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G7 à haut risque : des compromis sont-ils possibles dans le monde occidental divisé de Donald Trump ?
©Brendan Smialowski / AFP

Coopération internationale

Le G7 se réunit à Biarritz du 24 au 26 août après une semaine riche en rencontres diplomatiques et en évènements politiques, notamment en Italie. Plus que jamais, deux camps dans cette rencontre des dirigeants du monde développé semblent s’opposer : « progressistes » d’un côté, et « populistes » de l’autre.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Sur les principaux problèmes communs aux pays dont les dirigeants vont se rencontrer, peut-il y avoir des compromis entre ces deux camps ?

Jean-Eric Branaa : Cela me semble très difficile. Le monde est devenu extraordinairement complexe et divisé. Dans Trumpland: portrait d’une Amérique divisée (2017), j’écrivais que Donald Trump allait amener un nouvel ordre mondial. On voit que cet ordre mondial s’installe, pas uniquement via Donald Trump, mais c’est un des chefs de file de cette transformation. Le monde occidental se divise aujourd’hui entre progressistes et populistes, comme vous le dites. La division gauche-droite telle qu’on la connaissait avant 2016 n’existe plus parce qu’il n’y a plus de clivage autour de la remise en cause du capitalisme. C’est sur des valeurs et certaines grandes questions globales que la division se fait.

Certains problèmes, dans ce cadre, sont quasiment insolubles. Prenons l’exemple du climat qui est un enjeu de taille pour les progressistes. Du côté populiste, le problème économique est central : la défense de l’environnement revient pour ceux qui suivent Donald Trump à contraindre par la régulation les industriels et mène donc à une augmentation du nombre de chômeurs. Il n’y a donc pas de motifs à agir pour les populistes.  

Aucun des deux camps ne veut avancer et faire des compromis, parce que cela va à l’encontre de ce que veulent leurs électeurs. D’un côté comme de l’autre, il y a une forte radicalisation de l’électorat. Le clivage ne cesse de grandir et le fossé, devenu ravin, est à mon avis infranchissable.  

Le thème principal de ce sommet, ce sont les inégalités mondiales, selon la volonté d’Emmanuel Macron. Finalement, n’est-ce pas justement le sujet sur lequel les deux camps sont irréconciliables?

Une des grandes politiques de Donald Trump depuis son élection a consisté à se retirer de tous les dispositifs de solidarité à l’égard du reste de l’humanité, expliquant que les Etats-Unis n’avaient pas à supporter sur leurs épaules le poids des malheurs du monde. Durant sa campagne électorale, il a expliqué aux contribuables américains qu’ils étaient imposés pour réduire les inégalités dans leur propre pays. Il utilisait régulièrement l’exemple de ceux qui vivent dans la rue aux Etats-Unis (et c’est un problème majeur dans les grandes villes américaines) en expliquant que, tant que ce problème n’était pas résolu, il n’était pas question de s’occuper de ceux qui vivent dans la rue en Afrique, en Asie, ou dans d’autres régions du monde.  Il a coupé les aides américaines dans ce sens. La solidarité mondiale, que les progressistes défendent, est bien entendu mise à mal par cette politique.

Peut-on expliquer les rencontres d’Emmanuel Macron cette semaine avec Vladimir Poutine et avec Boris Johnson comme une tentative d’isoler Donald Trump pendant cette G7 ?

Je pense que c’est le contraire. L’année dernière, le G7 s’est terminé en catastrophe. Donald Trump avait retiré sa signature du communiqué final. Il était parti en expliquant que le G7 était idiot parce qu’il fallait un G8. Il avait déjà demandé à ce que la Russie revienne dans ces sommets annuels, sous prétexte qu’il fallait discuter avec Vladimir Poutine des problèmes du monde. C’est un de ces leitmotivs en réalité, depuis très longtemps.

Emmanuel Macron répond à cet appel : Vladimir Poutine a été reçu au fort de Brégançon et le Président de la République a laissé entendre qu’il fallait rétablir le G8. C’est étonnant, parce que les problèmes qui existaient en 2014, notamment l’annexion de la Crimée, existent toujours. Donald Trump ferait un sacré pied de nez à l’histoire en réussissant ce coup : il aurait quasiment tout détricoté de l’héritage de Barack Obama.

