribunaux. Il faut aussi savoir balayer devant sa porte : la police n’est pas toujours exempte de reproches. Ainsi, il n’est pas rare qu’elle présente des procédures bancales, mal étayées et manquant de preuves. Une mauvaise procédure débouche inéluctablement sur un mauvais procès… 

Pour en revenir aux magistrats, ils condamnent lorsque c’est nécessaire. Mais qu’en est-il de l’exécution des peines ? Alors que j’écris ces lignes, dans le cadre des suites judiciaires des saccages et des pillages en marge des manifestations des gilets jaunes, plus de 9 000 personnes ont été placées en garde à vue depuis le début du mouvement, pour plus de 400 mandats de dépôt (incarcérations automatiques à l’issue de l’audience), soit un peu moins de 5 %. Plus de 2 000 affaires ont été jugées en comparution immédiate dans tout le pays, et environ 40 % des condamnations se sont traduites par de la prison ferme, de trois, cinq ou six mois. Or, si une personne est condamnée à moins de six mois de prison, elle n’exécute pas sa peine à cause de la surpopulation carcérale. Rappelons qu’en France nos prisons ne comptabilisent que 60 000 places alors qu’il y a plus de 70 000 détenus. Ce qui n’est pas le cas chez la plupart de nos voisins européens. Il est donc urgent que nous construisions de nouveaux établissements pénitentiaires. Conséquence de cette surpopulation carcérale, des milliers de peines de prison ferme ne sont pas exécutées. C’est aussi le cas des travaux d’intérêt général (TIG) qui, pourtant, peuvent avoir un réel impact sur le comportement des jeunes délinquants. Dans de telles conditions, il est évident que la sanction perd toute valeur, et qu’en tant que policier, vous pouvez douter de votre utilité…

Deuxième défi : lutter contre la paupérisation de la police

Je l’ai dit, je suis inquiet. Non pas parce que les choses changent. Ce n’est pas non plus cette relève que vous incarnez qui me préoccupe. Bien au contraire. Tous, femmes et hommes, je sais que vous ne faites pas ce métier par dépit ou nécessité, mais par envie et je vous sais d’un très bon niveau. Non, ce qui m’inquiète, c’est ce chemin sur lequel la Police nationale s’est engagée. Ce chemin, ou plutôt cette pente sur laquelle vous entraînent des décisions irresponsables, et qui vous mènent tout droit vers un appauvrissement continuel et progressif. Cela porte un nom : la paupérisation. 

Je suis toujours étonné devant la pauvreté du débat sur la sécurité qui se résume, quand vous écoutez la plupart des hommes politiques, à proposer « plus d’effectifs » ! C’est un faux débat sur lequel vous devez et devrez réfléchir. On ne réglera pas tous les maux dont souffre la Police nationale en recrutant à tour de bras. On ne peut pas ramener une politique de sécurité à cette seule problématique. C’est ce chemin aberrant, trahissant une méconnaissance totale de ce qu’est une vraie politique de sécurité, et de ce qu’est la police, qui nous mène au bord du gouffre.

Extrait du livre de Frédéric Péchenard, "Lettre à un jeune flic", publié aux éditions Tallandier

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