Une affaire d'espionnage qui casse les mythes si prisés du public<!-- --> | Atlantico.fr
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Elena Vavilova et son mari
Elena Vavilova et son mari
©Capture d'écran

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Elena Vavilova espionne pour le compte du KGB, puis du SVR, publie une fiction basée sur sa propre expérience dans laquelle elle détaille comment l'URSS recrutait et formait ses Officiers Traitants.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Elena Vavilova alias Tracey Lee Ann Foley et son époux Andrei Bezroukov alias Donald Howard Heathfield ont été arrêtés à leur domicile de Boston en 2010 avec dix autre "illégaux" du SVR (Service des renseignements extérieurs de la fédération de Russie, Sloujba vnechneï razvedki Rossiskoï Federatsi) dans la plus grande rafle d’espions effectuée aux États-Unis (opération baptisée Ghost stories par le FBI) dont la plus médiatisée est Anna Chapman. Cette dernière répondaient aux mythes véhiculés par le cinéma : véritable James Bond girl - elle a ensuite fait carrière comme mannequin -, elle s'est en fait révélée être une bien piètre espionne qui a coûté fort cher à ses employeurs moscovites sans jamais être rentable! 

Il n'empêche que les dix clandestins ont été échangés sur l’aéroport de Vienne le 9 juillet 2010 contre quatre taupes russes dont la plus célèbre reste Sergei Skripal qui a été la victime (avec sa fille) d’une tentative d’empoisonnement ratée au Novitchok en 2018 à Salisbury en Grande-Bretagne.

Plus sérieusement, Vavilova a publié une fiction basée sur son expérience d’espionne intitulée "la femme qui peut garder des secrets". Elle y détaille comment les KGB du temps de l’URSS (puis le SVR qui a pris le relais de la Première Direction principale chargée de l'espionnage à l'étranger) recrutait et formait ses Officiers Traitants (OT) dont une petite partie était envoyée comme clandestins à l’étranger, la majorité rejoignant des représentations diplomatiques et agissant sous couverture, généralement de Premier secrétaire ou d'attaché culturel. Dans son cas, elle a rencontré son époux à l’Université de Tomsk en Sibérie dans les années 1980. Ce n'est qu'ensuite qu'ils ont été sélectionnés par le KGB pour subir une longue formation avant d’être envoyés clandestinement à la fin des années 1980 au Canada. En fait, le couple s'est vu attribuer l’identité de deux enfants canadiens décédés ce qui constitue une technique souvent employée par les services pour forger des identités fictives. Du Canada, ils ont ensuite migré aux États-Unis en 2000.

La formation initiale comportait des cours d’anglais et de français intensifs mais aussi de comportement pour réussir à vraiment passer pour des natifs canadiens alors qu’ils n’avaient jamais mis les pieds hors de Russie. Bien que mariés avant leur départ, ils ont rejoint le Canada séparément où ils se sont rencontrés "par hasard" avant de se marier une seconde fois en utilisant leurs identités fictives canadiennes. Cela a renforcé leur couverture puisque de faux papiers ils sont passés à la détention de "vrais-faux" papiers. Vavilova parlait un anglais parfait mais avec un accent slave très perceptible. Elle utilisait son "origine" québécoise pour justifier ce fort défaut de prononciation. Les époux ont d'ailleurs toujours pris garde à ne jamais parler russe entre eux. Durant ses dernières années de vie à Boston, Vavilova travaillait comme fonctionnaire locale et adressait de nombreux messages codés à Moscou. L’union du couple a donné naissance à deux enfants, Alex et Tim, qui étaient âges de 16 et 20 ans quand leurs parents ont été arrêtés par le FBI en 2010. Ils pensaient sincèrement que leurs parents étaient canadiens. Ils ont été renvoyés en Russie (dont ils ne connaissaient pas la langue) et la nationalité canadienne leur a été retirée. Ils se battent depuis pour retrouver leur nationalité d'origine (ils sont nés au Canada) et bénéficient d'un passeport canadien à titre temporaire jusqu'à ce que les jugements des derniers recours intentés devant la justice aient été rendus.

Une série canadienne intitulée "les Américains" a été réalisée en 2013 à partir de la vie de cette famille hors normes. Par contre, Valvilova qui a visionné les épisodes de la série affirme que les scènes de meurtres, de sexe et les dilemmes psychologiques qui émaillent la série sont pure imagination. Le couple n’a jamais fait appel à la violence ni à des déguisements qui attirent tant le public en mal de sensations fortes. Les seuls dilemmes psychologiques apparus étaient les querelles que tous les couples connaissent. Toutefois, la différence est que le leur, en dehors des sentiments d'amour, était uni par une même idée de "la mission" qu'ils remplissaient. C'est un sentiment très puissant qui permet de surmonter les difficultés de la vie quotidienne parfois bien morne. 

En fait, la vie d’un illégal (mais aussi d'un "officiel" dans une ambassade) ne ressemble en rien à celle d’un James Bond. Si une personne se livrait aux mêmes activités que ce personnage de fiction (arme portée en permanence, séduction de tout ce qui passe à portée, voitures de luxe conduites à tombeau ouvert, etc.), il serait immédiatement repéré par les services de contre-espionnage locaux et neutralisé. La vie d'un OT, "clandestin" ou "officiel" est faite de routine et souvent d’ennui. Sur le plan personnel, un "illégal" coupe toute relations avec sa famille à l'exception de très rares visites clandestines dans son pays d'origine. Ainsi Tim et Alex, durant leur jeunesse,  n'ont jamais connu de grands parents, d'oncles, de tantes, de cousins, etc. C'est peut-être ce qui est le plus dur à vivre. Il a fallu que leurs parents respectent la légende qui leur avait été construite, même vis-à-vis de leurs enfants. En ce qui concerne le travail d' "espion", Voltaire qui a été un agent secret occasionnel aurait déclaré: "point d'aigle en ce métier mais que des moineaux picoreurs" (qui ramènent des bribes d'informations qui, mises bout à bout, font le pain béni des analystes). Bien sûr, lors de leur formation, les futurs OT clandestins ont appris comment se défendre à mains nues ou avec une arme, mais ils n’ont jamais eu à user de violence. Ces savoir-faire leur donnaient juste une certaine confiance en eux qui leur permettait d’évoluer dans des environnements divers et variés. Au risque de décevoir le lecteur, l'emploi de la violence par les services secrets est rarissime. C'est d'ailleurs souvent le signe d'un échec car un adversaire "retourné" est bien plus précieux qu'un mort qui, de toutes façons, va être remplacé généralement par quelqu'un que l'on ne connaît pas.

Selon Valvilova, tout le réseau aurait été livré par un défecteur nommé le colonel Alexander Poteyev, l'ancien directeur adjoint de la direction "S" du SVR chargée de la gestion des illégaux en Amérique du Nord. Il aurait travaillé pour les Américains à partir de 1999. Après une opération d'exfiltration réussie (proches y-compris) par la CIA terminée le 26 juin 2010, il vivrait depuis sous une fausse identité aux USA. Les membres du réseau ont commencé à être arrêtés les uns après les autres juste le lendemain de son arrivée aux États-Unis.  Sa mort a été annoncée par la presse russe en 2016 mais il n'est pas certain que ce ne soit un nouveau subterfuge lancé par les Américains pour le faire disparaître totalement des écrans radars de Moscou car, entre-temps, il avait été retrouvé par un simple journaliste d'investigation qui souhaitait l'interviewer...  Vavilova n’a jamais bien su s’il avait trahi son pays par idéologie ou pour de l'argent; l'acronyme très connu "MICE" pour "Monnaie, Idéologie, Compromission, Ego". Sans doute un peu des quatre. Il faut reconnaître que la CIA a été très performante dans cette affaire. 

À leur retour en Russie, les dix OT échangés ont été conviés au Kremlin où ils ont été décorés pour services rendus. Sur le fond, il ne semble toutefois pas qu'ils aient ramenés, les uns ou des autres, des renseignements particulièrement cruciaux et confidentiels, mais c'est une autre histoire (voir la citation de Voltaire évoquée plus avant)...

Ils ont ensuite retrouvé du travail, enseignant pour Andrei Bezroukov, consultante pour Valvilova. Elle admet aujourd'hui que le rapatriement dans la mère Patrie fut rude et qu’elle n’a pas reconnu la société qu’elle avait quittée vingt ans plus tôt. Sur le fond, elle reste une adepte de l’ancien régime (soviétique) admettant qu’il avait des défauts mais, pour elle, "toute société a des défauts". Il est d'ailleurs assez stupéfiant de constater que ces personnes qui ont vécu des années au sein de la société la plus libérale du monde (que ce soit au niveau politique, commercial ou individuel) n'aient pas été séduites par ce qui est présenté comme le modèle "universel".

Sur le plan professionnel, cette histoire démontre que des illégaux ont été placés du temps de l'URSS et n'ont pas été relevés à la fin de la Guerre froide. Si dix OT ont été découverts aux États-Unis en 2010, cela ne signifie pas qu'il n'y en a pas ailleurs (particulièrement en Europe) mais tout simplement que les services de contre-espionnage locaux ne les ont pas repérés. Cela dit, tous les pays dotés de services assez importants font de même. Ceux qui ont le plus de moyens sont les Agences américaines. Ceux qui sont le plus motivés sont les Israéliens - qui se considèrent comme étant en guerre -. Dernière déclaration en date de Benyamin Netanyahou qui doit bien motiver le Mossad : "si quelqu'un se lève pour vous tuer, tuez le le premier". Ceux qui ont une longue tradition, de l'expérience et des savoir-faire intéressants sont les Britanniques (cela posé, ils ont connus beaucoup d'échecs et ont été infiltrés par le KGB du temps de la toute puissance de l'URSS). Londres répond à cette critique que, eux, ils ont réussi à identifier les taupes, même si elles avaient fait beaucoup de mal. Comme le dit Perceval dans la série Kamelott: "c'est pas faux!". 

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