Europe : la France prise au piège des contradictions d’Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Europe : la France prise au piège des contradictions d’Emmanuel Macron
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Après la claque anti-Goulard

Les eurodéputés ont rejeté massivement la candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne. Ce rejet est un revers cinglant pour Emmanuel Macron et la France. Un nouveau candidat devra être rapidement proposé pour le poste de Commissaire européen au Marché intérieur.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »
Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico.fr : La candidature de Sylvie Goulard à la Commission européenne a été largement rejetée par les eurodéputés. Quelles peuvent être les conséquences de ce rejet pour Emmanuel Macron au regard de son poids politique dans l'Union Européenne ? 

Edouard Husson : Rappelons-nous: lorsque l’accord a été trouvé sur la nomination aux quatre postes stratégiques de l’UE (présidence de la Commission, présidence du Conseil, haut représentant du Conseil pour les affaires étrangères, présidence de la BCE), beaucoup se sont extasiés sur la capacité d’Emmanuel Macron à s’imposer dans les négociations européennes, puisqu’il avait imposé, disait-on, Ursula von der Leyen contre Manfred Weber, souhaité par le Parti Populaire Européen selon le principe des candidats « chefs de file »(Spitzenkandidate). Il apparaissait pourtant évident pour qui connaît la vision allemande des choses que cela laisserait un arrière-goût amer. En effet, nos amis allemands considèrent que l’on ne peut pas à la fois déplorer l’absence de démocratie dans l’UE et continuer à faire comme si le président français et la Chancelière allemande décidaient de tout, les autres n’ayant qu’à suivre.  Et les autres pays européens pensent la même chose. Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui la monnaie de sa pièce. Si l’on en croit les propos qu’il a tenus devant les journalistes hier soir, il a fait ou il va faire une grosse colère auprès des partenaires européens. Mais cela ne fera qu’aggraver la situation, ébranler un peu plus sa position: dans une Europe à 27, où il faut parlementer sur tout, le style que nos partenaires considèrent, à tort ou à raison, comme typiquement français, et consistant à vouloir s’imposer en ne parlant qu’au chef du gouvernement allemand, a vécu. Mais les propos tenus par le président français hier soir montrent qu’il n’a pas encore pris conscience de l’échec de sa méthode de relance de l’intégration européenne. Le projet de « budget européen », minimaliste, qui a commencé à circuler, est une autre preuve des limites d’une méthode consistant à tout miser sur l’Allemagne sans vraiment s’être demandé comment faire pression sur elle

Le rejet de la candidature de Sylvie Goulard n'est pas une surprise. Qu'est-ce que cela dit de la place de la France dans l'UE ? 

Christophe Bouillaud : Le rejet n’est peut-être pas une surprise complète, puisque, dès le début, la candidature Goulard avait été vue par beaucoup de commentateurs comme une candidature faite par défaut d’autres choix disponibles pour Emmanuel Macron, et tout de même assez risquée en raison des casseroles déjà connues de la dite candidate. Par contre, le résultat du vote final sur sa candidature est tout de même surprenant : 89 votes contre, 29 contre, 1 abstention, au sein de la commission compétente. C’est une défaite tellement nette – à laquelle je dois dire pas avoir cru dans un premier temps – qu’il faut sans doute y voir l’effet particulièrement négatif pour sa candidature des auditions elles-mêmes, et de tout ce que beaucoup de députés européens ont compris à cette occasion de sa personne. En effet, Madame Goulard est tout de même une vieille connaissance pour beaucoup de députés européens. Cette ancienne député européenne, et même conseillère en son temps de Romano Prodi alors Président de la Commission, a même écrit un assez bon livre de vulgarisation sur l’Union européenne, l’Europe pour les nuls (Paris : First Edition, 3ème édition, 2014). En regardant son parcours, elle avait donc tout pour être Commissaire européen. Or les députés européens ont fait très majoritairement ce choix de la rejeter… 

Sur un plan plus général,au-delà de la personne de Madame Goulard, cela veut dire que la France, mêmes si elle a contribué à fonder l’Europe communautaire, ne peut plus s’attendre à ce que les députés européens acceptent des candidats commissaires ayant quelques casseroles dans leur parcours. L’idée que l’on doive démissionner d’un poste de ministre dans son propre pays pour un soupçon, mais que l’on puisse tout de même se racheter au niveau européen avec un poste de Commissaire européen, doit être définitivement oubliée : les normes d’intégrité personnelle à respecter au niveau européen deviennent en effet de plus en plus élevées. Il faut noter que Sylvie Goulard n’est d’ailleurs pas la seule recalée pour ce motif. Surtout, le poste qui devait revenir à Sylvie Goulard était un poste très important dans la hiérarchie générale des Commissaires européens, et avec d’énormes prérogatives. Elle était donc particulièrement exposée à être scrutée de près par les députés européens. Mais il est vrai que, décemment, la France comme grand pays ne pouvait pas proposer un candidat pour un poste de Commissaire européen sans prérogatives importantes… 

Par ailleurs, les déclarations d’Emmanuel Macron à la suite de ce camouflet se défaussant totalement du choix de Sylvie Goulard sur la Présidente pressentie de la Commission Ursula von der Leyen et se réclamant d’un feu vert à cette dernière des présidents des trois groupes majoritaires au Parlement européen (PPE, PSE et Renew|ex-ALDE])sont l’aveu public qu’Emmanuel Macron savait très bien qu’il pouvait y avoir un problème avec ce choix. Il préfère rejeter son erreur de jugement sur d’autres. Pour une fois, il ne veut pas « assumer ». Or le choix de son Commissaire européen est une prérogative qu’un Etat ne peut ni ne doit déléguer. C’est un choix national par excellence, et, en pratique, le choix du pouvoir exécutif du pays en question. C’est bel et bien notre Président qui a choisi Madame Goulard. Il devait certes lui-même avoir des doutes puisqu’il a attendu le dernier moment pour annoncer le choix de la France, mais il a choisi. Très mauvaise pioche…  

Sur le plan intérieur, quel pourrait être l'impact de ce refus du parlement européen ? Emmanuel Macron pourrait-il en sortir plus affaibli ?

Edouard Husson : A court terme il ne se passera rien. Les Républicains sont absorbés par l’élection d’un successeur à Laurent Wauquiez. Et le Rassemblement National n’a pas de vision qui puisse être un élément d’alternative pour l’Union Européenne. A moyen terme, c’est une mauvaise nouvelle pour Emmanuel Macron car il pourra difficilement se taguer de succès en Europe. Son plus gros échec n’est pas l’éviction de la candidature Goulard mais le budget européen 2020, qui est très inférieur aux demandes formulées par le président français depuis son arrivée à l’Elysée. Mais il est possible de noyer cet échec dans des déclarations alambiquées comme a commencé à la faire le gouvernement. Alors que l’échec de Sylvie Goulard permet de bien saisir l’échec de la méthode Macron. 

Plus profondément, qu'est-ce que cela révèle d'Emmanuel Macron ? De sa politique européenne ? On a cru à un nouvel élan/souffle avec l'Allemagne, mais tout cela se retourne contre lui.

Christophe Bouillaud : Pour Emmanuel Macron, qui prétendait renouveler la politique française, c’est bien sûr d’une grande bêtise que de se faire prendre les deux mains dans le pot de confiture en train d’essayer de revendre au niveau européen un cheval de retour de notre vieille classe politique comme Sylvie Goulard. Cela montre encore une fois qu’Emmanuel Macron manque d’un personnel de qualité à ses côtés. C’est la rançon de sa manière pour le moins cavalière d’arriver au pouvoir, à coup de trahisons, sans avoir un parti solide derrière lui ou sans disposer de « compagnons » forgés dans l’adversité. En réalité, si l’on regarde ses ministres,  il n’a réussi à rallier à son panache du renouveau que des personnalités finalement assez médiocres, parfois même fantasques ou psychorigides,et ayant même quelque casserole à faire oublier. 

Sur l’Europe, proprement dit, cela veut dire qu’Emmanuel Macron n’a pas compris, certes comme beaucoup de Présidents français avant lui, que : a) il y a 27 autres pays dans l’Union européenne ; b) un deal franco-allemand ne résout pas tout ; c) le Parlement européen est un vrai parlement, avec des prérogatives de plus en plus proches d’un vrai pouvoir législatif et de vrai contrôle à l’américaine. C’est vrai qu’à force d’avoir un Parlement – chambre d’enregistrement en France, le parlementarisme devient incompréhensible à nos Présidents successifs. 

En tout cas, ses déclarations de mauvais perdant rejetant la faute sur Ursula von der Leyen font preuve d’une absence totale de compréhension de la situation. Personne en Europe ne croira cette fable d’un Président français se pliant aux demandes d’une ex-Ministre de la Défense allemande, et, si les gens – des journalistes par exemple - se mettaient à le croire, et à vouloir comprendre pourquoi ce choix pour le moins mal vu de von der Leyen, cela voudrait dire que von der Leyen aussi a des choses à cacher ou qu’elle ne sait pas s’entourer. Il faut en effet rappeler que Madame Goulard n’est pas membre du PPE (comme von der Leyen), mais de Renew (ex-ALDE).  Cela ne serait donc pas de la solidarité partisane, mais autre chose. Il ne faut peut-être donc pas y regarder de trop près. Car, rappelons-le, en Allemagne, Madame von der Leyen n’est pas considérée par tout le monde comme une oie blanche sans aucune erreur de parcours. Il ne faudrait pas que Madame Goulard torpille toute la Commission en train de se mettre en place comme Madame Cresson le fit en son temps pour la Commission Santer. 

Alorqs qu'Emmanuel Macron pensait pouvoir compter sur le soutien et de l'influence d'Angela Merkel sur le PPE, qu'est-ce que ce revers dit du poids politique de la Chancelière allemande ? 

Edouard Husson : Au risque de vous surprendre, je ne pense pas du tout qu’il s’agisse d’un échec d’Angela Merkel. Certes son autorité est affaiblie en Allemagne. Mais rappelez-vous comme la Chancelière avait pris soin de laisser Emmanuel Macron s’avancer sur la candidature von der Leyen, alors que c’était sa proposition à elle. Pourquoi la Chancelière irait-elle prendre des coups pour Emmanuel Macron? Elle s’y est clairement refusé depuis l’élection de ce dernier, en particulier sur la question du budget européen qui sera dix fois inférieur au montant espéré par le président français. Il ne faut jamais oublier qu’Angela Merkel a été formée en RDA et qu’elle s’est toujours avancée en politique en utilisant les astuces manoeuvrières propres aux luttes internes au sein du parti communiste: ne jamais se découvrir, attendre de voir quel est le rapport de force, prendre position au dernier moment en fonction de l’équilibre qui s’est installé. Il est bien vrai que la méthode Merkel est moins appréciée aujourd’hui qu’il y a dix ans. Mais la Chancelière s’est débarrassée d’une rivale, Ursula von der Leyen, en l’envoyant à Bruxelles, où elle va s’enliser dans les contradictions de l’UE. Et elle a casé son autre rivale, Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU, à la place d’Ursula von der Leyen, à ce ministère très ingrat en Allemagne qu’est le Ministère de la Défense. Certes la Chancelière a annoncé » qu’elle ne se représenterait pas aux prochaines élections parlementaires, en 2021 mais elle entend bien choisir le rythme de sa sortie politique et qui sera son successeur. Elle ne veut pas d’une influence accrue de la France au sein de l’UE. Or visiblement Emmanuel Macron, quelles que soient ses déclarations, ressemble plus à François Hollande, très passif face à la Chancelière, qu’à Nicolas Sarkozy, qui la bousculait régulièrement.  

Emmanuel Macron s'est toujours autoproclamé européiste, mais il ne respecte pas le jeu démocratique (remettant en cause le principe des « Spitzenkandidaten », donc de la démocratie parlementaire etc.). Doit-il plus respecter le jeu démocratique de l'UE?

