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De l’Arabie saoudite à Gaza, le Moyen-Orient est-il au bord de la conflagration généralisée ?
©AFP

Spectre de la guerre

Deux des plus importants sites pétroliers d’Arabie saoudite ont été dévastés samedi dernier par une attaque revendiquée par les rebelles houthistes du Yémen, dans un contexte déjà explosif.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Deux des plus importants sites pétroliers d’Arabie saoudite ont été dévastés samedi dernier par une attaque revendiquée par les rebelles houthistes. Dans quel conflit global s’inscrit en réalité cette attaque ?

Ardavan Amir-Aslani : Il est vrai que l’Arabie Saoudite est engagée dans une guerre meurtrière au Yémen. Il est aussi vrai que dans ce conflit tragique 30,000 civils au moins y ont laissé la vie sous les bombardements indiscriminés saoudiens. Cette guerre déclenchée par le prince héritier saoudien, Mohammad Bin Salmane, et qualifiée de tempête décisive n’a de décisive que le désastre humanitaire qu’elle a causé avec des millions de civils au bord de la famine et du choléra. C’est dire que les Houthis ont des raisons d’en vouloir aux Saoudiens ! Mais de là à considérer qu’ils maitriseraient la technologie des drones à propulsion, capable de contourner la surveillance de l’espace aérien saoudien contrôlé par les américains, c’est le pas de trop. Il est donc incontestable que ces drones leurs ont été fournis par les iraniens qui, eux, ont une maitrise réelle sur la technologie qui va avec.

Il y a un mois j’aurai pu imaginer que ce soit les américains qui auraient déclenché l’attaque dans l’espoir de créer un conflit militaire avec l’Iran. Or, avec le licenciement de John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale et véritable faucon anti-iranien, du fait de sa pensée beaucoup trop va-t’en guerre aux yeux de Trump, je vois difficilement une main étrangère et la théorie du complot à l’œuvre ici. Cela fait, en effet, des semaines que Trump crie à qui veut l’entendre qu’il est disposé à négocier avec les iraniens sans conditions préalables. Il est donc difficile d’imaginer que les services américains soient derrière cette attaque comme ce fut probablement le cas dans les attaques de tanker il y a quelques mois. Trump qui caressait l’espoir de rencontrer le Président iranien en marge de l’assemblée générale des nations unies la semaine prochaine espérait une désescalade et non un embrasement. Or, au vu de cette attaque contre les infrastructures pétrolières saoudiennes, on voit difficilement comment une telle rencontre pourrait avoir lieu dès lors qu’il soit établi que ce sont les iraniens qui ont été à la manœuvre.

Il faut donc appréhender cette attaque comme une surenchère iranienne visant à monter les enjeux avant la tenue des négociations bilatérales entre l’Iran et les Etats-Unis.

Les services israéliens qui sont maitres dans l’art de la tromperie (la devise du Mossad est « par la ruse nous vaincrons ») pourraient être soupçonnés également, eux qui ne voient pas d’un bon œil le souhait de rapprochement de Trump avec l’Iran et qui chercheraient ainsi à faire capoter toute tentative de négociation. A cet égard le premier ministre israélien n’a pas caché son mécontentement à l’occasion de la rencontre entre le ministre iranien des affaires étrangères et le Président français à Biarritz, la semaine dernière lors du G7. A l’occasion d’un show médiatique, il a même tenté de démontrer l’existence d’un site nucléaire caché en Iran sans convaincre grand monde. Mais je ne crois pas à la thèse du complot sur cette attaque.

Thierry Coville : Il y a deux conflits qui sont interdépendants. Il ne faut pas oublier qu’il y a cette guerre entre la coalition menée par l’Arabie saoudite, les EAU et les houthis. En toile de fond, il y a cette tension entre l’Iran et les Etats-Unis depuis la sortie des Etats-Unis de l’Accord du nucléaire depuis mai 2018.

Assiste-t-on à de simples escarmouches entre Iran et Etats-Unis ou est-ce qu’il y a un risque de voir ce conflit s’envenimer et une guerre se déclencher ?

Ardavan Amir-Aslani : Là on est au-delà des escarmouches. Le contexte est particulièrement explosif. L’aviation israélienne ouvertement bombarde les positions des gardiens de la révolution et leurs alliés en Iraq et en Syrie. Des heurts ont eu lieu pendant quelques heures sur la frontière sud du Liban et de l’Etat hébreux entre le Tsahal, l‘armée israélienne, et le Hezbollah pro-iranien. Un drone américain a été abattu par des iraniens, des tankers ont été pris pour cible. C’est donc difficile d’imaginer qu’une attaque d’une telle ampleur puisse être appréhendée comme une simple escarmouche. Quand 5% de la consommation pétrolière mondiale est mise hors-jeu, s’il devait s’avérer que les iraniens sont directement impliqués, on voit difficilement comment Washington pourrait rester neutre et ce en dépit de la volonté d’apaisement qui semble y régner en ce moment.

Thierry Coville : La stratégie iranienne a changé depuis mai 2019. Les Etats-Unis sont sortis de l’accord et pendant un an, les Iraniens ont appliqué une politique de patience stratégique. Ils ont respecté l’accord, et ils ont demandé aux Européens de les aider. Les Européens n’ont rien fait. Il y a eu par ailleurs un changement de l’environnement politique en Iran. Tout cela a abouti à une nouvelle stratégie.

Il y a plusieurs éléments dans cette stratégie. Ils ont commencé à sortir de l’accord sur le nucléaire depuis mai 2019, de manière graduelle. Et conjointement, il y a tous ces incidents dans le Golfe persique : l’Iran veut faire mettre la tension. Il s’agit de montrer aux Etats-Unis que leur politique de pression maximale a un coût. En revanche, il s’agit aussi de rester à la limite, parce que les Iraniens ne veulent pas d’une guerre avec les Etats-Unis, ils ne feraient pas le poids. C’est aussi un signe envoyé aux Européens qui signifie : faites quelques chose, contrez les sanctions américaines. La politique étrangère iranienne est toujours très calculatrice.

