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Politique énergétique : avec Nordstream, c’est l’indépendance de l’Europe qui est en jeu
©John MACDOUGALL / AFP

Union européenne VS Russie

Alors que l’UE a été construite pour assurer au maximum l’indépendance énergétique de l’ensemble de notre continent, la question de notre indépendance énergétique a donc été laissée entre les mains des Allemands. Ces derniers se retranchent derrière le seul aspect économique de Nord Stream 2, feignant d’ignorer ses répercussions géopolitiques pourtant considérables. L’Allemagne doit faire valoir les intérêts européens face à l’entreprise russe.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Si « l’énergie est notre avenir », comme le dit le slogan, cet avenir se joue à l’échelle européenne. Indispensable au fonctionnement d’une société moderne, la politique énergétique avait déjà été perçue comme une priorité stratégique par les Pères fondateurs de l’Union européenne, avec dès les années 1950 la constitution de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (EURATOM), toutes deux piliers de ce qui allait devenir la Communauté, puis l’Union européenne (UE). Malheureusement, au lieu de les rassembler, l’enjeu énergétique divise aujourd’huiles États membres de l’Union, incapables de dépasser leurs intérêts particuliers pour faire front commun. 

Sur le plan énergétique, les enjeux auxquels fait face l’UE sont pourtant colossaux : assurer notre approvisionnement tout en préservant notre indépendance, mettre en œuvre la transition énergétique tout en maintenant des coûts supportables pour nos concitoyens et nos entreprises. Malheureusement, cette désunion – en premier lieu due à l’attitude unilatéraliste de l’Allemagne, n’est pas sans conséquence sur notre dépendance vis-à-vis de l’extérieure, et cette dépendance aura à n’en point douter des conséquences géostratégiques inévitables à moyen- et long-terme.

UE-Russie : les risques de la dépendance

L’Union européenne importe plus de la moitié (54 %) de ses besoins en énergie à des pays soumis à d’importants risques géopolitiques ou climatiques. Douze des vingt-huit États membres de l’UE, dont l’Allemagne et l’Espagne, dépendent ainsi à plus de 60 % des importations russes ou moyen-orientales. La position vis-à-vis de la Russie est un véritable révélateur des dissensions énergétiques européennes. Premier fournisseur de gaz naturel des vingt-huit, Moscou fournit à l’Europe environ 20 % du gaz qu’elle consomme, et même 90 % des besoins de pays d’Europe centrale ou orientale. Une dépendance énergétique qui devrait, à la faveur de l’augmentation de nos consommations, fortement s’accroître au cours des prochaines années, la Commission européenne estimant de son côté que 70 % de nos besoins énergétiques devront être assurés par les importations d’ici vingt ou trente ans. Une dépendance qui pose de très sérieuses questions géopolitiques quand on voit que la Russie n’a pas hésité à contribuer — pour rester diplomatiquement correct —à l’invasion armée de pays européens voisins de l’UE.

Le projet de gazoduc Nord Stream 2, un pipeline d’une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes — soit 11 % de la consommation de l’UE — reliant la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, met cruellement en lumière les failles européennes en matière de politique énergétique. Estimée à près de 10 milliards d’euros, la construction du gazoduc, qui devrait être achevée en 2020, suscite deprofondes divisions sur le Vieux continent.

Avec ce gazoduc 30 % des importations gazières de l’UE transiteront par l’Allemagne, contre seulement 15 % actuellement, conférant à l’Allemagne une position de véritable « hub gazier » européen – privant ainsi de nombreux pays, comme la Pologne, l’Ukraine ou la Slovaquie, de toute marge de manœuvre commerciale et diplomatique et, in fine, de leur sécurité énergétique et donc nationale. De plus, exception à la règle, Gazprom est à la fois propriétaire et utilisateur du gazoduc — une confusion qui lui permet de fixer seul le prix global du gaz qui sera vendu à l’UE. Le risque est que l’UE devienne dépendante d’un seul producteur — Gazprom — qui, loin d’être une simple entreprise privée, est l’un des principaux leviers d’influence géopolitique de la Russie de Vladimir Poutine.

Alors que l’UE a été construite pour assurer au maximum l’indépendance énergétique de l’ensemble de notre continent, la question de notre indépendance énergétique a donc été laissée entre les mains des Allemands. Pressés de toute part, ces derniers se retranchent derrière le seul aspect économique de Nord Stream 2, feignant d’ignorer ses répercussions géopolitiques pourtant considérables. L’Allemagne, qui négocie seule et directement avec à Gazprom, doit faire valoir les intérêts européens face à l’entreprise russe.

Reste désormais à savoir si Berlin en est capable, elle qui était contre la directive européenne qui oblige à dissocier fournisseur et producteur — ce que le projet Nord Stream 2ne respecte pas pour le moment. Le doute est d’autant plus permis quele gazier russea eu l’habileté de nommer l’ancien chancelier Gerard Schröder à la Présidence de Nord Stream 2. Nous pouvons également nous interroger sur la volonté de l’Allemagne de faire prévaloir les intérêts collectifs de l’Europe dans ce dossier, elle qui a tourné le dos au nucléaire et qui a plus que jamais besoin de gaz et dont l’économie est proche de la récession.

Le cas Nord Stream 2 illustre de manière malheureuse et inquiétante que seule une véritable Union européenne de l’énergie pourra assurer notre indépendance énergétique et, in fine, notre souveraineté réelle – la souveraineté ici passe par l’Europe, mais une Europe qui pourra défendre l’intérêt de l’ensemble des Etats-membres, et non pas ceux d’un seul de ses membres, aussi puissant soit-il.

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