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Solde migratoire négatif pour la France : pourquoi même Eurostat en perd son latin
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Chiffres

Les données communiquées par Eurostat sur les soldes migratoires indiquent un solde négatif pour la France depuis 2015. Ces éléments apparaissent comme une incohérence statistique avec ce qui est constaté grâce à d'autres indicateurs.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Les dernières données Eurostat sur les soldes migratoires indiquent que ce solde est négatif pour la France depuis 2015. Ces chiffres peuvent surprendre. Comment expliquer ce qui apparaît comme une incohérence statistique avec ce qu'on constate sur d'autres indicateurs ?

Laurent Chalard : Effectivement, dans le contexte de crise migratoire européenne de 2015 et d’explosion de la demande d’asile en France ces dernières années, la possibilité que le solde migratoire de la France puisse être négatif (de – 41 590 personnes en 2017 selon Eurostat), c’est-à-dire que les sorties définitives de population excèderaient les arrivées, paraît, pour la quasi-totalité des experts, peu vraisemblable, d’autant que les données officielles de l’Insee affichent (pour la France métropolitaine) un solde migratoire positif de + 52 320 personnes en 2015 et de + 66 000 personnes par an pour les années 2016, 2017 et 2018. Comment donc expliquer cette incohérence entre les données fournies par l’Insee et celles d’Eurostat ?
En fait, cette différence s’explique tout simplement par un biais statistique. L’Insee a changé son questionnaire de recensement de la population depuis 2018 pour mieux tenir compte de la multirésidentialité des français et donc corriger les éventuels double-compte. Il s’ensuit que les nouvelles données conduisent provisoirement à ajuster, ce qui n’était probablement pas attendu,fortement à la baisse la population de la France, de près de 500 000 personnes, les données des précédents recensements incluant beaucoup de double-compte. Dans ce cadre, plutôt que de corriger rétrospectivement à la baisse le solde migratoire de la France depuis le dernier recensement exhaustif de 1999, l’Insee a choisi de répartir la diminution de la population sur sept années, entre 2016 et 2022. En conséquence, le solde migratoire positif constaté chaque année depuis 2015 est plus qu’annihilé par l’ajustement statistique à la baisse. Par exemple, pour 2015 ce dernier est de – 63 000 personnes contre un solde migratoire de + 52 320 personnes, ce qui donne à l’arrivée un « déficit » de plus de 10 000 personnes. Pour les années suivantes, l’ajustement approchant les 100 000 personnes, le « déficit » migratoire est donc plus important, supérieur à 40 000 personnes. D’une certaine matière, les tripatouillages statistiques de l’Insee ont fait perdre son latin à Eurostat !

Ces statistiques sont souvent utilisées dans le débat public. Si leur fiabilité est soumise à caution, quels indicateurs peuvent être privilégiés pour comprendre la situation de l'immigration en France ?

Depuis de nombreuses années, plusieurs experts, dont l’auteur de ces lignes, s’évertuent d’expliquer dans les médias que la France manque de données statistiques fiables sur l’immigration, les données du recensement rénové n’étant pas satisfaisantes, ce qui rend les interprétations des variations de ce solde sur le long terme très fragiles, nourrissant les fantasmes des uns et des autres et ne permettant pas à la puissance publique de prendre mesure de la réelle ampleur du phénomène. En effet, à l’heure actuelle, il n’existe pas une donnée optimale conduisant à déterminer un solde migratoire fiable de l’hexagone.
Concernant les personnes non originaires de l’Union Européenne, nous avons des données fournies par le Ministère de l’Intérieur sur les permis de séjour accordés chaque année ainsi que des données sur les premières demandes d’asile, ce qui permet d’avoir une information sur les entrées. Mais, nous ne disposons d’aucun chiffre sur les sorties de ces populations, ce qui est problématique pour établir un solde migratoire fiable. Par ailleurs, concernant les personnes originaires de l’Union Européenne ou de nationalité française, nous n’avons aucune statistique de mesure directe sur les entrées et les sorties du territoire hexagonal. Un flou total règne, seules des tendances pouvant être déterminées. Concernant l’immigration extra-Union Européenne, le solde migratoire est fortement positif avec une probable tendance à l’augmentation sur le long terme si l’on en croît la hausse des titres de séjour délivrés et des premières demandes d’asile. A contrario, le solde migratoire des nationaux serait négatif, du fait de la hausse continue du nombre d’inscrits dans les consulats étrangers, un déficit plus accentué aujourd’hui que par le passé.

Ce que décrivent ces indicateurs, ce sont des logiques de flux migratoire. Qu'en est-il si on regarde les populations immigrées présentes sur le territoire ? A-t-on des indicateurs pertinents et quelle réalité décrivent-ils ? 

Finalement, à défaut d’avoir des données statistiques fiables sur les flux migratoires, on peut se reporter sur l’évolution des stocks de population immigrée pour essayer de déterminer la tendance, tout en gardant en tête que ces chiffres sont eux-mêmes dépendant de la bonne qualité du recensement, ce dont rien n’est moins sûr comme le montre les ajustements conséquents de l’Insee. Selon ces données, la population immigrée augmente régulièrement en France depuis 1999, en particulier pour les populations extra-européennes. On est passé de 4,3 millions d’immigrés en 1999 à 6,1 millions en 2016, dont près de la moitié sont originaires du continent africain. Selon ces données, pour l’année 2015, la population immigrée en France métropolitaine a augmenté de 113 200 personnes, soit sensiblement plus que le solde migratoire officiel de l’Insee (+ 52 320 personnes) et bien loin du déficit migratoire d’Eurostat !
A contrario, concernant la population des nationaux, il est possible de déterminer un déficit migratoire de plusieurs dizaines de milliers de personnes car le nombre de personnes recensées est inférieur à ce qu’il devrait l’être à solde migratoire nul, sous réserve, bien évidemment, de la fiabilité de la collecte effectuée par l’Insee d’une année sur l’autre… Quoi qu’il en soit, si le solde migratoire de la France est forcément positif, il conviendrait cependant que l’Etat central tape du point sur la table pour obliger la statistique publique à tenir une comptabilité migratoire de meilleure qualité, indispensable pour la bonne gestion de ce sujet sensible. 

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