Veille de G7 : pour en finir un bonne fois avec les mythes du multilatéralisme<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Tribunes
Veille de G7 : pour en finir un bonne fois avec les mythes du multilatéralisme
©LUDOVIC MARIN / AFP

Adieux le multilatéralisme ?

On a récemment beaucoup entendu évoquer le ''multilatéralisme'', présenté comme un casus belli intellectuel entre le camp du bien, défendu par E. Macron, pro-mutilatéral et le camp du mal, nécessairement celui du Président Trump, farouchement anti.

Henri Temple

Henri Temple

Henri Temple est expert international, professeur de droit économique, co-directeur de l'ouvrage collectif de ''Qu'est-ce qu'une nation en Europe ? '' (Sorbonne).

 
Voir la bio »

Tout le monde a crié ou s'est récrié, à hue et à dia, mais personne, comme d'habitude, n'a songé à interroger les juristes et les économistes et ces derniers sont restés bien silencieux alors qu'il leur revenait, en premier lieu, de définir le concept et d'en faire une première appréciation pour éclairer et guider le débat . En effet ce concept vise la situation juridique, économique ou politique qui est instituée par un traité, et donc un contrat international entre états . Certains Traités sont bilatéraux entre deux pays (ainsi de beaucoup d'accords de coopérations internationales, notamment juridique ou judiciaire) . Les plus importants traités lient des dizaines de nations (on les dit multilatéraux pour cette raison), sont structurants, créant des institutions communes permanentes : on citera notamment parmi d'autres l'ONU, l'OTAN, l'UE, l'OMC, le Conseil de l'Europe . S'il existe toujours un traité fondateur, il se complète le plus souvent d'une masse d'actes juridiques, produits par les institutions ou par les états membres. Ces actes juridiques sont généralement indicatifs (avec tout de même une grande force morale) : ce sont les déclarations, résolutions, motions, recommandations, etc...Dans le cas les traités multilatéraux commerciaux il s'agit d'un droit dérivé supra-national qui s'impose à tous les états membres . Parfois ce droit ne s'applique, de façon identique, qu'aux personnes, produits, services et capitaux lors de leurs franchissement des frontières . Parfois ils vont jusqu'à modifier directement le droit interne des états membres : c'est le cas des Règlements UE (européens) .

Les premiers actes politiques de Donald Trump ont été de se retirer de plusieurs traités multilatéraux de libre échangisme commercial (Transpacifique) ou établissant des contraintes industrielles (accord de Paris) ; puis de renégocier le NAFTA (Canada, USA, Mexique) et enfin de mettre à mal les règles de l'OMC en instituant des droits de douanes égalisateurs de concurrence (Corée, Turquie, Chine). La terminologie a alors valsé et les uns ont parlé d'unilatéralisme alors que D.Trump, n'invoquait que le bilatéralisme . En réalité c'étaient les deux à la fois : sortie unilatérale d'un accord jugé néfaste, puis renégociation bilatérale d'un nouvelle relation estimée plus juste . Il nous paraît évident que l'on ne peut pas aborder de façon identique des traités dont l'objet et le champ ne sont pas identiques . Ainsi il y eut un traité très politique, adopté par 50 nations, lors de la Conférence de San Francisco en 1945 : la Charte des Nations Unies fondant l'ONU, puis ses Agences et ses organes . Notons que, dès 1947/48, les USA faisaient échouer la Charte de La Havane, privilégiant les décisions prises à Bretton Woods trois ans auparavant au sujet de la finance (Banque mondiale), de la monnaie (FMI) et du commerce international (GATT) . Trois sujets dont l'ONU ne s'occupera pas, et encore à ce jour . Maurice Allais, prix Nobel d'économie critiqua, en vain, les options issues de Bretton Woods : il assimila l'émission monétaire sans limites par les banques à de la fausse monnaie, affirma que le flottement des monnaies introduisait un risque nouveau dans les contrats et serait la sources du développement de produits financiers complexes, comme les produits dérivés, et soutint que le libre commerce ne se pouvait qu'entre nations ayant des systèmes économiques et sociaux de même niveau (pour des raison écologiques évidentes on devrait ajouter : et de proximité géographique) . Allais annonçait, dès 1998, une crise systémique (La Crise mondiale d'aujourd'hui, éditions Clément Juglar, Paris, 1999). Les tenants du multilatéralisme commercial se contentent de slogans très anciens datant de David Ricardo (1817), temps de la marine à voile et de l'esclavage . Et Ricardo était intellectuellement au centre d'un conflit d'intérêts puisqu'il se disait philosophe et économiste tout en étant aussi agent de change, politicien, et spéculateur en marchandises . De plus il tint des propos immondes sur la classe ouvrière .

Le président Trump constate simplement le réel : le multilatéralisme (pourtant initialement voulu par son pays), est loin d'avoir des résultats positifs sur l'économie et la société américaine ; c'est même tout le contraire .

Car le libre échangisme va mettre face à face, avec des règles supposées égales, des nations et leurs entreprises qui ne sont pas égales et ne sont pas soumises ou ne respectent pas les mêmes contraintes juridiques, fiscales, financières, sociales, environnementales . L'échange est donc gagnant-perdant et, globalement l'humanité s'appauvrit en raison d'un simple transfert de prospérité . De plus les pays en développement continuent à ne pas pouvoir développer leur industrie : le cas du coton brut africain vendu en Chine et revenant sous forme de pagne en est un exemple caricatural . Quant aux pays industrialisés on leur a raconté pendant 3 décennies l'ânerie selon laquelle leur avenir serait aux services . Services à qui sur fond d'industries délocalisées ou faillies et de chômage de masse ? Ou encore que cet avenir serait à la High tech, la Chine restant contenue dans les industries salissantes et sommaires...Qui se souvient encore que c'était là le discours de Guillaume Sarkozy, alors PDG des Tissages de Picardie lors de la fin de l'accord multi-fibres en 2005 . De cent salariés en 1980 au dépôt de bilan, justement en 2005 .

De plus, même en admettant que les combattants soient de même catégorie de poids et jouent loyalement selon les règles (ce qui n'est pas le cas) toute nation a le droit le plus fondamental de faire en sorte que ses filières de production ne soient pas anéanties . C'est ce que Friedrich List (un colbertiste) désignait comme le ''principe national d'économie politique'', estimant, après le grand Charles Dupin, qu'un pays doit défendre et développer ses forces productives . Sans l'exprimer de façon élaborée le président Trump ne dit rien d'autre . La fin du libre échangisme multilatéraliste, simpliste et brutal, est en cours . Cela se vérifie déjà de façon – pensons-nous - irréversible au niveau globaliste . Le Brexit et les crises économiques grecque, espagnole, française et italienne, l'éclatement de la bulle qui vient, vont nous obliger à des révisions totales de nos certitudes ricardiennes vieilles de 2 siècles et à refonder les traités européens qui en sont les fruits économiques amers . Aux philosophes, historiens, géographes, économistes, entrepreneurs sociologues, écologues, juristes, de reprendre la parole aux politiciens et à leurs maîtres, les spéculateurs, qui nous amenés là où nous en sommes . Les sociétés nationales, puis la société mondiale, devront être repensées à neuf, que ce soit sur le plan politique ou économique à partir de l'être humain . De bas en haut et plus jamais de haut en bas . Ceci n'exclura nullement, bien au contraire, l'identification des nouveaux principes économiques et sociaux internationaux communs . Ceux que Raymond Aron avait esquissés (Paix et Guerre entre les nations) sont largement obsolètes : le monde a changé ; et nous guère .

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !