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Taxation des multinationales : l’OCDE fait un petit pas sur un très grand chemin
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Règle commune

L’OCDE a publié les premiers résultats de son programme de travail adopté lors du G20 afin de construire une "approche unifiée" des nouveaux défis posés par l’économie mondialisée et notamment sur la question de la taxe des géants du numérique et des grandes entreprises multinationales.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : L’OCDE a publié les premiers résultats de son programme de travail adopté lors du G20 du mois de mai dernier pour construire une « approche unifiée » des nouveaux défis posés par l’économie mondialisée. Le 9 octobre, l’organisation a donc publié un ensemble de propositions qui doivent servir de base de négociation à plus de 130 pays pour taxer les géants du numérique mais aussi les grandes entreprises multinationales.

Le point névralgique de ce projet repose sur la définition d’une nouvelle règle du lien qui permettrait de taxer les entreprises même si celles-ci n’avaient pas de présence physique directe sur un territoire, mais simplement à partir d’un seuil de ventes sur un territoire. Ce projet sera notamment discuté jeudi 17 octobre et vendredi 18 octobre, à Washington par les ministres du G20. En quoi ce nouveau modèle de taxation permettrait-il de régler les défauts des régulations actuelles ?

Michel Ruimy : Contrairement à l’impôt sur le revenu, qui touche l’ensemble des revenus mondiaux d’un contribuable donné, l’impôt sur les sociétés a une application territoriale. Autrement dit, le principe fiscal qui régule, jusqu’à présent, la taxation des entreprises multinationales repose sur un principe d’imposition dans le ou les pays où l’entreprise est présente physiquement.

Or, l’économie devenant de plus en plus numérique et hautement décentralisée, les multinationales, afin de payer le moins d’impôts possible, délocalisent artificiellement, dans leurs filiales à l’étranger,une partie de leurs profits, en réalisant des montages à la limite de la légalité.

A cet égard, les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et, par extension, toutes les grandes entreprises informatiques sont connues pour leurs pratiques de l’évasion fiscale. Ainsi, en Europe, ces entreprises paient, en moyenne, 9 % d’impôts sur les bénéfices, là où les entreprises traditionnelles paient 23 %.En 2017, Google a déclaré un chiffre d’affaires en France de 325 millions d’euros (le chiffre réel serait plus près de 2 milliards selon le Syndicat des régies internet) et a payé 14 millions d’euros d’impôts. La même année, Facebook a payé 2 millions d’euros d’impôts en France et Amazon 8 millions.Ainsi, en matière de fiscalité, toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne.

C’est pourquoi, l’OCDE a été chargée de dessiner l’architecture de la « taxation du XXIème siècle », de créer une sorte de « big bang fiscal et digital ». L’institution propose ainsi que les entreprises soient taxables, au-delà d’un certain niveau de recettes, même si elles ne sont pas présentes physiquement sur un territoire (notion d’établissement stable). 

Une question majeure, et techniquement compliquée, demeure toutefois : l’assiette fiscale ou, autrement dit, le chiffre d’affaires réalisé réellement sur le territoire. C’est la raison pour laquelle, à la différence de la taxe instaurée en France par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, l’Organisation internationale suggère d’imposer plutôt les sociétés sur leurs profits consolidés (dans le cas où elles font du profit) afin d’éviter toute « manipulation » du bénéfice. De plus, taxer les entreprises déficitaires pourrait avoir un impact négatif sur les consommateurs, ces entreprises ayant un pouvoir de marché pouvant répercuter cette taxe sur leurs tarifs. Il y aurait dès lors une inégalité face à l’impôt. 

Cette réforme de justice fiscale vise ainsi à enterrer un modèle daté et à inventer une taxation adaptée à notre époque, qui devrait permettre aux différents États de lever plus d’impôts auprès des grandes entreprises internationales décentralisées. La répartition des recettes fiscales devrait en être largement améliorée alors qu’elles vont trop souvent dans les poches de pays qui attirent les sièges sociaux des grands groupes grâce à des allègements fiscaux, plutôt que dans celles des pays où se trouvent clients et marchés.

Un tel projet est-il réaliste pour rénover la fiscalité mondiale ? Quels seraient les principaux Etats gagnants dans ce processus ?

La taxation des géants du numérique et des multinationales constitue un enjeu majeur pour adapter la fiscalité internationale à la numérisation de l’économie. Car les négociations, qui s’étaient déjà ouvertes au sein de l’OCDE en janvier après plusieurs années d’atermoiements, ont été, à nouveau, bloquées par trois positions divergentes et « concurrentes » issues de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de l’Inde. Face à cette situation, l’Organisation internationale cherche aujourd’hui un compromis multilatéral en présentant sa propre « approche unifiée ». 

On voit bien que si la cacophonie perdure, l’OCDE ne parviendra pas à un accord en 2020, ce qui renforcera le risque que des pays agissent unilatéralement. En revanche, si son projet reçoit l’aval des ministres des Finances, il se pourrait qu’il y ait une nouvelle dynamique politique pour trouver un accord mondial. 

Si un accord est signé, les pays à économie libérale et en développement seraient, a priori, les gagnants de cette réforme fiscale, les perdants étant les paradis fiscaux qui hébergent les sièges sociaux des multinationales. 

Il n’en demeure pas moins toutefois qu’au-delà d’un accord, les travaux qui s’ensuivront ne seront pas des plus aisés car il va notamment falloir déterminer le champ d’application de cette nouvelle taxe et surtout résoudre un grand nombre de questions.

L’OCDE propose aussi la mise en place d’un taux minimum des entreprises numériques, ce qui permettrait aux Etats de récupérer sur leurs entreprises nationales la différence entre les impôts payés à l’étranger et ceux qu’elles auraient payés sur son territoire. Quels pays pourraient s’opposer à de telles mesures ? Quels seraient les effets sur les marchés mondiaux ?

L’idée d’une taxation sur les géants du numérique et des multinationales était déjà à l’étude au niveau européen, mais plusieurs pays ont bloqué sa mise en place. Notamment, l’Allemagne n’a pas souhaité instaurer une telle taxe, qui porterait principalement sur des entreprises américaines,car elle pourrait envenimer ses relations avec les Etats-Unis (Comme Donald Trump avait menacé de taxer les importations de voitures allemandes, les autorités allemandes ont craint qu’une « taxe GAFA » ne nuise au secteur automobile en raison des mesures de rétorsion commerciales). De son côté, l’Irlande, où sont localisées nombre de grandes entreprises du numérique du fait de sa fiscalité avantageuse, a refusé une telle taxe car elle éroderait son avantage fiscal.

Face au blocage au niveau européen, la France a décidé d’établir, seule,à compter du 1er janvier 2019, une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des grandes entreprises du numérique (Cette taxe porte sur les revenus publicitaires, les activités de marché c’est-à-dire la mise en contact d’acheteurs et de vendeurs, et la vente de données). Elle devrait rapporter 500 millions d’euros par an.Une telle taxe est aussi instaurée en Espagne et au Royaume-Uni. 

La proposition de l’OCDE me semble un peu simpliste. On va prendre des capitaux aux « paradis fiscaux » pour les redonner aux pays développés. Il y a, peut-être, là, un véritable problème de justice dans cette solution alors que celle-ci est plus complexe. Par ailleurs, une politique fiscale devrait donner aux entreprises la stabilité nécessaire pour exercer à l’intérieur des frontières d’un pays et à l'étranger. Dès lors, on risque de voir apparaître de nouvelles stratégies commerciales. 

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