Quant à Boris Johnson, c’est pour éviter un clash qu’Emmanuel Macron le reçoit auparavant. Donald Trump en visite d’Etat au Royaume-Uni a promis un accord phénoménal aux Britanniques, une fois le Brexit réalisé, et Bolton a fait une sortie remarquée il y a dix jours dans laquelle il a expliqué que le plan était quasiment prêt, qu’il serait certainement révélé au G7 avec une rencontre entre Donald Trump et Boris Johnson dès le début du G7. Ils pourraient donc révéler un plan qui ferait effet dès le 1er Novembre, sachant que le 31 octobre est la date du Brexit définitive que l’Union Européenne a accordé au Royaume-Uni, avec ou sans accord de retrait. Cela veut donc dire que le Royaume-Uni aurait un plan B. On sait cependant qu’un tel plan devrait passer par le Congrès, et Nancy Pelosi a déjà annoncé que les Démocrates n’approuveraient pas un plan de ce type. En jouant donc un peu à une forme de poker menteur, une telle annonce au G7 ruinerait tout de même les efforts d’Emmanuel Macron qui explique qu’il ne peut pas y avoir d’accord avec les Britanniques, et mettrait le Président de la République en porte-à-faux. Cela explique probablement qu’Angela Merkel ait ouvert la porte aux Britanniques de ce côté-là. En somme, tout le monde est gêné aux entournures : ce G7 est à hauts risques.

La Chine et la Russie sont les deux plus grandes puissances absentes de ce sommet. Un G7 sans la Chine peut-il aboutir à de véritables avancées diplomatiques ou économiques ?

Le cas de la Chine est un peu différent parce que la Chine n’est pas vraiment dans le concert des nations. La Chine est une puissance économique, mais n’est pas encore une puissance diplomatique qui fait évoluer réellement les grands dossiers du monde, parce que les alliances traditionnelles de l’après-guerre sont encore présentes. Donald Trump a fait exploser ces alliances, mais elles restent sous-jacentes. Pour le Président américain, les Alliés ne sont plus des alliés mais des partenaires, c’est-à-dire des partenaires commerciaux, et d’autres pays ont vocation à devenir des partenaires en ce sens-là. Le monde est donc, selon la doctrine de Donald Trump, un vaste supermarché dans lequel les Américains peuvent vendre leurs produits et essayer d’acheter le moins cher possible. Paix et prospérité : ce sont les deux axiomes que les Républicains ont en réalité toujours défendu, notamment au début du XXème siècle. Dans les temps de paix, il s’agit d’aller faire du commerce.

La Chine a donc vocation à se retrouver dans les instances les plus importantes. Mais elle pose quelques problèmes à Donald Trump. D’abord, l’hégémonie chinoise est grandissante : il y a une compétition entre les deux pays. Donald Trump n’a pas envie d’avoir la Chine dans les instances régulatrices. Cela a beaucoup gêné les Américains que la Chine intègre l’OMC par exemple. Les Américains ont tout fait pour bloquer le fonctionnement de l’OMC depuis. Donald Trump n’est qu’au début de son travail. Il cherche à faire revenir la Russie dans les négociations parce que cela permet d’affaiblir la Chine, mais faire venir la Chine, c’est plus compliqué.

Les voyages diplomatiques de Boris Johnson ces derniers jours, et la rencontre Macron-Poutine, semblent indiquer que les décisions internationales ne se prennent plus dans ces sommets internationaux ou dans les institutions internationales. Les grandes institutions de coopération internationale ont-elles un avenir ?

Tout dépend de ce qui va se passer en 2020. C’est à peu près ce qui va décider de l’avenir de ces institutions internationales. Si Donald Trump est réélu, et s’il est réélu avec une majorité plus importante que celle qu’il a aujourd’hui - imaginons qu’il remplace encore quelques sénateurs par des fidèles, et qu’il reprenne la Chambre des Représentants – il sera libre sur son champ de jeu et pourra aller beaucoup plus loin qu’il ne va actuellement, notamment en politique étrangère. Sur la politique étrangère, c’est en effet les anciens Républicains qui tiennent encore la maison.

S’il n’était pas réélu, on aura l’effet de balancier inverse. Le trumpisme ne va pas mourir : il y aura aux Etats-Unis une opposition très forte de la part des trumpistes. Sur la scène internationale en tout cas, si c’est Joe Biden qui gagne, il est évident qu’on va avoir un retour à l’ère Obama et la reconstruction de cette ère : retour dans les Accords de Paris, etc. L’ère Trump sera considérée comme une parenthèse, et le monde reprendra le fil de l’histoire comme il avait été prévu. Beaucoup de nations actuellement parient là-dessus : il y a une prudence, un attentisme, presque un coup d’arrêt dans les décisions diplomatiques. Tout le monde attend les élections américaines pour voir comment le monde va être mangé.

Il faut ajouter que ce G7 est à hauts risques, mais il ne va pas se passer grand-chose. Le thème choisi, s’il n’est pas pris dans le détail, va permettre de parler d’éducation et de santé, choses qui ne se discutent pas. Les questions structurantes vont être laissées à l’abandon. Comme un symbole, il n’y aura même pas de communiqué final : c’est comme si on s’était réuni pour rien. 

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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