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Comment Boris Johnson a repris la main sur le Brexit
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Ultimes étapes

Alors que Londres et Bruxelles ne parviennent toujours pas à se mettre d'accord sur l'ensemble des conditions de sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni, le Premier ministre britannique Boris Johnson a présenté ce mercredi une "offre finale" à l'Union européenne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Monthy Johnson

Difficile de ne pas s’enthousiasmer ! Nous sommes à Manchester dans la salle plénière de la conférence. Boris Johnson est en train de comparer les débats du Parlement britannique à un reality show. Il compare les Brexiteers et les conservateurs  à des participants exclus de la jungle par les téléspectateurs. Et puis il lâche une phrase absurde à première vue: « Au moins, nous aurions eu le plaisir de voir le Speaker de la Chambre, John Bercow, obligé de manger un testicule de kangourou ». Le public éclate de rire parce que tout cela est une allusion à une émission où les participants devaient se débrouiller dans une jungle fictive; et le propre père de Boris Johnson, y participant, avait déclaré en direct qu’il ne connaissait pas la différence entre un testicule de mouton et un testicule de kangourou. Est-on plus dans les Monthy Python que dans un discours de Premier ministre?  Le ton est en tout cas lancé: des millions de frustrations accumulées par les Brexiteers ne supportant plus l’obstruction permanente des positions « Leave » par le Speaker sont vengées: désormais, dès qu’il prendra la parole à la Chambre des Communes, dans les trois semaines qui lui restent à occuper ce poste, tout le monde associera Bercow à la plaisanterie sur le kangourou. Oublié le rappel de la Chambre par les juges de la Cour Suprême? 

Le Premier ministre n’a plus à prouver qu’il est le meilleur orateur de la politique britannique; mais aujourd’hui il a atteint l’un des sommets de sa carrière. L’équilibre entre la détermination à réaliser le Brexit à la date actuellement prévue (31 octobre 2019), la mise en valeur des atouts de la Grande-Bretagne, la reformulation adaptée au XXIè siècle du conservatisme social de Benjamin Disraëli et, enfin, une cascade de plaisanteries plus spirituelles les unes que les autres, en particulier quand il s’agit de parler de ses rivaux politiques: une description enthousiaste de la recherche spatiale britannique se finit sur la question de savoir si l’on ne pourrait pas en profiter pour propulser Jeremy Corbyn dans l’espace. Quant à Nigel Farage, Boris Johnson en parle comme d’un succès britannique à l’exportation vers les Etats-Unis, avant de constater qu’apparemment il a été réimporté ! 

Proposition du gouvernement britannique pour un nouvel accord

Il y a quelques jours, toute une partie de l’establishment criait victoire après que les juges de la Cour Suprême avaient fait annuler la mise en vacances du Parlement. Et ils avaient enterré Johnson. A Manchester, en quarante-deux minutes ce 2 octobre 2019, Boris Johnson a prouvé à l’opinion britannique que le parti conservateur pourrait connaître un extraordinaire rebond et que lui-même était non seulement vivant mais absolument calme, malgré la tension qui accompagne ses 70 premiers jours à Downing Street. Quelques heures après son discours, le Premier ministre britannique envoyait sa proposition de renégociation de l’accord de sortie de l’Union Européenne. La proposition diffère de tout ce que le gouvernement britannique a proposé jusqu’ici sur deux points fondamentaux: d’une part, aucun mécanisme ne peut enfermer pour toujours, en cas d’échec des négociations, l’Irlande du Nord dans l’union douanière européenne. D’autre part, il reviendra à l’assemblée nord-irlandaise de choisir la manière dont elle restera liée à l’Irlande - et donc à l’UE. Boris Johnson a clairement fait comprendre à ses interlocuteurs du continent que c’était à prendre ou à laisser pour la négociation: soit les membres de l’UE jouent le jeu et tout le monde cherche un compromis; soit le Premier ministre ne voit pas pourquoi il se déplacerait au sommet européen du 17 octobre. Theresa May, bonne fille, a été plusieurs fois humiliée par le Conseil européen. Johnson veut inverser le rapport de forces. Il met l’Union Européenne devant ses responsabilités.  

Personne ne peut prédire ce qui va se passer. Les adversaires de Johnson au Parlement britannique se sont empressés de dire que c’était un très mauvais plan de rechange ! Ils vont devoir pourtant expliquer ce qu’ils feraient de mieux. Du côté de l’UE, l’inénarrable Verhofstadt est sorti de sa boîte pour expliquer au nom du Parlement européen que la proposition de Boris Johnson était insuffisante. Michel Barnier, lui, est bien plus prudent. Il semble même avoir entrouvert la porte. Nul ne sait dans quelle mesure le Conseil européen va encore chercher à obtenir un accord. 

Ambrose Evans-Pritchard, l’un des meilleurs journalistes britanniques sur l’Europe, soulignait ce 2 octobre dans le Daily Telegraph, que l’Union Européenne pourrait bien faire le choix erroné d’ajouter à la très probable récession l’erreur d’un refus d’accord sur le Brexit. Le BDI (équivalent allemand du Medef) n’en finit pas de dire qu’il faut punir la Grande-Bretagne. Norbert Röttgen, président de la Commission des Affaires Etrangères du Bundestag, a eu, le 2 octobre en fin de journée ce tweet désarmant: « Boris n’apprend rien! Il faudrait une longue prolongation  pour protéger la souveraineté du Parlement britannique ».  Johnson n’a-t-il pas raison de tout placer sur le plan de l’humour? Ses partenaires de négociation se caricaturent ! 

Johnson à nouveau maître du jeu

Madame Merkel mettra-t-elle son poids dans la balance? Comment Emmanuel Macron va-t-il réagir? La nature des choses voudrait que l’UE soit incapable d’arriver à un compromis. Cela conduirait-il alors à une nouvelle déstabilisation de  Boris Johnson? Trois raisons principales en feront douter: 

- le Premier ministre est pour l’instant resté fidèle à la formule churchillienne du « Never give in ! » - « Ne jamais céder ». En particulier, il n’a pas fait une concession de formulation, continuant, à Manchester, à parler d’une « loi de reddition ». L’humour fait partie de cette stratégie de résistance à la pression imposée par les médias, le Parlement et tous ceux qui, dans l’establishment, voudraient bien arrêter le Brexit. 

- Boris Johnson a pour lui le mérite de la clarté. Le slogan de la conférence claquait bien dans les différents discours: « Get Brexit done!».  Merveilleuse langue anglaise ! Les conservateurs ont inventé un slogan facile à répéter à temps et à contretemps. Il faut en finir et un tel slogan est adapté aussi bien à une campagne électorale qu’à des manifestations ou à un grand titre de journal !  Il n’y a guère que Nigel Farage qui pratique la même clarté: mais lui ne veut pas d’un accord de sortie. Johnson est beaucoup plus tacticien. Et plus à même de gagner une majorité: il prendra acte du refus éventuel de l’UE d’arriver à un accord. mais jusqu’à nouvel ordre il négocie. Son inflexibilité tient plutôt au respect absolu de l’échéance. De fait, il doit savoir qu’il joue la survie du parti conservateur, aujourd’hui bien revigoré mais qui ne survivrait sans doute pas à un délai du Brexit. Les Tories ont toutes les raisons d’être satisfaits de la tournure prise par la conférence. Mais ce n’est que la détermination de Boris Johnson qui a obtenu le nouveau résultat. 

- L’opinion britannique, depuis de longues semaines, ne bouge pas. Elle soutient Johnson et Corbyn est au plus bas dans les sondages. Les Remainers du Parlement ont crié au coup d’Etat quand Johnson a ajourné le Parlement. Il est resté stable dans les sondages. Si une élection a lieu demain, Johnson gagne. Et il a rendu évident que ses adversaires essaient de contourner le peuple en repoussant l’échéance électorale inéluctable. Get it done ! 

La Brexiteer par excellence: la mère de Boris ! 

Rien ne résume mieux l’attitude fondamentale de Boris Johnson que l’humour avec lequel il a ridiculisé les médias qui avaient monté en épingle la démission de son frère du gouvernement et imaginé une grosse dispute familiale. En plein milieu de conférence, Johnson a expliqué qu’il n’avait pas abattu sa dernière carte: sa mère, le vrai chef de famille, explique-t-il, qui a voté Leave. Eclats de rire, applaudissements, émotion contenue dans la salle ! Génial présentation des choses car Johnson ne peut pas se réclamer de la Reine mais au fond c’est la figure maternelle du Royaume Uni qui se dresse en arrière-plan. Et puis Madame Johnson devient le symbole de tous les Brexiteers volés de leur victoire depuis trois ans. Le trublion Boris rappelle que tout Britannique est un rebelle qui n'accepterait pas que l’on mît en cause la transmission d’une génération à l’autre de  l’héritage de la liberté. Get Brexit done ! dit Madame Johnson alors le petit Jeremy Corbyn se tient devant elle, les pieds en dedans, la tête baissée et les mains pleines d’encre du mauvais élève qu’il est. 

Le Premier ministre, alors, devient plus grave: c’est sa mère, explique-t-il, qui lui a inculqué le sens de l’égalité entre les hommes. C’est elle qui lui a fait comprendre l’importance des hôpitaux et des services publics. Boris se lance alors dans un vigoureux plaidoyer pour une Grande-Bretagne équilibrée, en particulier grâce à la mise en place d’investissements dans l’ensemble du pays. Une nouvelle page du conservatisme britannique est en train de s’écrire. Le Premier ministre britannique renoue avec la tradition conservatrice du compromis entre les classes dirigeantes et les classes populaires. Il évoque Margaret Thatcher, cette autre mère de la nation, non pour dénoncer le néo-libéralisme mais pour rappeler au monde que son pays a toujours un temps d’avance. Ce sont les conservateurs européistes qui ont trahi Margaret Thatcher alors qu’elle venait de montrer au monde la voie d’un retour aux libertés. On ne peut pas finir une conférence du parti conservateur où il s’agit du Brexit sans évoquer Margaret Thatcher, venu s’asseoir sur la scène aux côtés de la Reine et de Madame Johnson. 

Outre l’humour, tout le discours était imprégné d’un patriotisme tranquille, d’une vraie fierté de toutes les réussites britanniques. Lorsqu'il fait allusion aux 2,4 milliards d’habitants du Commonwealth, il suscite un tonnerre d’applaudissements. Le patriotisme britannique, aussi modéré soit-il, est revenu habiter au parti conservateur. Et Boris Johnson a décidément montrer qu’il surclassait tous ses adversaires, britanniques ou européens. Il y aura bien des péripéties. Mais on pourra dire bientôt, le Brexit est une partie qui se joue à 28, où, à la fin, c’est Boris qui gagne. 

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