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L’Europe à l’épreuve de la validation des commissaires européens
©FREDERICK FLORIN / AFP

Attention terrain miné

Les Eurodéputés ont rejeté cette semaine les candidats hongrois et roumain à la Commission européenne. La Hongrie a décidé de proposer un nouveau candidat.

Christian Lequesne

Christian Lequesne

Christian Lequesne a étudié à Sciences Po Strasbourg ainsi qu'au Collège d'Europe à Bruges et a été directeur du CERI (Centre d'Etudes et de Recherches Internationales) rattaché à Sciences-Po Paris.
 
Il est notamment l'auteur de l'ouvrage "Les Institutions de l'Union européenne" (avec Y. Doutriaux), Paris, La Documentation Française (collection réflexe Europe), 9e édition, 2013."
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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Les Eurodéputés ont rejeté lundi les candidats hongrois et roumain à la Commission européenne. La Hongrie vient de proposer un nouveau candidat, l'ambassadeur hongrois à Bruxelles, Oliver Verhelyi. Dans quel contexte géopolitique de crise entre l'est et l'ouest des pays membres de l'Union est-ce que cet événement s'inscrit ? 

Christian Lequesne : Il y a effectivement une tension avec l’Europe centrale au sein de l’UE qui est liée à deux facteurs. D’abord, le fait que dans certains pays d’Europe centrale, on a clairement des gouvernements populistes illibéraux. Il y a bien sûr des différences : Babis, le premier ministre tchèque, ne représente pas exactement le même populisme que celui d’Orban en Hongrie. 

Le deuxième facteur, ce sont les séquelles de la crise des réfugiés syriens. Lorsque celle-ci s’est posée en 2015, il y a eu un vrai front commun des pays d’Europe centrale pour ne pas accepter des réfugiés. Cela a été un point de tension important avec les autres Etats membres, et en particulier les grands Etats membres comme l’Allemagne et la France. 

Il y a donc effectivement encore des lignes de clivage est-ouest au sein de l’UE, bien que sur biens des dossiers, ces lignes se sont réduites. Il faut néanmoins éviter de stigmatiser les pays d’Europe centrale. Ils ont une telle mémoire victimaire, un tel rapport à l’hégémonie des grands, qu’il faut éviter à chaque fois que cela est possible de les réactiver. C’est pour cela qu’il faut hésiter de traiter l’Europe centrale comme un bloc, mais considérer que ces pays sont différents et ont des intérêts différents en fonction des politiques de l’UE.

Edouard Husson : A priori, le rejet de la candidature de M. Laszlo Trocasanyi et Mme Rovana Plumb est motivée par des soupçons ou des risques de conflits d’intérêt. La réalité de ces rejets, impossibles à contourner, par le Parlement européen, donne l’impression d’une installation de mécanismes institutionnels correspondant à l’état de droit. Le problème, c’est le contexte dans lequel se déroulent ces deux rejets: celui de tensions croissantes entre l’Europe qui a connu le régime totalitaire communiste pendant quarante ans; et l’Europe de l’Ouest, celle de « l’identité heureuse »,  aujourd’hui menacée par l’emprise d’un totalitarisme mou, le progressisme, qui ne supporte pas la culture politique de l’Est européen. Pendant longtemps l’adhésion commune, en apparence, au libéralisme politique et économique, a maintenu une forme d’unité en Europe. Mais la radicalisation progressiste à l’Ouest, avec son relativisme culturel et son immigrationnisme, a rompu cette unité. Il est significatif que les plus offensifs contre les candidats présentées par la Roumanie et la Hongrie aient été menés en priorité par les Verts et les libéraux de Renew. 

Comment peut faire l’Union Européenne pour gérer ces refus du Parlement européen ? D’un côté, en attendant que ces tensions est-ouest s’apaisent, elle prend en effet le risque que la culture démocratique se dissolve. De l’autre, si elle tranche définitivement, elle risque de faire ressortir les problèmes existentiels de l’UE autour de l’unité non seulement politique mais culturelle des pays membres.

Christian Lequesne : Les refus ne se sont pas opérés en fonction des situations politiques nationales, mais du respect par les candidats d’un code de conduite. Dans les deux cas, pour M. Trocsanyi, le candidat hongrois, et Mme Plumb, la candidate roumaine, le Parlement a pointé des soupçons forts de conflits d’intérêt. C’est uniquement sur cette base individuelle que les deux candidatures ont été rejetées. La tension est pourtant là, j’en conviens. Comment la gérer?

La vigilance qu’il faut avoir du côté de l’Union européenne, c’est déjà de ne pas faire un amalgame simplificateur entre Europe centrale, corruption et illibéralisme. Dans le traitement des candidatures, il est ainsi important de rappeler que pour la candidate tchèque et le candidat slovaque, il n’y a eu aucun problème. Le message qui doit être porté est clair : il n’y a pas de rejet systématique des candidats présentés parce que l’Europe centrale serait politiquement au banc des accusés. Il ne faut surtout pas donner l’impression à l’Europe centrale qu’elle serait dans le collimateur des autres Etats membres. Si les commissaires présentés par l’Europe centrale respectent les règles, tout va bien.

Plus généralement, il faut que les grands Etats de l’UE associent les pays d’Europe centrale aux coalitions qu’ils forment chaque fois que cela est possible. Si vous parlez de l’avenir de la défense européenne, il est possible de compter sur les tchèques et les slovaques. Si vous parlez de la réforme de la zone euro, il est possible d’avancer avec les slovaques. Et c’est bien ce qui se passe car n’oublions tout de même jamais que cela fait 15 ans que les pays d’Europe centrale ont adhéré. Sur l’essentiel, ils se sont socialisés à la négociation européenne.

Edouard Husson : Nous avons la confirmation de ce qui était prévisible dès l’origine: la Commission européenne sera faible car l’Union européenne est traversée de divisions de plus en plus fortes entre les pays et au sein de chaque pays. Le développement d’un ordre institutionnel libéral n’est qu’apparent. Il ne pourrait s’enraciner que dans un peuple européen, qui n’existe pas. Un fonctionnement raisonnable consisterait par conséquent à accepter le candidat présenté par chaque gouvernement national. Mais le Parlement européen veut s’affirmer comme un parlement capable de s’opposer à la constitution d’un exécutif qu’il n’aurait pas validé. On joue à la République européenne. Cela ne peut que mal tourner tant il est vrai que les positions vont se figer, partout, à l’Est comme à l’Ouest. Ursula von der Leyen sera une présidente de la Commission européenne faible.

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