Les stratèges américains les plus virulents ont quitté la Maison Blanche. Est-ce vraiment de l’intérêt des Etats-Unis de mener une guerre ouverte ?

Ardavan Amir-Aslani : La question est pertinente. La sortie de John Bolton est un signe d’apaisement que Washington adresse aux iraniens. Cependant, l’envergure de l’attaque des sites saoudiens est telle que Washington ne peut pas ne pas réagir. Surtout à un moment où du fait de la sortie de John Bolton les Faucons mettent la pression sur Trump afin qu’il démontre que face à une telle agression l’Amérique ne demeurera pas inerte et réagira. D’où l’expression « locked and loaded » (prêt à tirer) employée par Trump suite à cette attaque. Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain, a été, comme à l’accoutumé et de manière péremptoire, prompt à en attribuer la responsabilité aux iraniens.

Or, les mêmes raisons qui ont prévalu contre la volonté américaine de frapper l’Iran lors de la destruction du drone américain par les iraniens peuvent de nouveau peser. Les iraniens riposteront en cas d’attaque américaine contre leur territoire et ce pas seulement en Iran. La réaction iranienne visera les positions américaines en Iraq, en Syrie, en Afghanistan dans les pays arabes du Golfe Persique, contre les porte-avions américains dans la région. Une véritable guerre peut donc se déclencher.

Thierry Coville : Donald Trump est mal à l’aise sur cette question. Il ne veut pas d’un conflit avec l’Iran. Il a refusé de répondre militairement et d’attaquer l’Iran alors que des hommes comme John Bolton le poussaient. Il a évoqué plusieurs fois l’idée qu’il voulait rencontrer les dirigeants iraniens. On sent bien qu’il veut sortir de cette stratégie. En revanche, il veut montrer qu’il garde toujours le contrôle.

Les Européens, notamment les Français, ont proposé aux Etats-Unis le plan suivant : les Etats-Unis doivent accepter que les Iraniens aient une ligne de crédit de 15 milliards de dollars pour compenser l’impact des sanctions américaines, ce qui ouvrirait la porte à une éventuelle rencontre entre Rohani et Trump. Bolton était opposé à cela, ce qui aurait conduit, entre autres questions, à son départ. Trump n’est donc pas sur la ligne des va-t-en-guerre avec l’Iran, mais ces éléments existent.

Donald Trump, suivant la stratégie du parti républicain, est dans cette politique de pression maximum contre l’Iran. Mais le problème, c’est que s’il ne veut pas la guerre, il faut bien sortir de cette stratégie ! Va-t-il accepter la médiation européenne ? Et de revenir sur les sanctions américaines ? Cela va être difficile pour lui. 

Les tensions sont aussi très fortes en Israël. En cause, les attaques répétées du Hamas qui annoncent probablement une intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza. Quel est le risque d’un dérapage sur d’autres fronts ? 

Ardavan Amir-Aslani : La guerre est déjà lancée entre l’Iran et Israël avec des bombardements quasi quotidiens des positions des iraniens et de leurs alliés en Iraq et en Syrie. Gaza n’est que le sommet visible de l’iceberg. Mais aussi bien les américains que les israéliens savent que l’Iran c‘est aussi l’Iraq avec 300,000 hommes en armes ayant prêté allégeance au Guide Supreme iranien, les fameux mobilisés ou les Hash AL-Sha’abi ; c’est aussi la Syrie avec les 150,000 centurions des brigades Alaouite ; c’est également le Hezbollah, l’infanterie légère la mieux entrainée au Monde, sans oublier les Houthis au Yémen etc… le dérapage en cas de conflit sera généralisé. Aucun pays de la région ne sera épargné. Même l’Europe sera touchée avec une nouvelle vague migratoire sans précèdent. Tout ceci fait que la raison peut aussi prévaloir. Les iraniens sont en train d’essayer de voir jusqu’où ils peuvent pousser le bouchon. L’absence de réaction américaine après la destruction de leur drone, par un missile sol-air iranien a enhardi les iraniens qui ont vu une absence totale d’appétit de la part de Washington pour un conflit militaire. Après tout, Trump se fait élire entre autres, sur la promesse de ramener les troupes américaines au pays et non pour participer à une nouvelle guerre régionale. Les voix de la raison peuvent donc encore prévaloir surtout que cette situation est la conséquence directe du retrait américain de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015. Washington a donc une lourde responsabilité dans le chaos actuel.

Thierry Coville : Il est évident qu’à partir du moment où les Etats-Unis sont sortis de cet accord sur le nucléaire, en mai 2018, à partir du moment où les Européens ont été incapables de contrer les sanctions américaines, on savait très bien que si l’Iran changeait de stratégie, comme l’Iran a des alliés dans la région, les tensions allaient être beaucoup plus importantes. Les alliés de l’Iran ont leurs propres agendas, certes, mais la sortie de l’accord leur permet de mener leur stratégie. Et à partir du moment où les tensions montent entre Iran et Etats-Unis, chaque action d’un allié de l’Iran peut être interprétée comme une action directe de l’Iran. Mike Pompeo n’a pas attendu de ce point de vue. Donc tout cela peut rapidement déclencher un conflit généralisé.

Cela étant, personne ne veut vraiment du conflit, parce que si conflit il y a, il ne sera pas limité à un pays, il sera régional. Ce serait une catastrophe pour tout le monde. Il y a une forme de prudence générale.

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