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Livret A : avoir le courage de baisser le taux de l’emprunt perpétuel français ?
©DENIS CHARLET / AFP

Courage!

Quelle question ! A quelques semaines des municipales ! Oui bien sûr, il faut baisser le taux d’intérêt de ce « placement préféré des Français » à 0,5% en janvier, comme prévu par sa formule de calcul et courageusement annoncé ! 0,6%, si vous tremblez ! « Emprunt perpétuel » ? Jamais entendu ! Vous voulez dire qu’on ne sera jamais remboursés ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Parlons chiffres d’abord : 5000 milliards d’euros, c’est l’épargne des ménages en France fin 2018. Sur ce total, 1650 milliards sont en actions, 560 en dépôts à vue et 750 en « épargne réglementée », dont 268 en Livrets A. L’épargne réglementée, c’est 15% de notre épargne totale, dont 5% pour le Livret A. Il a toujours le vent en poupe. Sur une année, la masse des actions augmente de 1%, le livret A de 4% et les dépôts à vue de 7%. Moralité : quand on ne paye pas l’épargne, comme c’est le cas pour les dépôts à vue, elle augmente plus encore ! Dans ces conditions, il ne faut pas hésiter à réduire le taux du Livret A : 0,5% sans impôt (jusqu’à 22 950 euros au maximum par livret), c’est toujours mieux que le 0% du dépôt à vue (en attendant qu’on le facture au-delà de 100 000 euros) !

Mais vous avez dit « emprunt perpétuel » ? Oui : « perpétuel de fait », car il ne baisse pratiquement pas. La décollecte du Livret A est rarissime et très faible par temps de difficulté moyenne : -4 milliards en 2014, -7 en 2015 et -1 en 2016, alors que la collecte augmente de 23 milliards en 2008, au pire de la crise, puis de 15 en moyenne les trois années qui suivent ! Nous en sommes à +11 milliards en 2018 et autant sur le seul premier semestre 2019 ! Et cet emprunt est « perpétuel de droit », car garanti par l’état si la banque où est déposé le Livret A est en crise mortelle. Aucun risque donc avec le Livret A, sauf à ce que l’état ne puisse rembourser ses dettes : nous n’y sommes pas !

En fait, le livret A est un « emprunt perpétuel de choix » : simple, cool, moral, pas si bête. Simple, car son calcul obéit à une formule élémentaire : taux du Livret A =  (ìnflation + taux d’intérêt interbancaire)/2. Simple, car cette formule limite l’intervention des politiques, toujours prêts à « faire plaisir ». Mais à qui donc ? En baissant le taux de l’intérêt, ils déplaisent à l’épargnant. En l’augmentant, ils accroissent le coût de financement du logement social. Donc les mouvements du Livret A, à la hausse ou à la baisse, doivent toujours être limités ! Cool, car la baisse prévue de 25 points du taux du livret pour janvier est annoncée comme indolore. Pour un livret A moyen de 4.800 euros, elle « coûterait environ un euro par mois » selon le Directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations. Moral donc cet emprunt, car, pour calmer les cris à la « spoliation de l’épargne » quand son taux baisse, ce même Directeur Général ajoute que cette baisse va permettre « un allègement des charges financières pour le logement social de 317 millions d'euros en année pleine… L'épargne réglementée restera pleinement utile pour les territoires ».

Pas si bête non plus, cet emprunt perpétuel ! Tout le monde le sait mais personne ne le dit, ce Livret A est très sympa, quand on voit comment sont traitées les autres formes d’épargne. Très sympa, car il n’est pas si « populaire » que cela, avec 6% de ses détenteurs au-delà du plafond de 22.950 euros, pour plus de 28% des 275 milliards collectés fin 2018 ! Et si l’on prend tous les livrets emplis à 19 000 euros et plus, on voit qu’ils sont aux mains de 11% des détenteurs, pour 49% du total collecté. Au fond, cet emprunt est liquide, garanti et couvre l’inflation, si l’on tient compte de son exonération fiscale (3 à 5 milliards d’euros). Pas si bête donc d’en avoir un !

C’est à partir de cette base stable que les politiques peuvent jouer, pour orienter les suppléments d’épargne des fourmis françaises. Le Ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire le dit carrément : « nous avons protégé l'épargne très populaire des taux bas… et le taux du Livret A ne descendra jamais en dessous de 0,5% et le livret d'épargne populaire (LEP) ne sera jamais inférieur à l'inflation ».  Donc : « l'argent qui dort, ça suffit. Il faut mieux orienter l'épargne. Nous avons besoin de placements plus dynamiques et de sortir de l'alternative basique entre épargne réglementée avec peu de rendement ou immobilier ». Son espoir est de faire passer les encours d'épargne retraite de 230 à 300 milliards d'euros d'ici à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron, en 2022.

Moralité : à 0,5% de rémunération, sauf catastrophe, nous sommes au plus bas. Et si les dépôts en Livret A montent encore, ils prouveront bien que cet emprunt est décidément perpétuel, autrement dit toujours en croissance ! C’est donc à partir de cette base de 300 milliards qu’on peut pousser vers plus de risques. La bourse paye 3% par ses dividendes, 2% net d’impôt environ : c’est mieux que tous les autres dépôts et livrets, mais évidemment plus risqué ! Alors, les produits d’épargne d’entreprise pourront se développer, avec l’idée de rémunérer les salariés relativement plus en actions qu’en salaires, ce qui renforcera le capital des entreprises, notamment des PME qui ont besoin d’innover et d’exporter.  

Le livret A est l’emprunt perpétuel français, une sorte de garantie… de l’état ! Il est cher mais politiquement assez pratique, si on le stabilise où il est en donnant les chiffres des avantages qu’il procure. A partir de cette base, il faut pousser les épargnants français à financer davantage les entreprises et l’innovation que le logement. Plus risqué ? Oui, mais le risque maximum, c’est de n’en prendre aucun.

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