Christophe Bouillaud : De toute façon, même s’il est Président de la République française, même s’il est à la tête de la « Grande Nation », il doit se soumettre au jeu institutionnel et légal que représente l’Union européenne. Ce n’est pas un choix à faire de sa part, c’est juste que l’Union européenne n’est pas une République bananière où l’on ne respecte pas les règles. Il a déjà obtenu la tête de Manfred Weber, il fallait s’attendre à un contrecoup. Mais c’est le jeu européen, complexe et équilibré, où personne ne peut ni doit dominer les autres. 

Existent-ils à vos yeux d'autres candidats français plausibles/possibles ?

Christophe Bouillaud : Ayant très mal joué avec le choix de Madame Goulard, qu’une femme allemande lui a imposé selon ses propres dires,  Emmanuel Macron se trouve fort dépourvu. Il faut désormais choisir un candidat garanti 0% sans casserole, et un candidat qui lui soit à peu près proche, ce qui exclut en principe toute personnalité encore loyale au Parti socialiste ou bien aux Républicains. Cela devient du coup compliqué : il a déjà du mal à trouver en France un nom nouveau pour occuper un poste ministériel important laissé vacant par une démission.  Il ne lui reste plus faute de mieux qu’à chercher quelque grand serviteur de l’Etat au passé irréprochable, du moins en principe, probablement inconnu du grand public, mais sans risque de se faire retoquer par les députés européens. C’est sans doute la solution la plus simple : quelque ancien représentant de la France à Bruxelles ou dans une autre instance internationale. Cela voudrait dire que le poste promis à Madame Goulard serait sans doute fortement redimensionné. La France perdrait du coup l’occasion d’avoir un poste de « grand commissaire » à larges compétences.

En dehors de cette hypothèse de l’illustre inconnu, on pourrait certes faire appel à Michel Barnier. Après tout, son travail de négociation avec les Britanniques s’achève en principe le 31 octobre, et personne à ma connaissance sur le continent ne lui reproche d’avoir mal gardé les intérêts européens dans son long combat avec les incertitudes britanniques. Michel Barnier aurait en plus l’avantage de représenter au sein du collège des commissaires l’expérience, puisqu’il a déjà été commissaire européen. Il faudrait cependant qu’il accepte ce poste, alors même qu’en 2014, il a échoué à devenir Président de la Commission. Cette nomination serait pour lui un étrange coup du destin. Par ailleurs,  il est membre du PPE, ce qui pourrait bien sûr constituer une humiliation supplémentaire pour Macron. Son renouvellement de la classe politique en arriverait à valider la qualité d’un représentant de la politique de l’ancien monde. 

Une autre personne pourrait peut-être faire l’affaire pour conserver à la France un « grand commissaire » : Benoît Coeuré. Cet économiste finit cette année au 31 décembre son mandat au directoire de la Banque centrale européenne commencé en 2012. A en croire ses prises de position publiques, c’est vraiment un fédéraliste convaincu.Il aurait sans doute l’envergure intellectuelle pour reprendre le grand portefeuille promis à Sylvie Goulard. Il est un libéral très pondéré, et il serait donc acceptable à la fois par Emmanuel Macron et la majorité PPE-PSE-Renewdu Parlement européen comme Commissaire. Une fois en place, son expertise économique lui permettrait sans doute de peser au sein du collège des Commissaires. Bref, son seul gros défaut est peut-être d’être un homme. 

En effet, à ce stade de nominations des commissaires et de définition des équilibres hommes/femmes au sein de la nouvelle Commission, la France n’est-elle pas de fait contrainte de proposer une femme pour remplacer Sylvie Goulard ? Laurence Boone, un temps collègue de travail d’Emmanuel Macron quand ce dernier était encore conseiller à l’Elysée sous François Hollande,  économiste en chef à l’OCDE depuis 2018, pourrait être un autre choix pertinent par ses qualités reconnues d’économiste, mais, à mon avis, bien moins fort que celui de Benoît Coeuré avec son expérience à la BCE.

En tout cas, il faut espérer que, pour notre prestige national,  notre Président exclura d’office toute candidature d’une autre Goulard, quelque ancienne ministre en mal de poste. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !